Créé en octobre 1998 sur les décombres de feu le CNPF, dans une
réaction violente du patronat face à la volonté de la majorité de
gauche d'alors, la dernière qui ait gouverné la France avant l'élection
de François Hollande, d'imposer les 35 heures par la loi, le Medef fait
sa rentrée aujourd'hui avec sa traditionnelle université d'été sur un
thème évocateur et en apparence fédérateur : "Intégrer" (lire aussi
l'article sur le programme ici). Pendant deux jours et demi, comme
toujours sur le campus d'Hec à Jouy-en-Josas, les participants vont
assister à nombre de débats aux intitulés toujours très ... créatifs,
comme « Par delà l'en dedans et l'en dehors », « Figures de l'exil » ou
bien « Avec ou sans âme ».
Une dizaine de ministres présents
Ce sera aussi et surtout l'occasion, comme souvent, mais surtout
cette année, la première rentrée depuis le retour de la gauche au
pouvoir après dix ans d'absence, de prendre le pouls de la situation
politique, économique et sociale de la France, et la température des
relations, assez fraiches, entre le patronat et le gouvernement. Pas
moins de dix ministres seront présents ; dont Jean-Marc Ayrault en
vedette américaine pour l'ouverture, une première pour un Premier
ministre, mais aussi Michel Sapin, ministre du travail, Pierre
Moscovici, celui de l'économie et des finances et même, en dernière
minute, Arnaud Montebourg, le bouillant ministre en charge du
redressement productif qui s'en était pris vivement en juillet à la
famille
Peugeot et qui interviendra vendredi en clôture.
La crise change la donne
Cette université d'été n'aura rien à voir avec l'ambiance de pugilat
des premières années du Medef, lorsqu'Ernest-Antoine Seillière, son
premier président élu, avait mené un rude combat contre Lionel Jospin
(pourtant son ancien condisciple de l'Ena) et surtout contre les lois
Aubry sur la réduction du temps de travail. Le patronat était alors en
guerre ouverte contre le gouvernement, même si en réalité, la plupart
des entreprises, surtout les plus grandes, négociaient en coulisses des
accords de flexibilisation de l'emploi et des allégements de charges
sociales en échange du passage aux 35 heures. Ce n'était pas il y a si
longtemps et pourtant, le contraste avec cette période est saisissant. A
l'époque, les patrons avaient un ami au gouvernement, en la personne de
Dominique Strauss-Kahn. Le brillant ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie concentrait à lui seul dans un grand Bercy
toutes les responsabilités aujourd'hui confiés à quatre ministres du
gouvernement Ayrault : Pierre Moscovici (Economie et Finances), Arnaud
Montebourg (Redressement productif), Jérôme Cahuzac (Budget), Nicole
Bricq (Commerce extérieur). A l'époque aussi, malgré les apparents
désaccords idéologiques entre le patronat et la gauche, les belles
performances de l'économie française, compétitive face à l'Allemagne, en
excédent commercial et dopée par une croissance mondiale euphorique,
arrondissaient les angles. Le patronat avait même accepté sans trop de
mauvaise grâce un doublement de la surtaxation de l'impôt sur les
sociétés décidé par le gouvernement Juppé pour permettre la
qualification de la France pour l'euro.
En cette rentrée 2012, le paysage est radicalement différent. Entamant
la dernière année de son deuxième (et selon les statuts actuels dernier)
mandat, Laurence Parisot, la présidente du Medef, est dans une toute
autre position que son prédécesseur de 1998 qui affichait ouvertement sa
volonté de ferrailler avec Lionel Jospin, n'hésitant à pas à le faire
huer lors d'assemblées générales à l'ambiance de meeting politique. Pour
la présidente du Medef, qui a accordé hier un long entretien au « Monde
», il est beaucoup plus difficile de trouver aujourd'hui une prise face
à l'insaisissable François Hollande qui pour l'instant gère prudemment
l'économie et habilement la situation politique : pas de combat
idéologique comme celui des 35 heures à se mettre sous la dent, mais en
revanche un climat de crise économique et sociale dans lequel le
patronat est contraint de négocier, pied à pied, des avancées sur son
grand sujet, celui de la compétitivité. Et donc à ne pas rompre le
dialogue social dont Laurence Parisot s'est fait la championne.
C'est que la situation s'est complètement inversée par rapport à il y a
quatorze ans : la France a perdu du terrain sur les marchés extérieurs,
les entreprises notamment les plus grandes ont délocalisé à tout va pour
tenter de conserver leurs marges dans la mondialisation. Et la
croissance surtout, a disparu et ne semble pas prêt de revenir de sitôt,
dans un environnement très inquiétant quant à l'avenir de la zone euro.
La stagnation de l'activité depuis presque un an et l'effondrement des
marges des entreprises françaises est la principale source d'inquiétude
de la présidente du Medef qui attend de la venue d'une dizaine de
ministres lors de l'université d'été un discours plus offensif et plus
rassurant de la part du gouvernement.
Le patronat mal aimé
C'est que depuis la campagne électorale, le patronat a le sentiment
d'être le mal aimé, le bouc émissaire de la crise, et craint de voir le
fossé avec l'opinion se creuser alors que les plans de restructuration
se multiplient depuis le printemps dans tous les secteurs :
l'automobile, l'aérien, la sidérurgie, mais aussi la banque, les
télécoms et désormais la grande distribution avec
Carrefour.
Alors que la gauche de la gauche pousse François Hollande à choisir une
voie beaucoup plus radicale en légiférant sur les licenciements et les
cessions d'usines, le Medef est dans une position délicate et attend du
gouvernement des signes d'apaisement face à ce que beaucoup de patrons
qualifient de climat anti-business. L'alourdissement de l'ISF, sans
plafonnement, la taxation des hauts revenus supérieurs à 1 million
d'euros à 75%, qui vise directement les chefs d'entreprise alimentent un
vent de révolte au sein d'une frange du patronat qui voudrait bien en
découdre avec le gouvernement, menace de quitter la France avec leurs
comité exécutifs voire de délocaliser les sièges sociaux.
Encourager plutôt que décourager
C'est la raison pour laquelle Laurence Parisot a haussé le ton à la
veille de l'Université d'été, mettant le gouvernement en garde contre
ses projets fiscaux. Elle attend du gouvernement qu'il soit « dans
l'ouverture plutôt que dans la défiance, dans l'attention plutôt que la
suspicion, encourageant plutôt que décourageant ». Les mots qui seront
prononcés par le Premier ministre ce mercredi seront scrutés à la loupe.
En juillet, lors de la conférence sociale, le Medef avait failli
claquer la porte parce que sous la pression de la CGT, Jean-Marc Ayrault
n'avait pas voulu associer la flexibilité pour l'employeur à la
négociation prévue sur la sécurisation de l'emploi à partir de cet
automne et pour laquelle le gouvernement doit adresser aux partenaires
sociaux un document d'orientation à la mi-septembre. Laurence Parisot
attend un tout autre discours et prévient que le Medef ne participera à
la négociation qu'à la condition que ses préoccupations soient entendues
sur la question sensible des accords compétitivité-emploi. Ceux-ci ont
selon Laurence Parisot permis à l'industrie automobile de surmonter la
crise de 2008 mieux que cela n'a été le cas en France. Les derniers
chiffres du chômage, catastrophiques, viennent plutôt renforcer la
position du Medef alors que le gouvernement ne peut compter sur les
seuls emplois aidés et les emplois d'avenir pour résoudre le problème.
Cassus belli fiscal
Mais le principal casus belli entre le patronat et la gauche reste le
dossier fiscal. Laurence Parisot, consciente qu'une lourde facture
arrive avec le budget 2013, historique, demande au gouvernement de faire
deux fois plus de baisses de dépenses que de hausses d'impôts. Elle
dénonce aussi la volonté du gouvernement d'aligner la fiscalité du
travail et du capital qui limiterait l'accès aux capitaux. La taxation à
75% promise par François Hollande ne devra selon elle pas s'appliquer
sur les cessions d'entreprise ou de parts d'entreprise. Deuxième cheval
de bataille, le projet de supprimer ou de plafonner la déductibilité des
intérêts d'emprunts contractés lors d'une acquisition qui selon le
Medef pourrait mettre un coup d'arrêt au développement des entreprises
notamment les ETI par croissance externe, et semble donc contradictoire
avec la volonté de favoriser un Mittelstandt d'entreprises moyennes
comme en Allemagne. Enfin, la présidente du Medef s'oppose farouchement à
toute intégration des biens professionnels dans l'assiette de l'impôt
sur la fortune, comme on en prête l'intention au gouvernement, qui
serait selon elle un « hara-kiri » de l'économie française.
Le retour de la CSG sociale
Au-delà de ces sujets techniques, le vrai combat du Medef est bien
celui de la compétitivité. Laurence Parisot pense avoir gagné des points
pour convaincre le gouvernement de prendre en compte la question du
coût du travail même si les modalités d'une baisse des charges restent
encore nébuleuses. En attendant les conclusions de la commission confié à
Louis Gallois sans doute en octobre, le Medef réitère sa proposition
d'un système à « double hélice » permettant à la fois de baisser les
charges des entreprises et des salariés en échange d'une hausse légère
et de la TVA et de la CSG, avec comme alternative à la TVA, rejetée par
la gauche, l'appel à la fiscalité écologique. Cette idée qui s'apparente
à la « CSG sociale » défendue par certains économistes proches du
gouvernement, comme Elie Cohen, Gilbert Cette ou Philippe Aghion, semble
faire son chemin puisque Jean-Marc Ayrault comme Pierre Moscovici ont
récemment reconnu qu'elle était au menu des négociations entre
partenaires sociaux avec ambition d'aboutir avant le printemps 2013.
Des gages de bonne volonté
Désireuse de négocier et consciente que la période ne se prête pas à
une relation conflictuelle dure avec le gouvernement, Laurence Parisot
joue donc une partie délicate. Il lui faut à la fois mener le combat
notamment fiscal contre les projets les plus à gauche de François
Hollande tout en lui donnant des gages de bonne volonté pour l'amener à
sortir du bois et à avancer sur les chantiers de réformes structurelles
pour lesquels le Medef se bat depuis de longues années. La situation
économique et budgétaire très difficile et la crise de l'euro pourrait
obliger les deux parties à trouver un terrain d'entente. Ce n'est ni un
flirt, ni une lune de miel, mais sans doute la conscience de part et
d'autre que les enjeux pour le pays et l'ampleur des difficultés encore à
venir plaident pour que chacun fasse un pas dans la direction de
l'autre. En acceptant par exemple, ce qu'il avait refusé en juillet
provoquant la colère des syndicats, un alignement des régimes
complémentaires sur le décret permettant à certains salariés ayant
commencé à travailler tôt de partir à 60 ans, le Medef a fait une partie
du chemin. Les patrons escompte que ce geste aura pour contrepartie une
plus grande écoute du gouvernement à ses inquiétudes sur la fiscalité
et la compétitivité.