mardi 2 décembre 2014
La Russie abandonne le projet de gazoduc South Stream
Censé approvisionner l'Europe en gaz russe, ce projet est victime des sanctions européennes contre Moscou. Alors que Vladimir Poutine menace de détourner les livraisons de gaz russe vers l'Asie, Bruxelles promet de diversifier ses sources d'approvisionnements.
Clap de fin pour South Stream. Ce projet de gazoduc russo-italien, destiné à approvisionner l'Europe en gaz russe en contournant l'Ukraine, est abandonné, à en croire Moscou. «C'est fini, le projet est fini», a assuré hier le directeur général du géant gazier Gazprom, Alexeï Miller, confirmant les informations transmises depuis Ankara par Vladimir Poutine.
Le président russe, en déplacement en Turquie, avait affirmé que la Russie n'avait pas obtenu la permission de la Bulgarie, l'un des pays par lesquels ce gazoduc géant doit transiter. «Comme nous n'avons toujours pas reçu la permission de la Bulgarie, nous pensons que dans la situation actuelle la Russie ne peut pas poursuivre la réalisation de ce projet», avait-il annoncé après un entretien avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan.
South Stream, dont le coût est estimé à 40 milliards de dollars, devait relier sur 3600 kilomètres la Russie à l'Europe du Sud en passant par la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie et la Slovénie. D'une capacité de 63 milliards de m3 par an (15% de la consommation européenne), ce gazoduc visait à diversifier les routes européennes d'approvisionnement en hydrocarbure. South Stream devait en effet contourner l'Ukraine, à l'origine de conflits gaziers réguliers avec la Russie qui perturbent les approvisionnements.
Sa construction a débuté en décembre 2012 dans le Caucase russe et la première des quatre conduites du gazoduc devait entrer en service en décembre 2015 avant d'atteindre sa pleine capacité d'ici 2018. Ce projet géant était porté par un consortium emmené par le groupe russe Gazprom(50%), l'italien ENI (25%), l'allemand Wintershall holding (15%) et le français EDF (10%).
South Stream est aujourd'hui la victime directe des sanctions occidentales à l'égard de la Russie dans le dossier ukrainien. En avril dernier, les députés européens ont proposé la suspension du projet. Selon Bruxelles, les contrats signés par Gazprom violent les règles européennes de la concurrence. En juin dernier, la Russie avait accusé l'Union européenne de faire pression sur certains de ses États membres, notamment la Bulgarie, pour qu'ils suspendent leur participation.
Hier, Vladimir Poutine a jugé «ridicule» de continuer à engager des «millions de dollars» dans ce projet. «Si l'Europe ne veut pas de ce gazoduc, alors il ne sera pas construit», a-t-il affirmé. «Nous pensons que la position de l'Union européenne n'est pas constructive. En fait, plutôt que de soutenir le projet, la Commission européenne y a fait obstacle», a-t-il dénoncé. «Nous pensons que c'est contraire aux intérêts économiques de l'Europe. Cela endommage notre coopération. Mais c'est le choix de nos amis européens. Ce sont des consommateurs, après tout», a-t-il ajouté.
Dans la foulée, Vladimir Poutine a directement menacé les approvisionnements de l'Europe, suggérant qu'une partie de la production russe pourrait être détournée vers l'Asie. «Nous allons dérouter nos ressources énergétiques vers d'autres régions du monde et l'Europe ne recevra pas plus les mêmes volumes de la Russie», a-t-il assuré. Gazprom prévoit ainsi d'augmenter de 3 milliards de m3 ses livraisons à la Turquie «afin de satisfaire ses besoins» et de lui consentir un rabais de 6% sur ses prix à compter du 1er janvier prochain. La Russie et la Turquie ont d'ailleurs signé hier un accord pour la construction d'un gazoduc reliant les deux pays, via la Mer noire.
«La décision de la Russie d'arrêter SouthStream et la manière dont cela a été décidé confirme combien la diversification des sources d'approvisionnements est importante pour l'Europe», a déclaré ce mardi la vice-présidente de la Commission, Kristalina Georgieva. Bruxelles devrait désormais se concentrer sur l'un des autres projets de gazoduc dans le sud de l'Europe: le «TAP», le gazoduc transadriatique, qui doit transporter le gaz naturel de l'Azerbaïdjan vers le marché européen en contournant la Russie. Nabucco, l'autre projet phare dans le corridor gazier sud-européen, semble, lui, enterré.
A la recherche du positif
Lundi
Toujours dans ma vaillante recherche de nouvelles positives, je découvre, avec un coupable retard, les élections professionnelles chez Orange. Pendant qu’on parlait beaucoup des révélations duCanard Enchainé sur les frais engagés pour l’appartement parisien et le bureau de Therry Lepaon, le secrétaire général de la CGT, sa confédération prenait une claque historique chez l’opérateur télécom.
C’est très important car la CGT a toujours dominé aux PTT, à la Poste comme aux Télécoms. C’est encore plus important parce qu’en 1995, la date fondatrice de l’histoire sociale récente de notre pays, la CFDT s’était prononcée pour la réforme Juppé des retraites des régimes spéciaux et c’est ce qui lui a valu une révolution intérieure qui déboucha sur le véritable essor de SUD-PTT. C’est aux Télécoms en 1995, donc, qu’est né le syndicalisme d’extrême gauche, d’idéologie « de résistance au capitalisme » et d’essence corporatiste, fortement investit par la LCR trotskyste. Ce syndicalisme a depuis pesé considérablement sur la vie sociale et économique du pays, la CGT et SUD ont dominé l’espace, sur la ligne du refus, du rejet des réformes, de toute réforme.
Ce qui était vrai de l’espace syndical l’était, par glissement, de l’espace politique. Ce n’est pas seulement depuis 1995 que l’extrême gauche domine la pensée de la gauche, c’est vrai depuis un siècle de socialisme. Mais ce surmoi s’est ressourcé « dans les luttes » de l’hiver 1995, avant de le faire à nouveau dans « la crise du libéralisme » de Lehman Brothers.
Le vote chez Orange marque un tournant. Je vous redonne les résultats : en comparaison des dernières élections en 2011, la CGT et SUD ont été mis en minorité, la CGT perd 3 points à 19,5 %, SUD un point à 17,5 %. Les syndicats réformistes (CFDT, FO et CFE-CGC) enregistrent plus de 55 % des voix, près de 5 points de plus. La CFDT réalise 24,1 % des voix et gagne deux points. La CFE-CGC un point à 16,2 % des voix, comme FO à 15 %.
La CFDT de Laurent Berger fait un come-back, après 20 ans de reculs et de difficultés : voilà la bonne nouvelle. Le syndicalisme réformiste, celui qui ne se contente pas du refus mais qui propose, a trouvé un écho parmi les 100 000 salariés d’Orange. C’est encore trop rapide d’en conclure que les esprits français sont prêts pour les réformes, la CFDT s’en garde prudemment d’ailleurs. Mais, dans cet automne si gris, si triste, si lourd, voilà comme un petit soleil. Dans les assourdissantes jérémiades nostalgiques, voilà comme une petite musique…
Mardi
Jeffrey Sachs, professeur d’économie à Columbia, est connu pour avoir été le grand inspirateur de la « thérapie de choc » en Russie et dans les pays de l’Est après la chute du communisme. Les dépressions économiques qui ont suivi lui ont été beaucoup reprochées. Quoi qu’il en soit (le débat sur ce qu’il eût fallu faire reste ouvert chez les économistes), il demeure un économiste hors pair. Il nous éclaire grandement sur tout ce discours sur « l’investissement » qui a surgi d’un coup dans notre espace économique. D’un coup, en effet, on demande à l’Allemagne, à Bruxelles, mais en fait à tous les Etats, « d’investir », comme nouvelle solution à la crise. D’où vient cette injonction subite ?
De l’échec double, explique Sachs, des « supply-siders » comme des « neo-keynesians ». La crise perdure parce qu’on perd son temps dans la vaine querelle des tenants de l’offre contre des tenants de la demande. L’approche néo-keynésienne est de pousser tous les investissements de toutes sortes. Tant pis si on achète des voitures qui polluent, tant pis si on construit encore des ronds-points, tant pis si on gonfle une nouvelle bulle immobilière, tant pis si Wall Street bénéficie plus de la relance que le salaire de monsieur tout-le-monde. La demande est la demande quelle que soit sa couleur, l’important est d’injecter des milliards dans le circuit économique.
Les partisans de l’économie de l’offre veulent promouvoir, eux, l’investissement privé, surtout pas public, au travers des baisses d’impôts et des dérégulations. Dans tous les cas, déplore Sachs, cela conduit à une bulle immobilière.
Les deux sont en échec : la part de l’investissement dans le PIB est redescendue de 24,9 % en 1990 à 20 % en 2013 dans les pays développés (chiffres du FMI). Aux Etats-Unis, de 23,6 % en 1990 à 19,3 % en 2013, dans l’Union européenne de 24 % à 18,1 %. La conséquence en est un immense retard sur les besoins de nos sociétés : la transition énergétique pour éviter au climat de se réchauffer de plus de 2°C (Sachs est un grand défenseur de la cause climatique) et les infrastructures modernes, à commencer par celles de transport.
Au lieu de ça, les gouvernements coupent dans leurs bons investissements, le secteur privé ne prend pas le relais comme le prévoyait le plan « magique » des supply-siders. Voilà pourquoi les économies ne parviennent pas à sortir vraiment de la crise, dit Jeffrey Sachs. La Chine fait beaucoup mieux, poursuit l’économiste, pour mobiliser l’épargne dans le sens du futur.
Jeudi
Comme pour illustrer la paralysie des Etats à monter les bons schémas d’« investissements » pour sortir de la crise, le plan Junker ne parvient à mobiliser que 21 milliards d’euros de « vrai argent », selon la remarque d’Emmanuel Macron. Dans le même temps, Volkswagen annonce investir 85 milliards dans les cinq ans qui viennent et Uber, la société de VTC née il y a cinq ans, lève à nouveau un milliard de capital dans un claquement de doigts et vaut déjà 40 milliards de dollars en bourse. Les Etats ne savent vraiment plus y faire.
Samedi et dimanche
La francophonie vieux bastringue du passé ? Placard doré pour dirigeants virés ? A n’en pas douter. Voilà un exemple d’investissement du futur pourtant : la langue. Si les Etats-Unis dominent tant Internet c’est aussi grâce à l’anglais devenu langue universelle. Sur le web, ce ne sont pas les pays qui comptent mais la langue. Le français est la cinquième langue la plus parlée au monde avec 274 millions de personnes. Immense marché ouvert, vers l’Afrique d’abord. On se plaint en Europe des empires du GAFA, Strasbourg veut démanteler Google. Avec raison pour ce qui concerne les questions de libertés individuelles des données. Avec moins de raison en constatant que les emplois de ces géants sont aux Etats-Unis. Internet supprime des jobs en Europe (banques, commerces) mais n’en créent pas chez nous. Si l’Internet « français » est trop étroit, l’Internet en français est quatre fois plus grand. C’était la bonne nouvelle de fin. Bonne semaine.
Dépenses publiques : libéralisme doctrinal et libéralisme réel
Le libéralisme peut-il encore exister concrètement lorsque la puissance publique recycle environ la moitié du PIB ?
L’inexorable progression de l’emprise de l’État sur la société dans tous les pays développés conduit à se demander s’il est encore possible de se déclarer libéral. Le libéralisme serait-il devenu une chimère pour intellectuel, une simple forme de contestation de l’interventionnisme public ou une sorte de poujadisme fiscal ? Peut-il encore exister concrètement lorsque la puissance publique recycle environ la moitié du PIB dans la plupart des pays occidentaux ? Dans l’univers libéral, comme dans la social-démocratie, la distance est importante entre théorie et réalité, entre ambitions doctrinales et exercice du pouvoir.
Panorama des dépenses publiques
Les dépenses publiques constituent un indicateur intéressant car le libéralisme a pour ambition de limiter leur croissance, alors que le socialisme n’y voit aucun inconvénient. Il est préférable d’observer les dépenses publiques que les prélèvements obligatoires car, comme on le sait, la classe politique a presque partout contourné l’obstacle de l’overdose de prélèvements en endettant lourdement les collectivités publiques. Le montant des dépenses peut donc être nettement plus élevé que celui des prélèvements.
En choisissant une analyse géographique limitée à l’Europe, les dépenses publiques varient de 35 à presque 60% du PIB.
L’Irlande, les pays baltes, la Roumanie et la Bulgarie sont les États les moins interventionnistes, mais la dépense publique y représente malgré tout 35 à 40% du PIB. Dans les États les plus interventionnistes (France, Finlande, Grèce, Slovénie), elle se situe entre 56 et 60% du PIB.
L’analyse historique montre, pour tous les pays développés, une croissance continue des dépenses publiques depuis le 19e siècle.
Il faut écarter les évolutions exceptionnelles dues aux deux guerres mondiales. La forte augmentation en pourcentage s’explique largement par la chute du PIB. La tendance à long terme est une hausse constante des dépenses publiques qui s’est poursuivie à un rythme soutenu après 1974 malgré une croissance économique très ralentie. S’agissant d’une hausse en pourcentage du PIB, il faut donc entendre que le rythme d’augmentation des dépenses publiques est plus élevé que celui du PIB, donc plus élevé que la croissance économique.
L’avenir est plus que jamais incertain. De nombreux États s’étant placés en situation de surendettement, ils peuvent chercher à amortir la dette en réduisant les déficits et donc la dépense publique (Allemagne) ou accumuler de la dette supplémentaire pour ne pas réduire les dépenses (France, États-Unis). En tout état de cause, personne ne songe, au niveau gouvernemental, à réduire drastiquement les dépenses publiques. La France a d’ailleurs choisi depuis deux ans d’augmenter encore les prélèvements et de fuir la problématique dépenses.
Notre société : un compromis historique
L’évolution historique longue se traduisant par une augmentation constante des dépenses publiques, même dans un pays réputé libéral économiquement comme les États-Unis, on peut en conclure que l’arrivée au pouvoir des libéraux ou des conservateurs n’a pas d’impact majeur. Lorsqu’ils accèdent au pouvoir, les partis politiques de sensibilité libérale sur le plan économique tentent de mieux maîtriser les dépenses, voire de les diminuer d’un ou deux points de PIB, mais ne vont pas au-delà. Il s’agit d’ailleurs déjà d’un effort très important et d’une politique très difficile à mener. Deux points de PIB représentent en France environ 40 milliards d’€. Si l’on écarte le subterfuge gouvernemental du raisonnement en tendance, baisser réellement les dépenses de 40 milliards suppose d’abandonner certaines interventions publiques et pas seulement d’économiser ici ou là. Il faut donc mécontenter des fonctionnaires si l’on supprime certains services ou mécontenter des entrepreneurs si l’on renonce à certains investissements. La rigidité à la baisse des dépenses publiques est considérable en démocratie car elle a un contenu politique fort : l’opinion publique résiste.
Les doctrines anciennes sont impuissantes à rendre compte de la situation présente. La société dans laquelle nous vivons n’est ni socialiste ni libérale mais constitue un compromis historique émergeant d’un 20e siècle mouvementé comportant guerres mondiales, affirmation de la puissance du capitalisme, progrès technologique fulgurant et croissance économique élevée. Après la révolution agricole du néolithique et la révolution industrielle du 19e siècle, nous sommes aujourd’hui au début de la troisième révolution technologique de l’histoire, celle des technologies de l’information, des biotechnologies, des NBIC. Tout notre avenir, y compris politique et économique, est suspendu aux nouvelles possibilités qu’ouvriront la science et la technologie.
Il est donc vain de clamer que l’Occident est devenu socialiste et de regretter le statu quo ante, c’est-à-dire l’État-gendarme du 19e siècle, comme il est absurde de prétendre que nous vivons dans une société ultra-libérale lorsque la moitié de la richesse produite est recyclée par les pouvoirs publics. Il s’agit de postures politiciennes, sans doute inévitables, mais ne rendant pas compte de la réalité observée. La caricature permanente de la réalité contemporaine est un jeu malsain qu’utilisent abondamment les plus exécrables des politiciens pour tirer profit électoral d’affirmations simplistes.
Laisser croître les dépenses publiques jusqu’au totalitarisme ?
Sans faire des doctrines l’horizon du futur, il convient cependant d’éclairer l’analyse à partir des réflexions des grands penseurs qui nous ont précédés. Quelle limite fixe-t-on à l’interventionnisme public ? Doit-on admettre que les dépenses publiques atteignent 70%, 80% du PIB, voire plus ? Personne ne traite cette question dans l’univers social-démocrate car, a priori, il est admis que l’action publique est bénéfique et toujours plus légitime que l’initiative privée. Pourquoi ? Parce que la problématique centrale des socialistes est l’égalité, l’égalisation des conditions sociales, alors que celle des libéraux est la liberté, l’initiative individuelle. L’aspiration à l’égalité, si on ne lui fixe aucune limite, conduit à annihiler la liberté car si les hommes doivent être égaux de jure en démocratie, ils ne le sont pas de facto. On ne change cette réalité naturelle que par la contrainte.
Alexis de Tocqueville en avait eu l’intuition dès le milieu du 19e siècle, lorsqu’il remarquait dans De la démocratie en Amérique, que la passion de l’égalité est au cœur des démocraties et que le risque corrélatif pour la liberté est considérable. Plus récemment, Friedrich Hayek a cherché à montrer dansLa route de la servitude (1944) que le poids croissant de l’État conduit inéluctablement au totalitarisme. Il faudra choisir au cours du 21e siècle d’accroître encore le poids économique de l’État ou de stopper cette tendance. Beaucoup de socialistes pensent sincèrement que la première solution ne présente pas de danger. Ils ont une conception procédurale et collectiviste de la démocratie : la liberté consiste pour eux à choisir ses gouvernants par le vote et à participer à la vie politique à travers les structures collectives, partis ou syndicats. Les libéraux voient au contraire dans l’étatisme envahissant un danger mortel pour la démocratie. Ils donnent au mot liberté une acception plus large : elle doit en plus permettre à chaque individu de prendre des initiatives économiques et sociales sans aucune intervention de la puissance publique.
Le libéralisme du 21e siècle est donc plus que jamais une lutte pour la liberté. Il ne s’agit pas de déconstruire méthodiquement l’État-providence, mais de l’empêcher d’étouffer par sa croissance illimitée tous les espaces de liberté. Il est alors nécessaire de tenir compte de la croissance économique pour déterminer le niveau des dépenses publiques. Cette contrainte élémentaire a été volontairement oubliée depuis des lustres, mais nous n’avons plus le choix : elle s’impose. Il n’est même pas nécessaire de faire un ajustement linéaire mathématique pour le comprendre. En observant le graphique ci-dessus concernant les États-Unis, il est évident qu’en prolongeant la tendance, les dépenses publiques seront proches de 100% du PIB à la fin du siècle. Cela n’arrivera pas. On pourrait dire, en plaisantant à peine, que les libéraux ont mathématiquement raison.
Revenir à l’équilibre ?
Le retour à l’équilibre dépenses-recettes dans la sphère publique est un sujet de débats depuis des années, débats théoriques n’ayant que peu de prise sur les politiques menées. Bien entendu, la problématique de gestion classique distinguant charges et investissements (ou immobilisations en comptabilité financière) s’applique également au secteur public. Le vocabulaire devient alors dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement. Selon les principes de gestion communément admis, seules ces dernières peuvent être financées par emprunt. Nous en sommes loin. En France, seules les collectivités locales sont juridiquement astreintes au respect de cette règle fondamentale de bonne gestion. L’État et les organismes sociaux (régimes de sécurité sociale, de retraite, d’assurance-chômage) ne respectent nullement ce principe.
La classe politique s’est engouffrée dans cette lacune béante du droit public français à partir de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981. La dégradation des comptes publics n’a cessé de s’aggraver depuis. Il est important de signaler la remarquable gestion financière de Valéry Giscard d’Estaing de 1974 à 1981, malgré l’impact de la première crise pétrolière à partir de fin 1973. Ce Président de la République a eu le courage, contrairement à sa vocation de libéral, d’augmenter sensiblement les prélèvements obligatoires au cours de son septennat (plus de 6 points de PIB) afin de maintenir les équilibres financiers. C’est dire à quel point la pression de la réalité est forte lorsqu’un libéral sincère et remarquablement compétent dans le domaine économique, accède au pouvoir. Mais, en 1981, à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, le budget de l’État présente un déficit quasiment nul et la dette publique représente 21% du PIB. On ne répétera jamais assez à quel point la politique économique et financière de François Mitterrand à partir de 1981 a constitué une erreur historique majeure car elle était à contre-courant de toutes les tendances lourdes de l’évolution mondiale. Pour des raisons purement politiciennes, Mitterrand a entretenu dans l’opinion des illusions qui ont conduit le pays à accumuler une dette publique croissante. La droite n’est jamais parvenue depuis à restaurer une situation financière satisfaisante.
La situation actuelle est donc grave et personne ne sait vraiment ce que pourrait faire un gouvernement de droite, eu égard aux risques d’explosion sociale. Si l’on se réfère aux chiffres fournis par l’INSEE pour 2013, les dépenses publiques représentent 57,1% du PIB et les recettes 52,8% (prélèvements obligatoires et autres recettes). Le retour à l’équilibre suppose donc une baisse des dépenses de 4,3% du PIB, soit presque 90 milliards d’€. Il faudra plusieurs années pour y parvenir, tout d’abord parce qu’une réforme des régimes de protection sociale par répartition est indispensable, de façon à interdire juridiquement tout déficit. Le problème est d’une grande complexité technique. Par exemple, si des droits à remboursement sont accordés dans le domaine de la santé, les dépenses sont juridiquement contraintes. Mais les recettes fluctuent en fonction de la conjoncture puisque l’assiette des cotisations peut se restreindre. Comment assurer l’équilibre ?
Pour une véritable règle d’or constitutionnelle
En ce qui concerne l’État, la solution ne peut se situer que dans une adjonction à la constitution de 1958 : la fameuse règle d’or (à définir) devrait prévoir des principes généraux de gestion financière publique qui seraient précisés par une loi organique. La révision constitutionnelle de 2008[1. La révision de la constitution du 23 juillet 2008 modifie l’article 34 en imposant au Parlement le vote d’une loi de programmation des finances publiques (en pratique tous les trois ans) ayant pour objectifl’équilibre budgétaire. Aucun contrôle de constitutionnalité ne pouvant reposer sur l’expression « ayant pour objectif », cette pseudo-règle d’or n’a strictement aucune utilité.] n’a, de ce point de vue, rien apporté pour améliorer la gestion des finances publiques. La majorité de droite au pouvoir a tout fait pour amoindrir la portée de la réforme. Sa réussite a été totale : nous n’avons aucun contrôle de constitutionnalité des déficits publics. Seul François Bayrou a courageusement proposé une véritable règle d’or. Les libéraux s’honoreraient si, à l’avenir, ils adoptaient dans ce domaine un programme politique conforme à leur doctrine. La règle d’or sera toujours rejetée par les socialistes, mais elle n’a aucune raison de l’être, en pratique, par les libéraux puisque leur approche théorique prône une limitation des dépenses publiques. Ou alors, il faut croire que les libéraux ne le sont qu’en apparence et qu’ils souhaitent se réserver toute latitude pour augmenter les déficits, c’est-à-dire les impôts futurs. Bien sûr, le libéralisme se heurte lui aussi à la politique dans ce qu’elle a de plus médiocre, mais d’éternel : le goût du pouvoir, qui suppose la maîtrise de l’argent public. Mais pour retrouver un peu de crédibilité, les politiciens professionnels seraient bien avisés de ne pas creuser sans cesse davantage l’écart entre doctrine et promesses d’un côté, exercice du pouvoir et réalisations de l’autre. Le pouvoir socialiste a été tellement loin dans cette direction qu’il a perdu une grande partie de sa base sociologique traditionnelle. Il ne faudrait pas que la droite commette les mêmes erreurs lorsqu’elle arrivera au pouvoir, car certain(e)s politicien(ne)s sont aux aguets et notre liberté en dépend.
Suisse qui rit, France qui pleure
Petites larmes de tristesse chez tous les cœurs épris d’égalitarisme accapareur : la Suisse a rejetésans aucune ambiguïté à plus de 59% l’initiative « Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires » déposée par la Gauche au parlement confédéral, et qui visait à imposer sur le revenu et la fortune les étrangers installés en Suisse sans y avoir d’activité lucrative. Apparemment, les appels lacrymaux du parti collectiviste local à en finir avec « un système injuste » ont été vains.
Et c’est très bien ainsi.
D’une part, ne boudons pas au plaisir de voir des gauchistes continuer à pleurer. Après tout, ce sont les mêmes qui pleurèrent lorsque Staline mourut, lorsque le Mur tomba, et qui pleureront lorsque le communisme sera définitivement abandonné en Chine ou à Cuba, après tant d’années d’échec, de corruption et de misère. À ces larmes, on ajoutera avec plaisir les couinements outragés des bobos parisiens et autres journaleux pathétiques trop heureux de trouver là un nouveau motif supplémentaire pour mépriser la Confédération Helvétique et ses habitants. Leur frustration et leurs petits cris sont une indication assez claire que la direction prise par les Suisses est la bonne.
D’autre part, cela permet de mettre en contraste de façon vive les habitudes, mentalités et décisions prises de l’autre côté de leur frontière. Parce que pendant que nos amis Suisses expriment clairement leur désintérêt de taxer les riches, une partie du peuple français, excitée par une classe politique de plus en plus pathétique, continue d’en faire la chasse avec une relative efficacité.
Prenez par exemple l’Assemblée nationale française, entrepôt cossu de jaloux institutionnalisés, où la tendance est clairement au renforcement tous azimuts de la traque des imposables et de la lutte contre les exfiltrations fiscales : elle a récemment renforcé l’arsenal de lutte contre l’optimisation fiscale qui, si l’on s’en tient à la loi, est autorisée, mais tout à fait insupportable si l’on s’en tient à la morale éminemment pliable de ces députés dont certains, phobiques, n’ont pas les mêmes standards de probité lorsqu’il s’agit d’eux-mêmes.
On se consolera en constatant que les amendements de cornichons dogmatiques comme Karine Berger, Valérie Rabault ou Yann Galut, visant évidemment à durcir le texte initial en l’embarbouillant de déclarations systématiques au fisc (avec plein de jolis petits cerfas estampillés « Simplification Administrative » je suppose), se soient fait retoquer. Mais la joie palpable et malsaine d’un Eckert frétillant à l’idée de rappeler la législhorrée du gouvernement (plus de 70 mesures législatives votées pour emmerder fiscalement les contribuables et les entreprises) montre encore une fois la profondeur avec laquelle est implantée l’idée qu’il faut tabasser les riches et les poursuivre avec tous les arsenaux du fisc.
Le contraste avec la Suisse n’en est que plus saisissant…
Il faut comprendre que la France est inscrite dans une spirale négative qui n’est pas près de s’arrêter. D’un côté, avec la crise, les rentrées fiscales se font plus maigres. Les dépenses de l’État, au beau fixe, continuent pourtant de pétuler, suffisamment pour inquiéter le Sénat. Les députés et le gouvernement, très vite à court d’idées, s’en remettent donc au matraquage fiscal pour remplir les caisses. De l’autre, ce matraquage aboutit inéluctablement à des fuites de capitaux, à des faillites et, plus grave encore sur le long terme, à des démoralisation et des abandons en rase campagne de toute velléité de créer une entreprise, celle-ci étant souvent le prétexte d’une nouvelle avalanche de coups de poings taxatoires.
Il faut se rendre à l’évidence : les Français ont choisi de s’en prendre aux riches, aux entreprenants et à ceux qui souhaitent optimiser leur fiscalité. Ils montrent à ce titre une mentalité diamétralement opposée à celle des Suisses qui ont compris qu’il fallait attirer les riches, les entrepreneurs et ceux qui, finalement, veulent tirer profit de leurs efforts, cette démarche étant la seule qui garantisse de pouvoir créer de l’activité économique et sortir les gens de la pauvreté, au lieu de s’en prendre systématiquement à ces riches, peu nombreux, et surtout mobiles et informés.
Cette mentalité si particulière, qui a infusé dans certaines couches de la société française, arrive maintenant à faire fuir des Français qui ont pourtant réussi sur leur terreau de naissance, et qui n’hésitent plus à prendre leurs cliques et leurs claques pour éviter de se retrouver coincés lorsque le rideau de fer fiscal tombera définitivement.
Le pire reste que cette mentalité si particulière n’est probablement pas présente chez une grosse partie de la population française qui comprend assez bien les tracas par lesquels passent les patrons, artisans et commerçants : une majorité d’entre eux comprend le ras-le-bol exprimé de plus en plus clairement par ces derniers devant les vexations dont ils font l’objet. Mais voilà : cela fait bien longtemps que ce n’est plus, du tout, cette partie-là de la population qui dicte ses choix à l’élite dirigeante. Si déconnexion il y a entre le gouvernement, les députés et le pays, elle est là : entre ceux qui sont, tous les jours, au contact de ces artisans, de ces commerçants, de ces patrons de TPE et de PME qui forment plus de 70% du tissu industriel, commercial et entrepreneurial de la France, et ceux qui sont sur les bancs de l’Assemblée, dans les journaux, dans les syndicats, dans les administrations et qui n’ont que faire des jérémiades qui remontent, fort mal, jusqu’à eux.
Et c’est finalement cette mentalité qui fait fuir, aussi, les investisseurs et les patrons étrangers, qui, lorsqu’ils expriment le fond de leur pensée, exposent une France dont une partie de ses citoyens joue clairement contre les autres. Ici, le patron de Titan explique de façon limpide la situation : tentant de reprendre l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, il découvre la rigidité (cadavérique) des syndicats, qui refusent de transiger et préféreront la faillite à une reprise partielle :
« On doit reprendre au minimum 652 ou 672 ouvriers, c’est impossible. Le maximum c’est 333, car après ce n’est plus rentable. On a essayé de leur dire ça. Les gars, vous devez vous réveiller. Dites aux syndicats s’ils sont si intelligents, ils n’ont qu’à racheter l’usine. »
Et cette mentalité, celle qui consiste à tabasser les patrons de taxes et d’impôts, celle qui consiste à leur imposer des contraintes ridicules et hors de propos économiquement, dans un « tout ou rien » débile et dévastateur, cette mentalité qui profite du travail des uns pour les spolier et distribuer le produit de la rapine à quelques autres, triés sur le volet, cette mentalité qui prétend favoriser l’intérêt général, la collectivité mais qui porte au pouvoir des copains et des coquins, cette mentalité subtile faite de promesses de lendemains qui chantent moyennant un partage, imposé à tous (par la « morale » d’abord, le fisc ensuite, la force enfin), cette mentalité particulière porte un nom.
Le communisme.
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