Si l’on devait prendre du recul sur les trente dernières années, quelles ont été les mesures en matière d'égalité hommes-femmes qui, rétrospectivement, sont apparues comme les plus efficaces ?
Louis Maurin : La question n'est pas aisée. Je ne crois pas que ce soit ces "mesures" qui aient eu finalement le plus d'impact, tout particulièrement en termes d'égalité salariale. Il est clair que la loi Roudy de 1983 a pu représenter, parmi d'autres, un "moment fort" mais on ne peut pour autant parler d'un événement majeur. Ce texte exigeait, entre autres, la publication d'un rapport de situation comparé par toutes les entreprises de plus de 50 salariés, or nous voyons bien que cela n'a pas particulièrement porté ses fruits. On peut parler d'un rôle symbolique mais finalement peu déterminant.
L'essor du travail féminin professionnel et salarié au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a par contre été un moteur qu'il ne faut pas négliger, et cela a pu être rendu possible grâce aux efforts massifs de scolarisation qui ont été fait durant les années 1950 et 1960 (en France, NDLR). A partir de cette période les écoles de filles ont progressivement atteint le même nombre d'heures de cours que celles des écoles de garçons avant d'arriver aux écoles mixtes dans les années 1970. On pourrait même remonter encore plus loin et voir que c'est avec la Première Guerre mondiale que de nombreuses femmes investissent pour la première fois des métiers d'hommes. Il ne faudrait pas croire par ailleurs que mai 68 a tout bouleversé d'un coup de baguette magique ! Il s'agit là d'un long processus, initié par des bouleversements économiques puis sociaux.
Catherine Xhardez : Cela dépend évidemment des pays concernés, mais on retrouve des points communs. L’une des mesures qui marche assez bien dans les pays nordiques et qui vient d’être introduite en Belgique est l’intronisation des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. L’idée a généré son lot de tensions et a été très décriée mais il m’apparaît légitime que des entreprises profitant d’une participation publique soient contraintes à introduire des femmes dans le processus de décision lorsque celles-ci en sont totalement absentes. Le nombre de femmes aujourd’hui diplômées en Europe est plus important que le nombre d’hommes, mais l’on constate que dans les hauts postes hiérarchiques elles restent relativement absentes. L’argument qui dit que l’on ne trouve pas suffisamment de femmes qualifiées pour ces fonctions n’est donc pas valable.
Cependant, une série de mesures plus incitatives (plans diversités) visant à promouvoir l’égalité homme-femme au sein des GRH à travers divers programmes de sensibilisation n’ont pas toujours eu les résultats escomptés. Par exemple, en dehors des pays nordiques, la plupart des réunions professionnelles se tiennent à 18h, ce qui est évidemment un frein pour les mères de famille qui doivent, le plus souvent, récupérer leurs enfants dans ce créneau horaire. En dépit de plusieurs tentatives de sensibilisation, ces pratiques ne sont pas prêtes de disparaître.
Le projet de loi actuel est censé faire la part belle à la lutte contre les stéréotypes sexistes ainsi qu'à l’instauration de sanctions pour les entreprises ne respectant pas l’égalité professionnelle. Pensez-vous que ces mesures peuvent porter leurs fruits ?
Louis Maurin : Je ne pense pas qu'il soit vraiment utile de se prononcer sur de simples projets législatifs. Si l'on parle néanmoins de la lutte contre les stéréotypes, cela va, à mon avis plutôt dans le bon sens. Il ne faudrait pas évidemment que la loi devienne potentiellement abusive, en instaurant par exemple des comités de censure de la publicité, mais cette éventualité ne doit pas nous interdire non plus de réguler certaines choses.
Catherine Xhardez : Je pense que la lutte contre les stéréotypes est effectivement fondamentale, dans le sens où ils sont un obstacle conséquent à l’évolution des consciences. On réalise qu’en dépit de preuves toujours plus nombreuses de la légitimité professionnelle des femmes, les clichés hérités de l’enfance perpétuent les écarts. La question de l’éducation est ici centrale puisqu’elle permet de s’attaquer aux racines du problème. Il est difficile cependant d’estimer pour l’instant les résultats d’une telle politique, cette de
L’outil législatif vous apparaît-il comme le plus efficace pour remplir cet objectif ?
Louis Maurin : J'ai l'impression que ce serait déjà beaucoup d'utiliser réellement l'arsenal juridique déjà existant. Finalement, on peut se demander si ce projet de loi est véritablement utile après les textes de 1983, 2000, 2006 et 2010. S'assurer que les sanctions déjà prévues soient appliquées me semblerait bien plus efficace que de se réfugier dans les discours et les codes de bonne conduite. Ce projet de loi aurait d'ailleurs eu intérêt à se pencher davantage sur ce problème majeur que représente le temps-partiel (occupé à 82% par des femmes, NDLR) qui est un élément très structurant des inégalités de sexe aujourd'hui.
Catherine Xhardez : Il est encore une fois difficile de quantifier sérieusement ces résultats, mais la plupart de ces lois ont été pensées dans une logique transitoire, le but n’étant pas de les graver dans le marbre à tout jamais. Pour l’exemple des quotas, il est évident qu’ils ne sont pas fait pour durer, l’objectif étant ici de rétablir un équilibre. Le principal problème est de mesurer les effets de ces lois au quotidien et d’arrêter de croire qu’elles sont des baguettes magiques qui changeront tout du jour au lendemain.
Peut-on dire que le fait de directement légiférer sur l'égalité homme-femme a pu générer des effets pervers ?
Louis Maurin : Je pense encore une fois que ces lois n'ont pas vraiment eu d'impact déterminant, dans un sens comme dans l'autre. On peut cependant affirmer qu'il ne faudrait pas, au nom de cette lutte pour l'égalité, oublier que ce qui pénalise le plus les femmes, ce sont de fait les inégalités sociales : entre homme et femmes nous sommes dans un rapport de 1,3 alors qu'entre une femme cadre et une femme ouvrière on entre dans un rapport de 1 à 3. Une politique de lutte contre les inégalités ne peut pas, par essence, traiter ces deux faits séparément. Si on oublie cela, on oublie tout en quelque sorte.
Catherine Xhardez : Je ne pense pas vraiment qu'il y ait de conséquences négatives L'amélioration des écarts salariaux, des conditions professionnelles ainsi que le recul des stéréotypes sexistes ne sont pas pour moi des effets pervers.
Quels sont les secteurs professionnels où l’on constate aujourd’hui le plus d’écarts ? Quels enseignements en tirer ?
Louis Maurin : Plusieurs secteurs engagent désormais un taux important de femmes, en particulier la communication (80%) l'administration bancaire (56%) le droit/fiscalité (69%) la comptabilité (57%) et la gestion (63%). A l'inverse on trouve relativement peu de femmes dans l'automobile (21%) et la métallurgie (20%). Il faut ajouter par ailleurs que les trois emplois "féminins" qui se développent le plus sont vendeuse, assistante maternelle et femme de ménage. On note par ailleurs, de manière plus générale, un élargissement significatif du champ professionnel féminin aux métiers de la médecine et du commerce.
Pour ce qui concerne les postes au sein d'une même entreprise, une étude de l'APEC baptisée "Le salaire des femmes cadres (mars 2013)" nous donne plusieurs éléments intéressants. Ainsi les postes de direction générale (+14%), de direction de R&D (+17%), direction informatique (10%) témoignent d'une certaine féminisation bien que certains postes restent très majoritairement masculins (direction d'unité industrielle, services techniques...)
Catherine Xhardez : On sait qu’il y a une surreprésentation des femmes dans les métiers du « Care » (métiers de la santé, éducation…) mais parallèlement, c’est important de le signaler, on trouve une sous-représentation des hommes dans plusieurs professions (métiers de la petite enfance notamment). Les métiers manuels restent eux largement masculins, bien que ce fait repose encore sur des stéréotypes : des études ont ainsi démontré que les infirmières portaient tout autant que les dockers sur les ports.
L’égalité homme-femme, en particulier l’égalité salariale, s’est améliorée progressivement sur les vingt dernières années. Peut-on en déduire que nos sociétés sont en train de se porter naturellement vers cette égalité ?
Louis Maurin : Même s'il y a eu progression, on note que sur les 15 dernières années l'évolution du salaire à temps plein des femmes par rapport aux hommes est stable. Autrement dit, ce rapprochement vers l'égalité s'est enrayé. Ce fait est d'autant plus frappant que pendant ce temps les femmes ont continué à être de plus en plus diplômées, bien que je ne souhaite pas lancer ici le débat sur les diplômes filles/garçons, qui est bien plus complexe que ce que l'on pense. Cette stagnation de l'écart des salaires s'explique à mon sens par deux éléments : tout d'abord une certaine solidarité masculine qui persiste dans la haute hiérarchie, ensuite une baisse du taux de féminisation dans certains secteurs (dont l'informatique).
Catherine Xhardez : Si elles se portent vers l’égalité c’est justement grâce aux différentes législations qui ont été adoptées. Je ne parlerais donc pas d’évolution naturelle, d’autant plus que les chiffres de l’égalité salariale à compétences égales sont à observer de façon vigilante. S’il y a effectivement eu une progression, on oublie de parler de certains pièges, dont le temps partiel et l’attribution des avantages extra-légaux (voiture de fonction, vacances…) qui sont, d’après les quelques chiffres dont on dispose, principalement à l’avantage des hommes.
rnière s’inscrivant dans le très long-terme.