Sommet sur la crise : un nouvel échec de l’Europe
Ouvert avec retard jeudi soir, le sommet européen sur le budget
2014-2020 a été presque immédiatement suspendu, faute pour les
participants de pouvoir s’entendre. En espérant que le report, jusqu’à
vendredi midi, de leurs réflexions permettrait à une nouvelle
proposition de compromis du président du Conseil européen Herman Van
Rompuy de faire – la fatigue aidant ? – son chemin dans les esprits.
« Je pense que nous avancerons un peu, mais je doute que nous
parvenions à un accord », a déclaré Angela Merkel, sur ce point – et
c’est bien le seul, la question de la PAC,
notamment, les opposant irréductiblement – d’accord avec François
Hollande : « Il est probable qu’il n’y aura pas d’accord à ce sommet. »
Pas de position commune entre Paris et Berlin, mais cependant une
« approche commune ». Qui est-ce censé rassurer ? Et Hollande ajoute :
« On n’est pas dans le sommet de la dernière chance. » Ouf ?
On se demande bien à quoi ont pu servir tous ces apartés des chefs d’Etat et de gouvernement avec Herman Van Rompuy…
David Cameron ne se pose plus la question ; il fulmine ! « Les
chiffres qui nous sont soumis sont similaires à ceux que nous avions ce
matin avant toutes ces réunions bilatérales », commente-t-on, furieux,
dans son entourage.
Mais la Grande-Bretagne entend bien ne pas perdre ce bras de fer.
Elle l’instaure, au contraire, sur tous les fronts. Ce même jeudi, le
ministre britannique de la Justice, Chris Grayling, a ainsi déclaré aux
députés que l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme contre
la loi d’interdiction faite aux prisonniers de voter était sans valeur.
« En dernier ressort ce Parlement est souverain, ce Parlement peut
décider si, oui ou non, il accepte un jugement de la Cour européenne,
quel qu’il soit », a-t-il lancé.
Trancher… chez le voisin
En pratique donc, tout le monde est d’accord pour trancher dans les
aides européennes, afin d’aider Bruxelles à s’en sortir. Mais à
condition que les coups de ciseaux tranchent chez le voisin.
Pour Angela Merkel, c’est clair : « L’Allemagne va regarder ses
propres intérêts. » Malheureusement pour nous, pour François Hollande,
ça l’est beaucoup moins : « L’Europe, c’est un compromis. (…) C’est non
pas la France que je viens défendre, c’est aussi une conception de la
politique européenne et de la solidarité. »
Non seulement ce n’est pas clair, mais c’est même inquiétant.
Combien d’ électeurs de François Hollande se satisferont de ce propos ?
Quoi qu’il en soit, contrairement à ce qu’il donne parfois
l’impression de penser, le président n’est pas seul. Et le scepticisme
était de mise avant la reprise, vendredi, des discussions. « J’ai
l’impression qu’il sera très difficile de parvenir à un compromis
équitable », a souligné le président du Parlement européen, le
social-démocrate allemand Martin Schulz, qui menace, lui aussi, d’un
veto parlementaire si le budget était présenté en l’état.
« C’est infaisable », résume, sous le couvert de l’anonymat, un haut responsable européen.
D’accord sur le désaccord
Puisque tout le monde semble être d’accord sur le point de n’être
pas d’accord, le report, à moins d’une improbable entente de dernière
minute, paraît vraisemblable. Et certains en semblent plutôt, voire
ouvertement, satisfaits. « S’il n’y a pas d’accord, ce ne sera pas
dramatique », a ainsi déclaré le chef du gouvernement espagnol, Mariano
Rajoy.
On peut le comprendre. Un accord, dans la situation actuelle,
provoquerait plus de difficultés encore dans les pays les plus
affaiblis. Ce n’est pas parce que certains, au sein de salles de réunion
feutrées, paraissent incapables d’en prendre conscience, que les
responsables politiques nationaux peuvent se permettre de l’ignorer –
n’est-ce pas, François ?
Ainsi, ce même jeudi, les étudiants portugais manifestaient-ils à
Lisbonne contre l’austérité. Une austérité qui frappe aussi cruellement
l’enseignement supérieur, au point de provoquer peut-être – certains y
songent – une nouvelle fuite des cerveaux.
L’Europe ou la patrie
En définitive, et alors même qu’on ne cesse de nous annoncer une
sortie de la crise dans laquelle nous nous enfermons depuis quatre ans,
cet échec annoncé du sommet européen est le signe manifeste d’une crise
plus fondamentale encore, d’une crise institutionnelle – alors même que
l’Europe politique n’existe pas encore en tant que telle !
Les compromis que chacun est appelé à trouver désormais paraissent
inacceptables au plus grand nombre. Cela se comprend non seulement parce
que les Etats-membres de l’Union européenne sont aujourd’hui exsangues.
Mais surtout parce que les compromis actuels consistent à remettre en
cause ceux d’hier, péniblement mis en place depuis trente ans, et qui
fondent – c’est là le point essentiel – la participation de chacun de
ces Etats à l’Union européenne.
Or cette Europe ne peut plus survivre que, à l’inverse de Saturne,
en dévorant ses géniteurs. C’est absolument clair : dès qu’un homme
politique défend son pré carré, le tollé est général, qui dénonce les
égoïsmes nationaux s’opposant à l’intérêt général. Mais chacun de ces
pays arrive à l’heure ou son pré carré ne peut plus entrer dans le cadre
européen…
Le problème est double : institutionnellement, chaque Etat peut
opposer son veto, dernier vestige de sa souveraineté, à une décision
européenne ; mais pratiquement l’Europe ne peut survivre à ce système de
veto.
L’heure est donc critique – si même nos dirigeants en dissimulent la
réalité derrière leur politique de compromis. Il faut manger, ou être
mangé ; et on est loin, là, du prix Nobel remis à l’Union européenne.
En clair, il faut choisir entre céder aux exigences européennes en
remisant son veto sur l’étagère des accessoires historiques, et alors
nos pays, nos Etats, nos nations ne seront plus que des appellations
sans consistance ; ou admettre que l’Europe, du moins celle qui s’est
construite ces dernières décennies, n’est qu’un rêve impossible.
Un beau
rêve, pour ceux que cela consolera…
Mais il faut choisir !
Les cabris sont fatigués de sauter !