C’est une séquence qui devrait être enseignée dans les écoles de com. Une séquence idéale. Presque un sans-faute. La semaine médiatique du candidat Hollande.
Elle débute, comme la plupart des grandes séquences politiques, un dimanche. Un après-midi au Bourget, en Seine Saint Denis, devant 25 000 personnes. Une salle chauffée à bloc par Yannick Noah, le poing tendu. Une scénographie impressionnante, au service d’un discours puissant, aux accents mitterrandiens, porté par un Hollande qui donne tout, jusqu’à l’épuisement, perceptible, de sa voix.
Ce n’est pas un discours. C’est une histoire. Le récit d’un homme « normal », élevé dans les valeurs républicaines, qui à force de travail finit par incarner son pays. Un homme qui prend la parole, en une période de trouble, pour le défendre. Pour le rappeler à ses valeurs. A nos valeurs communes. On est dans « Mr Smith à l’Elysée ». Dans la fabrication d’un moment historique.
Comme dans « Mr Smith au Sénat », l’homme qui parle ne paye pas de mine. Il n’est ni beau ni laid. Il porte des lunettes et un costume passe-partout. Sa voix, lorsqu’il ne la contrôle pas, part facilement dans les aigus. Mais il s’impose par la force de son récit. Et La salle l’écoute. Recueillie. Les ennemis d’hier. Les amis d’aujourd’hui.
Le récit de Hollande est efficace, parce qu’il raconte une transformation. Celle d’un homme ordinaire en homme d’Etat.
Après, bien sûr, il y a les grosses ficelles.
On conjure les défaites du passé. Le « Je suis socialiste » de Hollande veut faire oublier le « mon programme n’est pas socialiste » de Jospin. Royal disparaît de l’image, comme si 2007 n’avait jamais existé. Comme ces défilés de la Place Rouge, où les têtes s’effaçaient avec le temps.
Hollande attaque Marine Le Pen sur le terrain des valeurs et Jean-Luc Mélenchon sur le thème du « vote utile ».
Mélenchon qui, face à ce discours très marqué à gauche, a dû sentir le terrain s’effriter sous ses pieds.
Le candidat socialiste souffre dans les enquêtes d’opinion d’un déficit de « stature présidentielle ». Donc il martèle l’expression « Présider la République ». Il emploie fréquemment le « Je ». Un « Je » de décision.
Habile, il ne nomme jamais ses adversaires et en particulier le principal d’entre eux, Nicolas Sarkozy. Sarkozy qui a fait de son nom une « marque » politique. En 2007, Hollande n’a pas oublié que c’est l’omniprésence de cette marque dans les médias et le langage courant qui a, pour une large part, contribué à la victoire de Sarkozy, en rendant son élection en quelque sorte évidente. Puissance du marketing politique.
Et puis quelle meilleure façon de marquer une rupture que de l’incarner dans le discours ? Le candidat socialiste crée un espace où son adversaire n’est plus, où le passé disparaît, où il est déjà au pouvoir. Hollande au Bourget, c’est la « verticalisation », comme disent les metteurs en scène de théâtre, de la gauche au pouvoir. C’est « Mr Smith à l’Elysée ».
Grosses ficelles toujours. Hollande rappelle qu’il est un élu rural. C’est l’une des clés de sa différenciation par rapport à Sarkozy, candidat urbain.
Il rappelle aussi que son fief est la Corrèze : « Un département célèbre pour ses personnalités politiques, mais qui est exigeant. Celui qui réussit à obtenir son soutien a au moins des qualités de cœur, même s’il n’a pas toujours raison. » Une allusion, un hommage même, à Chirac. Hollande tente la synthèse de Mitterrand, le cerveau, et de Chirac, le coeur.
« Iconology » – Photo Philippe Moreau Chevrolet – Yes They Can Hollande aurait écrit seul son discours du Bourget. C’est ce que répètent ses communicants, qui espèrent ainsi renouer avec la tradition du président-écrivain, celle de De Gaulle et de Mitterrand. Et là aussi, marquer une rupture. Un retour à une certaine forme d’authenticité. Sarkozy a beaucoup communiqué sur ses
lectures, mais on ne le voit jamais
écrire. De fait, Henri Guaino occupe une telle place à ses côtés, est tellement visible.
Dans la foulée du Bourget, l’équipe web du candidat a diffusé le fameux geste du « changement c’est maintenant ». Il s’agissait de prolonger l’ambiance du meeting. L’accueil a été mitigé. Certains, comme Guy Birenbaum,
s’en sont moqué. D’autres, comme Serge Moati,
y ont vu le reflet d’une transformation profonde du PS. D’autres enfin, comme la journaliste Aurore Gorius,
une campagne digitale réussie.
Bouquet final de la séquence, la journée du jeudi. Elle démarre très tôt par la publication des «
60 engagements » du candidat Hollande dans
Le Parisien – rappel évident des «
110 propositions » du candidat Mitterrand en 1981. Elle se prolonge par une conférence de presse à la Maison des Métallos dans la matinée, avec discours du candidat et soutiens qui commentent en coulisses. Elle se conclut par l’émission «
Des paroles et des actes » sur France 2. Une émission sans grande surprise, dont Hollande est sorti vainqueur.
«
Des paroles et des actes » est devenu une pierre angulaire de la stratégie médiatique des candidats, comme on l’avait vu précédemment avec Bayrou et Mélenchon. Elle sert bien les candidats et les aide dans leur dynamique de campagne.
Hollande réunit 5 424 000 téléspectateurs, soit 21,8% du public. Un excellent score sachant que la précédente émission, avec Mélenchon avait rassemblé 13,3% du public et 3,2 millions de personnes et que Bayrou, lui, avait totalisé 2,4 millions de téléspectateurs en moyenne, soit 10 % de part d’audience. Le niveau d’audience aux émissions politiques est devenu l’un des paramètres de la popularité des candidats. Et il est suivi de près par les communicants.
Le duel, tant attendu, entre Hollande et Alain Juppé, a tenu toutes ses promesses.
Juppé a commis l’erreur d’entrer dans un débat de chiffres. Il s’est battu comme un journaliste, et non comme un politique. Oubliant de mobiliser l’émotion et de miser sur ses propres points forts, comme son expérience internationale, qui aurait mis Hollande en difficulté. Par ailleurs, il a donné l’impression de partir perdant, en employant le futur, et non le conditionnel, quand il a dit au candidat socialiste : « On verra bien ce que vous ferez » et non ce que vous « feriez ».
Hollande maîtrise sa com. Mais des gens le conseillent en coulisses. Manuel Valls, secondé par son directeur de cabinet,
Christian Gravel, sont omniprésents et veillent jalousement sur la com de « leur » candidat.
Aquilino Morelle, l’ancien directeur de campagne d’Arnaud Montebourg pendant la primaire PS, et
Guillaume Bachelay, l’ancienne plume de Laurent Fabius, ont fourni des éléments du discours du Bourget. Avec d’autres, comme
Jacques Attali, par exemple. On peut, aussi, mentionner
Olivier Faure, chargé de la com de Hollande pendant la primaire PS. Il joue toujours un rôle prépondérant. Mais moins en lumière.
A côté de ces politiques, on trouve d’authentiques professionnels.
Selon nos informations, c’est bien
Nicolas Bordas, président de TBWA France qui est l’auteur du slogan « Le Changement c’est maintenant », et il est désormais associé à toutes les décisions d’image du candidat. Il était d’ailleurs présent lors de la conférence de presse du jeudi 26 janvier lorsque François Hollande a présenté son projet présidentiel. Nicolas Bordas intervient en tant que publicitaire, sur les logos et les formules. Mais il n’est pas un
spin doctor au sens classique du terme. Il ne planche pas sur les thématiques à mettre en avant par le candidat.
Dans ce rôle, ils sont plusieurs. La communicante
Valérie Lecasble tout d’abord. L’ancienne journaliste connaît François Hollande depuis l’adolescence. Elle l’a toujours accompagné. Pendant la primaire, elle avait même été détachée de TBWA auprès du candidat socialiste. Désormais, si elle n’est pas dans l’organigramme officiel, elle a l’oreille de François Hollande et est présente à tous les moments importants, comme jeudi 26 lors de la conférence de presse où elle a longuement discuté avec Nicolas Bordas.
Le journaliste
Claude Sérillon fait, lui aussi, parti de l’entourage élargi du candidat et était présent le 26 janvier à la Maison des métallos.
Reste, enfin, une interrogation : la proximité personnelle de Manuel Valls avec
Stéphane Fouks, le patron d’EuroRSCG entraîne-t-elle une intervention de ce dernier dans la campagne…? Officiellement, non. « Si influence il y a, elle est indirecte, à la marge », nous confie un hiérarque socialiste.
Comme Mitterrand, Hollande fait intervenir plusieurs cercles sur la question de son image. Pour pouvoir trancher ou faire la synthèse ensuite.
Tous ces efforts et toute cette stratégie seront-ils payants pour le PS ? Réponse les 22 avril et le 6 mai. Dans les urnes.