Pour Baptiste, 27 ans, jeune cadre fraîchement diplômé et chef de projet dans l'Edition, le malentendu qui divise aujourd'hui les générations est patent : « notre génération qui « court après le milieu idéal, un environnement où ils pourront faire ce qu'ils veulent dans un travail tout le temps motivant », selon Didier Pleux, a en vérité été trompée. Le sacro-saint papy-boom (départ à la retraite des nés après 1945) qui allait permettre à toute cette génération de jouir du plein emploi, lui avait en effet été promis. Il était dit que les Y profiteraient de rémunérations confortables et prospéreraient dans la passion de leur métier. Le papy-boom devait en théorie s'enclencher dès 2005. Crise oblige, il n'en a rien été. Et il faut le dire, la génération Y n'en profitera jamais, elle qui doit faire face à un taux de chômage au plus haut. D'autant que l'âge de la retraite a été repoussé. Du coup, les Y s'adaptent. Au regard de la situation macro-éconmique, ils sont aujourd'hui davantage dans une optique de trouver un logement et un métier que dans « une quête d'une solution miracle pour trouver une réalité confortable », comme le dit Didier Pleux. Désormais, ils travaillent en fait plus pour bénéficier d'un pouvoir d'achat inférieur aux générations précédentes ».
Certes ils admettent être frustrés et avoir du mal à composer avec cette réalité truquée par leurs soixante-huitards de parents un brin exaltés. « Alors que certains ont été bercés dans un idéal libertaire véhiculé par leurs parents, bénéficiaires des avancées post mai 68 et qui ont pu profiter d'une liberté de choix total dans leur vie professionnelle, force est de constater qu'ils n'ont pu ni jouir des mêmes « privilèges » que leurs aînés, ni envisager de faire mieux ou au moins aussi bien qu'eux. Alors oui, les Y sont déçus voire frustrés. D'où cette relative « allergie à toute frustration » pointée du doigt par Didier Pleux » reconnaît Baptiste.
Dure réalité, en effet
Mais il rappelle qu'une bonne partie de la génération Y a, en parallèle, vu ses parents maltraités par des entreprises qui n'hésitent plus à se séparer d'eux quand les temps sont durs. Egalement influencés par la surmédiatisation des plans sociaux de grande envergure, les Y se sont endurcis, et, depuis le plus jeune âge, voient la réalité de l'entreprise avec le plus froid pragmatisme. « Ils sont en conséquence plus opportunistes, plus entreprenants et plus individualistes, mais pour des raisons réalistes, contrairement à ce qu'argue Didier Pleux. De là ne peut aussi découler qu'une conception différente du « sens de l'effort », de l'« engagement », et de la « fiabilité » dans l'entreprise, demandés aux Y par les générations précédentes », analyse le jeune Baptiste.
Cécile, 28 ans, exerçant dans le pôle RSE d'une grande entreprise du CAC 40, la tête sur les épaules, épingle fougueusement cette « réalité » en apostrophant les redresseurs de torts : « peut-être ne voulons nous pas accepter la réalité par ce que c'est la vôtre dans laquelle nous vivons, et que nous la trouvons bien contradictoire. Puisque posséder tout ce qui est imaginable a été une réalité pour vous et que cela n'a pas suffit à votre bonheur, pourquoi devrions-nous nous en contenter ? Vous nous avez voulu indépendants puisque vous désiriez vous-même jouir de votre vie, nous voici armés pour changer les règles du jeu ».
Alors s'agissant de « désinvestissement quotidien dans l'entreprise », les Y l'explique comme « un mal-être dû à la difficulté de trouver sa place parmi les plus âgés. Cette génération souhaite qu'on lui explique concrètement quelle est son utilité dans l'entreprise et n'aime pas les efforts vains, car contrairement à ce que dit Didier Pleux, elle se remet constamment en question. La génération Y a, il faut le dire, forgé en grande partie ses raisonnements sur Internet, temple de la remise en question permanente de toutes les idées reçues ». D'où le besoin impérieux de trouver un sens à leur action, ce qui, selon Cécile, « est impossible avec la verticalité et l'immobilisme qui en découle ».
En quête de sens
De fait le divorce menace : « nous refusons de vivre pour travailler, pour gagner de l'argent et consommer en suivant votre modèle, quand nous voyons où il nous a mené. Nous ne voulons pas nous restreindre, réduire nos idéaux à cause de vos erreurs. Alors comment procéder en entreprise ? Crise économique, écologique, sociale.... Votre besoin de hiérarchie, de garder le contrôle, n'a pas réussi à gérer la complexification intense de la société. N'a pas laissé de place adéquate à la créativité, et n'est pas adapté au monde en devenir. Nous n'avons pas vraiment envie de rentrer dans le moule que vous avez créé, car il tue toute perspective d'évolution sensée de la société ».
Résultat : pour Cécile ce n'est pas l'autorité qui est contestée par des « enfants rois trop gâtés » mais plutôt la confusion des genres que nourrit constamment la société d'aujourd'hui et dans laquelle les jeunes Y aimeraient qu'on leur organise quelques repères sensés...c'est-à-dire porteur de sens. « On ne supporte pas qu'on nous impose des choix qu'on juge incohérents, non l'autorité en général. Ce n'est pas « vérifier et contrôler l'avancée des travaux », qu'il nous faut, mais c'est de nous guider. Pour nous aider à déployer notre énergie dans le bon sens. Dans ce monde qui part un peu dans tous les sens et nous laisse parfois perplexe, nous avons besoin de votre expérience, mais non de contrôle abusif. Vous nous dîtes narcissiques, mais vos modèles verticaux n'incitent pas à la collaboration », dénonce la jeune femme.
D'où une sorte de revendication en forme de cri du cœur poussé à l'intention de leurs aînés pour plus de dialogue et de compréhension mutuelle. « Il faut absolument mêler les générations, afin de créer des synergies et que chacun soit apte à prendre le meilleur dans ce que l'autre a à lui offrir : nous avons énormément à apprendre des autres, mais il ne faut pas croire qu'il n'y a rien à apprendre de nous. Nous n'avons jamais été aussi ouverts sur les autres et sur le monde, friands de découvertes, voyageurs invétérés...Nous ne sommes donc pas réfractaires au savoir des générations précédentes, mais à la forme qu'elle prend, c'est-à-dire un sens unique », argumente Cécile, admettant que peut-être, elle et ses congénères manquent « un peu de tact pour faire accepter cette idée ».
Acteurs de leur vie
C'est qu'ils sont à vifs ces Y, stigmatisés de tous côtés car dotés d'une personnalité beaucoup plus affirmée que les générations précédentes, moins dans le « moule », et dont l'idéalisme n'est que la traduction de leur volonté de s'impliquer dans la transformation du monde. Pour preuve, le coup de gueule de Cécile, en guise de conclusion. « Nous voulons être acteur de nos vies, de nos sociétés et non nous conformer docilement aux codes sociaux qui prévalent actuellement. Nous souhaitons contribuer à changer la société dans laquelle nous vivons. Beaucoup d'entres nous ne demandent qu'à se réaliser dans notre travail et à relever des défis, à se donner à fond pour une mission qui nous motive ; nous mettre à un poste adapté, crée de la richesse pour l'entreprise. C'est l'ennui et le manque de responsabilités, de reconnaissance qui nous enferment dans une procrastination et un désengagement, ennui provoqué par des modes de management figés et à sens unique. Nous sommes des moteurs pour les entreprises, à condition d'écouter ce que nous avons à vous dire». A bon entendeur....
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