La fiscalité des plus riches est-elle "confiscatoire" ? A-t-on franchi un rubicon fiscal, atteint le pic de cette fameuse courbe de Laffer,
régulièrement citée par les adversaires de la fiscalité française, et
au-delà de laquelle "trop d'impôt tue l'impôt", selon l'adage ?
Du fait de l'alternance politique, 2012 est une année particulière pour les riches français, qui verront leur contribution augmenter, et ce, sans aucun plafonnement. Depuis le retour de la gauche au pouvoir, les plus riches cumulent la fin partielle du bouclier fiscal, la surtaxe Fillon sur les hauts revenus de 2011 et la réforme
provisoire de l'ISF. L'an prochain, malgré la mise en place de la
fameuse tranche d'impôt à 75 % sur les revenus dépassant le million
d'euros, l'addition sera moins salée pour les plus aisés, qui verront
leur ISF plafonné à 75 % de leurs revenus. En effet, l'exécutif a été contraint par le Conseil constitutionnel
à rétablir un tel plafond afin que l'impôt ne soit pas considéré comme
confiscatoire. Une mesure qui figure dans la loi de finance pour 2013.
Ces derniers jours, l'affaire Depardieu a illustré les crispations
françaises autour de ces questions de fiscalité des plus aisés,
notamment. Pourtant, et malgré les particularités de 2012, la fiscalité
des hauts revenus en France reste plutôt stable depuis plusieurs années.
LA FISCALITÉ DES PLUS RICHES N'A QUE PEU EVOLUÉ EN QUINZE ANS
Selon une étude réalisée début 2012 par l'Institut des politiques publiques (IPP), il est complexe de mesurer
la fiscalité des hauts revenus car elle est souvent variée : les
revenus proviennent à la fois du travail, du capital, des dividendes...
avec une part des revenus du travail qui décroît à mesure que la fortune
augmente.
Impôt sur le revenus. Le constat que dresse l'IPP
est cependant assez mitigé. L'institut a observé la fiscalité des 1 % de
Français les plus riches. En cinq ans, avec trois réformes successives
(bouclier fiscal, plafonnement des niches, contribution exceptionnelle,
etc.) l'impôt sur le revenu
a plutôt faiblement augmenté, mais pas de la même manière. Comme on le
voit dans le tableau ci-dessous, au sein des 1 % les plus riches, la
hausse est modérée (0,2 % à 0,3 %), mais augmente plus nettement pour
les très riches (0,1 et 0,01 %), jusqu'à + 1,5 %. Une hausse qui n'est
pas exceptionnellement élevée.
Patrimoine. A contrario, comme le montre le même
graphique, l'imposition du patrimoine est restée stable pour les 1 % les
plus riches, et a diminué de 1 % à 1,5 % pour les très riches. Au
global, l'imposition effective est donc restée globalement stable. Mais,
note l'IPP, "ces réformes ont fortement diminué la pression fiscale
sur les patrimoines déjà constitués et ont limité la constitution des
patrimoines à venir".
L'étude fait la comparaison avec le quinquennat précédent (2002-2007), pour parvenir
au constat suivant : alors que l'impôt sur le patrimoine restait stable
et diminuait pour la fraction la plus riche des 1 % les plus aisés,
l'impôt sur le revenu, lui, diminuait de 1 % à 2 %, plus fortement donc.
De manière générale, la fiscalité française a la particularité d'être dégressive pour les hauts revenus, comme l'ont largement montré les travaux des économistes Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez : plus on est riche, et moins le pourcentage d'imposition augmente. C'est aussi la conclusion de l'IPP :
"Les taux de prélèvements obligatoires deviennent régressifs, en particulier au sein des 1 % des plus hauts revenus, même si on retire de l'analyse les cotisations sociales contributives. Cette caractéristique de la fiscalité française n'est pas nouvelle, et vient avant tout d'assiettes imposables percées : ce phénomène explique que la plus grande partie des hauts revenus échappe aux prélèvements obligatoires. A ces assiettes percées s'ajoute l'effet des réductions d'impôt, les niches fiscales, dont l'effet est fort pour les hauts revenus."DES COMPARAISONS INTERNATIONALES PEU FIABLES
A l'heure de la mondialisation, la question devient internationale, puisque l'information sur les pratiques fiscales circule aisément d'un pays à l'autre, et qu'il en est de même pour les familles aisées qui souhaitent échapper à l'impôt.
Selon une récente étude du cabinet KPMG citée par Les Echos, notre pays se situe dans la moyenne européenne (45 %) pour ses prélèvements obligatoires, mais il sera très sévère avec les hauts revenus, essentiellement du fait de la mise en place, en 2013, de la fameuse taxe exceptionnelle à 75 % sur les revenus situés au-delà du million.
Cette étude est néanmoins limitée, car elle ne prend pas en compte les nombreuses dispositions de défiscalisation existant en France, et qui modifient grandement les choses. Au-delà des 75 %, la France n'est pas nécessairement le pays le plus sévère avec les plus riches en Europe, même s'il est en réalité très complexe d'effectuer des comparaisons, du fait de la variété des impositions, en matière notamment de patrimoine.
Le graphique ci-dessous, extrait d'un rapport sénatorial de 2007, montre l'évolution du taux supérieur de l'impôt sur le revenu dans divers pays. On le voit, la France (en violet) a eu tendance, comme ses voisins, à la diminution de ce taux sur le long terme.
Il est clair que la France n'a pas le régime fiscal le plus avantageux pour les hauts revenus. Néanmoins, tout dépend de leur provenance. Ainsi, si la Belgique taxe peu le patrimoine, elle frappait plus fortement les salaires élevés que la France, du moins jusqu'à l'instauration de la taxe à 75 % des revenus au-delà du million d'euros. De même, selon une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la Suède ou la Belgique taxaient – là encore avant les 75 %, qui sont une mesure provisoire – plus fortement que la France les hauts revenus du travail.
L'impôt sur la fortune, assis non pas sur les revenus, mais sur le patrimoine, est en revanche une particularité française. En Europe, seule l'Espagne taxe également le patrimoine depuis 2011, de manière exceptionnelle, à partir de 700 000 euros (de 0,2 % à 0,5 %). Les Pays-Bas imposent également les revenus du patrimoine de manière indirecte. Quant aux revenus du capital, ils étaient taxés à 37,2 % en France en 2010, contre 23,3 % en Europe. Seule la Norvège, avec 44,9 %, frappait plus lourdement ces revenus.
UN "EFFET CRISE" DEPUIS 2011
Dès 2011, la majorité UMP avait commencé à inverser la tendance et à frapper plus fortement à la fois le capital et les hauts revenus. François Fillon a ainsi mis en place à l'été 2011 une "contribution exceptionnelle" de 3 % pour les revenus au-delà de 500 000 euros (qui s'appliquera jusqu'au retour sous la barre des 3 % de déficit), et augmenté les prélèvements sociaux sur les revenus du capital. On le voit dans le graphe ci-dessous, les plus aisés au sein des 1 % les plus riches ont ainsi vu leur fiscalité augmenter plus que les autres.
Quels sont les éléments nouveaux dans le système fiscal des plus riches depuis le mois de mai ? Le législateur a supprimé le bouclier fiscal, déjà écorné par la majorité précédente. L'équipe Hollande est revenue au barème antérieur d'impôts de solidarité sur la fortune, un patrimoine supérieur à 800 000 euros, et non plus 1,3 million d'euros – après une année 2012 transitoire, où une contribution est venue combler le vide d'une taxe qu'avait baissée la précédente majorité.
Par ailleurs, c'était une des promesses de campagnes de François Hollande, le projet de loi de finances pour 2013 a réaffirmé le principe de progressivité de l'impôt en augmentant la taxation des plus riches. Sur les quelque 7 milliards d'impôts supplémentaires prévus, 2,8 milliards concernent le dernier centile, a vanté Bercy.
Mais cette nouvelle tranche d'impôt, qui frappe à 75 % les revenus au-delà d'un million d'euros, est provisoire ; ce que certains interprètent comme un recul du gouvernement Ayrault face à la grogne des plus aisés. Tout comme les nombreuses concessions qui ont été faites après que des entrepreneurs – qui se sont faits appeler les "pigeons" – ont dénoncé la taxation des plus-value de cession d'entreprises.
En pratique, donc, les hauts revenus sont clairement plus taxés depuis mai qu'auparavant. Surtout en cette année 2012 particulière, où se cumulent les dispositifs temporaires. Mais cette hausse de la pression fiscale sur les plus riches est tout sauf une surprise : François Hollande l'avait promise durant sa campagne, avec, à en croire les sondages, l'approbation de l'opinion. Le départ de quelques exilés fiscaux emblématiques, des phénomènes comme celui des entrepreneurs "pigeons", ainsi que le pilonnage de l'opposition, ont pu modifier la perception de l'opinion publique à cet égard.