Une France en panne d'accélérateur pour 2011
Le moteur crachote. La voiture France ne va pas assez vite. Cette année, l'automobile Allemagne l'a dépassée à toute vitesse - autour de 3,5 % de croissance, deux fois plus que la France. L'an prochain, l'écart sera presque aussi fort. Sans parler de la Chine, qui fonce à 10 %, comme si elle était équipée d'une pédale d'accélérateur bloquée, à l'image de certaines Toyota. Et ce crachotement… Non, ce n'est guère rassurant. Il faut mettre le véhicule sur le pont élévateur et regarder ce qui se passe pour voir s'il sera possible d'aller plus vite en 2011.
Avant d'explorer les entrailles, regardons d'abord le carnet de route. Jusqu'en 2008, la voiture avançait à un peu plus de 2 %. Les enfants derrière criaient « plus vite, chauffeur », mais enfin, c'était déjà ça. Puis, il y a eu le tremblement de terre. La voiture France a même reculé du printemps 2008 (avant donc le fameux coup de tonnerre Lehman Brothers de l'automne) jusqu'au début 2009. Ensuite, la voiture est repartie à petite allure, avec un mélange de deux carburants : le plan de relance gouvernemental et les achats des entreprises pour remplir leurs entrepôts, qu'elles avaient consciencieusement vidés l'année précédente. Mais cette étape s'achève. Les réservoirs se vident. Dès lors, d'où peut venir la reprise ?
Ecartons d'abord, avec regret, le carburateur de l'exportation. Il marche mal depuis plus d'une décennie, ralentissant la voiture de 0,5 % par an en moyenne. Certes, il a semblé repartir en 2010. Les échanges ont contribué à la croissance pour la première fois depuis… 2001. Mais c'était, hélas, provisoire. L'impulsion est venue du fait que les clients étrangers en pleine forme, notamment en Asie, ont recommencé à acheter plus tôt que les Français. Le décalage a disparu et les pays émergents vont ralentir l'an prochain. Les échanges risquent donc de freiner à nouveau la voiture.
Venons-en maintenant au gros moteur de la consommation. Avec un message plutôt rassurant : ce moteur-là n'est pas cassé. Inutile de céder aux ados, au fond de la voiture, qui réclament en boucle la relance de la consommation, faute d'avoir compris que le désir bute toujours sur un principe de réalité ! Si les Français placent toujours beaucoup d'argent dans leurs bas de laine, ils sont aussi heureux de dépenser dès que l'argent tombe. Les entreprises ont recommencé à embaucher dès la fin 2009 et les nouveaux salariés ont pu consommer sans remords. Mais la situation reste fragile. Elle pourrait même se tendre à nouveau l'an prochain, faute de tonus économique. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui avait été plutôt optimiste ces dernières années, prévoit des suppressions d'emplois à partir du printemps. Et les employeurs seront visiblement très prudents sur le front des salaires.
Mais alors, où est le problème ? En vérifiant les câbles, il devient évident : l'accélérateur est en panne. Il y a bien sûr la pédale de la dépense publique. Mais elle est réservée aux périodes de reflux de l'activité économique. Elle a d'ailleurs tellement servi depuis deux ans qu'il devient imprudent de la solliciter à nouveau. Les créanciers de l'Etat sont très vigilants sur cette question. Seule un énorme camion comme les Etats-Unis, qui impriment la monnaie du monde, peut se permettre une troisième année consécutive avec un déficit public frôlant les 10 % du PIB…
En phase de reprise, il y a normalement un autre accélérateur à l'oeuvre : l'effort d'équipement des entreprises. L'économiste Albert Aftalion avait montré son rôle il y a un siècle, suivi par Keynes et Samuelson : quand la demande repart, l'investissement repart plus vite et il entraîne la croissance. Le volume des dépenses d'investissement des entreprises avait rebondi de plus de 4 % en 1976 après avoir dévissé de 8 % dans la crise de 1975. Il a progressé de 5 % dans les deux années suivant la récession de 1993, où il a perdu 8 %. En 2009, il a à nouveau reculé de 8 % (et de près de 20 % dans l'industrie). Mais il a encore diminué cette année et il devrait à peine augmenter l'an prochain.
Pourquoi donc cet accélérateur est-il grippé ? Il faut revenir ici à la crise amorcée en 2008, et plus précisément à sa nature financière. La panne brutale des marchés financiers a provoqué une forte chute de la demande, sans précédent depuis près d'un siècle. Beaucoup de machines ont cessé de tourner. Dans l'industrie, les capacités de production sont encore aujourd'hui utilisées à seulement 77 %, presque 10 points de moins que la moyenne de long terme. Il serait donc inutile d'investir. Mais ce n'est pas si simple. Au cours de l'été, par exemple, la demande totale (cumul des achats de biens de consommation et des investissements) a augmenté de 0,8 %, deux fois plus vite que la production. Autrement dit, il a fallu importer. Il faudrait donc investir pour produire ce que les Français veulent acheter.
Mais les entreprises n'ont pas assez d'argent. Derrière les belles performances du CAC 40 dont les firmes investissent surtout… à l'étranger, les PME sont à la peine. Elles n'ont pas reconstitué leurs profits. Pour l'ensemble des entreprises, l'épargne ne finance que les deux tiers de leurs investissements, un niveau très bas. Elles doivent donc emprunter. Elles le font précautionneusement. Sur un an, leurs crédits bancaires ont progressé de 1 %, moins que la hausse des prix. Et là aussi, la crise risque de faire effet : les banquiers vont sans doute être encore plus frileux l'an prochain, car les nouvelles règles de prudence qui s'imposent à eux vont les contraindre à limiter leurs prêts.
L'accélérateur n'est pas près d'être réparé. Et sans accélérateur, la voiture France aura du mal… à accélérer très au-delà de 1,5 % et à atteindre les 2 % prévus par le gouvernement. Décidément, ce crachotement, c'est bien embêtant.