mardi 26 avril 2011
Sirène ou Cassandre
La prévision est difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir ! À un an pile de la présidentielle, on ne donnera pas tort à Pierre Dac. À force de se prendre dans la figure des rafales d'enquêtes sur l'état dépressif des Français, leur peur de l'avenir, leur rejet du président et des partis de gouvernement au profit des extrêmes, la girouette électorale ne sait plus où donner de la tête. Noir s'annonce tellement noir qu'on s'accroche au moindre petit coin de ciel bleu. Une envie de sirènes pour oublier un peu Cassandre.
L'optimisme des industriels est tout de même une heureuse nouvelle. ils prévoient une bonne croissance au premier trimestre et entrevoient une activité dynamique à moyen terme. Et si leur optimisme se fait contagieux jusqu'aux fiches de paie et aux offres d'emploi, nul ne s'en plaindra. « Pourvu que ça doure », disait Maman Napoléon. Ça n'a pas « douré » ! Pour les industriels, et sans jouer les rabat-joie, les signaux positifs doivent être tempérés par les menaces prévisibles, hausses des cours des matières premières et des prix de l'énergie, sans oublier les coups de Trafalgar imprévisibles.
Les incertitudes économiques vont donc brouiller l'horizon. Bien malin qui peut prédire s'il y aura plus ou moins de chômeurs, de précaires ou de pauvres. À ce contexte social très volatil s'ajoutent les multiples inconnues politiques sur les candidats eux-mêmes. Entre ceux qui, à peine partis, ne sont pas sûrs d'aller au bout, comme Hulot, Borloo, Villepin, ceux qui se font attendre, comme DSK, ceux qui vont trébucher en primaires, Marine Le Pen qui fait trembler les autres, y compris Nicolas Sarkozy pas mécontent de son bilan distribué hier, il y a de quoi rendre tout pronostic aléatoire.
Le moral des Français risque ainsi de flotter entre chant des sirènes et discours de Cassandre, entre espoir et grogne, confiance et repli rageur. Face à de tels symptômes d'une société en crise et qui ne sait plus à quel saint se vouer, si ce n'est celui du populisme, la tâche des prétendants à l'Élysée n'en sera que plus complexe et certaines promesses lourdes de périls pour la suite.
Tchernobyl, Fukushima, Fessenheim : même combat ?
Il y a vingt-cinq ans, la catastrophe de Tchernobyl avait frappé le monde de stupeur mais n’avait pas remis en question le nucléaire. Si elle avait joué le rôle d’un test d’effroi – grandeur nature, hélas – son souffle n’était pas parvenu à enrayer la progression irrésistible d’une source énergétique dont les promoteurs parvinrent à imposer l’idée qu’elle était finalement bien plus propre que la plupart des autres. La contestation radicale des années 70 au son de «No nukes» avait perdu la bataille sur le terrain idéologique, en même temps qu’elle avait rendu les armes face au dogme supérieur de l’indépendance énergétique. Si une centrale avait explosé en Ukraine, c’était un accident, après tout : la faute aux effets pervers du bureaucratisme soviétique.
Un quart de siècle après l’explosion, les images de la zone interdite délimitée après le funeste 26 avril 1986 sont aussi irréelles que désespérantes, tant elles mettent en évidence la fuite irréversible de la vie. Mais au rythme des tours opérateurs qui le font désormais visiter, le site fait presque figure de curiosité de la planète.
Le désastre de Fukushima, lui, va frapper l’imaginaire du monde bien plus profondément, instillant le doute jusque parmi les peuples dont les dirigeants rêvaient de posséder la précieuse technologie atomique. Un peu partout, la côte de popularité du nucléaire a perdu des points. Si elle reste globalement majoritaire, c’est désormais de très peu. Même la France, qui l’a toujours approuvée, est en proie au doute.
Cette fois, quelque chose s’est bel et bien cassé dans la confiance que le lobby mondial du nucléaire avait patiemment réussi à imposer dans les esprits. Promettre de «dire la vérité» – comme le réclame en guise d’acte de contrition le président russe Medvedev – ne suffira même plus, maintenant qu’un pays aussi développé que le Japon était incapable de maîtriser un incident.
Au moment même où, de l’autre côté du Rhin, le gouvernement d’Angela Merkel arrête, sans état d’âme, les réacteurs allemands les plus anciens, l’arrogance avec laquelle EDF continue de prétendre qu’une vieille centrale comme Fessenheim est «aussi sûre qu’une neuve», insulte non seulement les promesses faites à plusieurs reprises par l’État, mais aussi le discernement de l’opinion.
Plus qu’une stratégie de rapprochement avec les Verts, le revirement de Nicolas Hulot en faveur d’une sortie progressive du nucléaire est emblématique de l’évolution, encore floue, des mentalités dans une catégorie charnière de la population française. Le discours sécuritaire de l’industrie nucléaire aura désormais d’autant plus de mal à convaincre que le risque n’est plus un fantasme mais une réalité vécue en direct et au jour le jour. Alors qu’importe qu’il soit plus ou moins faible puisqu’il est de toute façon monstrueux.
Il y a vingt-cinq ans, la catastrophe de Tchernobyl avait frappé le monde de stupeur mais n’avait pas remis en question le nucléaire. Si elle avait joué le rôle d’un test d’effroi – grandeur nature, hélas – son souffle n’était pas parvenu à enrayer la progression irrésistible d’une source énergétique dont les promoteurs parvinrent à imposer l’idée qu’elle était finalement bien plus propre que la plupart des autres. La contestation radicale des années 70 au son de «No nukes» avait perdu la bataille sur le terrain idéologique, en même temps qu’elle avait rendu les armes face au dogme supérieur de l’indépendance énergétique. Si une centrale avait explosé en Ukraine, c’était un accident, après tout : la faute aux effets pervers du bureaucratisme soviétique.
Un quart de siècle après l’explosion, les images de la zone interdite délimitée après le funeste 26 avril 1986 sont aussi irréelles que désespérantes, tant elles mettent en évidence la fuite irréversible de la vie. Mais au rythme des tours opérateurs qui le font désormais visiter, le site fait presque figure de curiosité de la planète.
Le désastre de Fukushima, lui, va frapper l’imaginaire du monde bien plus profondément, instillant le doute jusque parmi les peuples dont les dirigeants rêvaient de posséder la précieuse technologie atomique. Un peu partout, la côte de popularité du nucléaire a perdu des points. Si elle reste globalement majoritaire, c’est désormais de très peu. Même la France, qui l’a toujours approuvée, est en proie au doute.
Cette fois, quelque chose s’est bel et bien cassé dans la confiance que le lobby mondial du nucléaire avait patiemment réussi à imposer dans les esprits. Promettre de «dire la vérité» – comme le réclame en guise d’acte de contrition le président russe Medvedev – ne suffira même plus, maintenant qu’un pays aussi développé que le Japon était incapable de maîtriser un incident.
Au moment même où, de l’autre côté du Rhin, le gouvernement d’Angela Merkel arrête, sans état d’âme, les réacteurs allemands les plus anciens, l’arrogance avec laquelle EDF continue de prétendre qu’une vieille centrale comme Fessenheim est «aussi sûre qu’une neuve», insulte non seulement les promesses faites à plusieurs reprises par l’État, mais aussi le discernement de l’opinion.
Plus qu’une stratégie de rapprochement avec les Verts, le revirement de Nicolas Hulot en faveur d’une sortie progressive du nucléaire est emblématique de l’évolution, encore floue, des mentalités dans une catégorie charnière de la population française. Le discours sécuritaire de l’industrie nucléaire aura désormais d’autant plus de mal à convaincre que le risque n’est plus un fantasme mais une réalité vécue en direct et au jour le jour. Alors qu’importe qu’il soit plus ou moins faible puisqu’il est de toute façon monstrueux.
Fukushima, 25 ans après Tchernobyl
Nous n'en avons pas fini avec Tchernobyl, son sarcophage branlant, ses décombres radioactifs inextricables, ses conséquences sanitaires dans une région entière aux sols gorgés de césium. Vingt-cinq ans plus tard, huit millions de personnes n'ont d'autre choix que de survivre aux côtés du cadavre encombrant de la centrale ukrainienne. À Tchernobyl règne le non-dit. Les conséquences de la plus grande catastrophe du nucléaire civil restent en effet incommensurables.
Tchernobyl, combien de victimes ? Quarante-sept morts selon les Soviétiques. Quatre mille selon les autorités internationales de sûreté nucléaire. Cent mille évaluent les organisations écologistes. Vingt mille à quarante mille victimes estime, quant à lui, Claude Allègre qui ne passe pas pour un antinucléaire échevelé. Et cette tragédie humaine se poursuit. Des milliers de liquidateurs souffrent aujourd'hui encore des conséquences des irradiations : cancers, systèmes immunitaires délabrés. Chez les enfants nés après l'explosion, les médecins relèvent des fragilités osseuses et immunitaires inquiétantes.
La communauté internationale n'a pas fini de régler la facture de Tchernobyl. Car l'Ukraine, seule, ne peut faire face. Sécuriser le site est hors de ses moyens. Depuis 1986, la communauté internationale a dû, cahin caha, mobiliser plus d'un milliard d'euros pour gérer cette crise nucléaire inédite.
Le projet de grand sarcophage, chargé de fermer hermétiquement le site, quinze ans après le premier appel d'offres, n'est toujours pas totalement financé. Les donateurs se font tirer l'oreille. À Kiev, la semaine dernière, un nouveau tour de table a permis de réunir 550 millions d'euros supplémentaires. Il en fallait 740. Le Japon, frappé à Fukushima, a laissé sa chaise vide.
Une période incertaine
Tchernobyl fut le coup fatal porté à l'empire soviétique, si fier de ses réussites technologiques. L'explosion nucléaire - on ne pouvait le comprendre sur l'instant - a, par réactions en chaîne, ébranlé Moscou, fait chuter le mur de Berlin. D'une tragédie naissait une libération. Du coup, la nature même de la catastrophe a été quelque peu escamotée. Ce n'était pas l'énergie atomique qui était remise en cause, mais un modèle d'organisation sociale totalitaire.
Avec le drame japonais, la question resurgit. De quoi Fukushima sera-t-il la fin ? La fin d'une croyance aveugle dans la sécurité nucléaire au Japon, l'archipel de tous les dangers sismiques, c'est certain. La mort du mythe de l'énergie sûre, propre, économique ? Évidence. La catastrophe japonaise, vingt-cinq ans après celle de Tchernobyl, ouvre une période incertaine. En Europe, l'Allemagne et l'Italie se détournent du nucléaire. Aux États-Unis, une compagnie privée annule un projet de centrale. En Inde montent les contestations...
Les normes de sécurité, relevées, vont renchérir le prix du kilowattheure nucléaire. Dans le grand défi énergétique du XXIe siècle - défi économique et climatique - quelle place occupera l'atome ? Nul ne le sait. Nos modes de vie et de consommation vont être bousculés par un surenchérissement de l'énergie. Pétrole, gaz, nucléaire, les prix grimpent. Fukushima et ses conséquences attisent les tensions, accélèrent le débat. EDF et Areva, nos champions mondiaux de l'atome, déjà endettés, en sortiront renforcés ou à jamais affaiblis.
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