Russie-Occident : perspectives inouïes
« Nous choisirons toujours l'Occident ! » Voilà ce qu'avait répondu le président Poutine, en visite en France, il y a quelques années, lorsqu'il avait été interrogé sur les choix fondamentaux de la Russie face aux éventuelles menaces venant du Sud et de l'Est.
Aujourd'hui, les choses se précipitent. Au sommet Otan-Russie de Lisbonne, le président Medvedev a déclaré vouloir participer au projet de bouclier antimissile européen qui avait pourtant braqué la Russie contre l'Amérique de George Bush. C'est donc que ce fameux bouclier, encore loin d'être au point, ne serait pas tourné vers la Russie, mais vers d'autres périls qui pourraient menacer aussi la Russie.
Contrairement au président français qui, ces derniers jours, ciblait le danger iranien, l'Otan s'est gardée de préciser d'où viennent les menaces. Cependant, tout le monde le sait, y compris les Russes. Ceux-ci, de plus, redoutent un échec occidental en Afghanistan car les islamistes triompheraient et pousseraient leur avantage en direction des minorités musulmanes de Russie et de ses pays voisins. Du coup, les Russes coopèrent directement, déjà, avec l'Otan en Afghanistan où ils ont eux-mêmes combattu. Ils ne s'y battent pas les armes à la main, mais conseillent et apportent des appuis techniques...
Par ailleurs, la Chine est très pressante sur la frontière sinorusse de Sibérie. On ne sait pas ce que sera le monde dans quelques décennies avec ces énormes puissances ascendantes, démographiquement et économiquement, que sont, par exemple, la Chine, l'Inde, l'Indonésie. Mais le monde peut être alors plus compliqué et d'autant plus que « la menace, c'est la prolifération des armes de destruction massive et des vecteurs balistiques » (1). Avec cette ouverture du président russe, on voit l'ampleur du retournement qui fait suite à la guerre froide.
Mais cela ne s'arrête pas là et Vladimir Poutine vient de lancer une nouvelle idée proprement révolutionnaire qui va dans le même sens. « Il a appelé à la constitution d'un espace de libre-échange, de Lisbonne à Vladivostok » (2) ! Un tel marché commun englobant l'ensemble du continent européen constituerait une force économique considérable et résoudrait bien des déséquilibres.
De quoi réfléchir et espérer
Ainsi l'Europe verrait nombre de ses approvisionnements assurés, notamment en énergie (gaz, pétrole russe), mais aussi en matières premières et, de plus, elle pourrait trouver de nouveaux débouchés. De son côté, la Russie profiterait des technologies occidentales et des savoir-faire européens qui lui manquent pour se développer comme elle le souhaite. L'alliance avec l'Otan rassurerait les États-Unis qui, ainsi, ne verraient pas, dans l'offre russe, une tentative pour détacher l'Europe de l'Amérique.
Si tout cela aboutissait, c'est un monde totalement nouveau qui apparaîtrait : l'Est et l'Ouest ne seraient plus opposés comme ils l'ont été depuis la fondation de l'URSS. Par contre, ne risquerions-nous pas de voir naître de nouvelles tensions entre ce vaste Occident, de Vancouver à Vladivostok, et le sud de la planète où bouillonnent des forces plus ou moins antinomiques, des tendances contradictoires, de nombreux conflits potentiels, de grandes misères inacceptables ?
Le président Bush voulait imposer la démocratie au Moyen-Orient par la force. Nous savons bien que celle-ci ne conduira à rien. En parallèle avec cette nouvelle donne évoquée ci-dessus, c'est grâce à la coopération Nord-Sud que la paix pourra s'affirmer.
Pour cela, il faut au moins deux choses : que les rapprochements évoqués entre les trois grands pôles, États-Unis, Union européenne, Russie, faisant peut-être surgir, un jour, un nouvel Occident, ne se fassent pas contre certains, mais pour l'entente entre tous. Et aussi que la Russie elle-même avance vite sur les chemins de la démocratie. Elle gagnerait alors la confiance de tous.
Mais, comme le disait un journaliste russe, ces jours derniers, elle a encore un long chemin à parcourir pour y parvenir car, en Russie, aux yeux du peuple, la loi, qui tombe d'en haut, est plus une menace qu'une sauvegarde. C'est ce que Vladimir Poutine appelait la verticalité du pouvoir, contrairement aux démocraties où la loi émanant du peuple est pour le peuple. Voilà qui donne à réfléchir, mais aussi à espérer.
(1) Général Abrial, La Croix, 23/11/2010.
(2) Bernard Guetta, France Inter, 26/11/2010.