TOUT EST DIT

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vendredi 6 août 2010

Sécurité : la fin d'un clivage partisan ?

Point d'orgue d'une campagne de communication savamment orchestrée sur le thème de la sécurité, le sondage IFOP paru dans Le Figaro du vendredi 6 août a rassuré la majorité. Selon cette enquête d'opinion, les Français souscrivent à une nette majorité aux propositions faites par Nicolas Sarkozy à Grenoble en matière de délinquance. Qu'il s'agisse du retrait de la nationalité aux Français d'origine étrangère coupables d'agression sur un policier (80 % d'opinions favorables) à la condamnation des parents de mineurs délinquants (55 % d'opinions favorables), les mesures les plus polémiques sont soutenues par l'opinion, le plus souvent à plus de 60 % ou 70 %.
Et, le plus souvent également, sans clivage partisan. "Sur la majorité des questions, la gauche se montre en adhésion avec les propositions du gouvernement, note Frédéric Michaux, directeur adjoint d'IFOP-Opinion. C'est une évolution culturelle, notamment par rapport à la perception de la délinquance, qui correspond à un sentiment général : en 2007, 50 % des Français disaient se sentir menacés par l'insécurité. Cette année, ils sont deux sur trois." Quelques thèmes restent différenciés, comme l'enfermement des parents de mineurs délinquants, nettement plus soutenu à droite qu'à gauche.

Pour le spécialiste des sondages, cette enquête reste toutefois surprenante à plus d'un titre. "En dépit de la multiplication des lois sécuritaires, des annonces dans le domaine, il n'y a toujours pas d'effet de saturation sur l'opinion. Au contraire, alors qu'on pouvait penser que les Français trouveraient que certaines mesures vont trop loin, il y a un niveau d'adhésion très fort." Selon Frédéric Michaux, il faut y voir "l'effet d'une suite d'événements, de faits divers, qui ont marqué l'opinion. Les Français ont parlé autant de l'assassinat de l'A6 [un jeune homme battu à mort pour un accrochage en juillet] que de l'affaire Bettencourt ! Cela montre le décalage entre médias et opinion."

"MONTÉE DU RACISME ET DE LA XÉNOPHOBIE"

Mais au-delà du contexte marqué par les violences urbaines, ce sondage traduit également une remontée du sentiment xénophobe qui inquiète associations et observateurs. Me Marc Leyenberger, rapporteur de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui a publié un rapport annuel alarmiste sur la question, le reconnaît : "Il y a une certaine montée du racisme et de la xénophobie. L'adhésion des Français à ces mesures ne m'étonne donc pas." Selon lui, plus que l'origine, c'est la religion qui crée le clivage. "Les Français acceptent mieux les étrangers, mais la dimension religieuse prend le pas sur l'origine ethnique. Dans nos enquêtes, on n'obtient pas les mêmes réponses si l'on parle de Maghrébins ou de musulmans."

L'avocat note également une baisse des clivages partisans sur cette question. Dans un sondage réalisé pour le rapport 2009 de la CNCDH, 11 % des sympathisants de gauche se disaient "un peu" ou "plutôt" racistes. "Cela relève de questions de société. On sent que les gens qui votent à gauche ne sont plus aussi tolérants qu'auparavant. Il y a une tendance généralisée au 'ras-le-bol'". Pour lui, il faut tenir compte de l'impact de la crise. "Le rejet augmente dès lors qu'on a le sentiment de risquer de perdre son travail au profit d'un étranger."

Mais il ne néglige pas non plus l'effet du politique. "A partir du moment où l'on cherche à stigmatiser une population, cela a un effet dans l'opinion." Et d'incriminer un gouvernement qui "ne réagit que s'il se produit un événement. Regardez les Roms ! Cela fait des années que nous tirons la sonnette d'alarme sur la précarité de leur situation, mais il faut attendre qu'il se passe un événement grave pour en entendre parler."

"LA GAUCHE A BESOIN D'APPORTER DES RÉPONSES FORTES À LA DÉLINQUANCE"

Rien d'étonnant non plus, selon lui, à ce que la sécurité devienne un argument de communication. "Puisqu'on ne fait rien pour lutter contre cette situation, le politique finit par se dire qu'il va s'en servir. Je suis inquiet et je ne suis pas le seul, admet Marc Leyenberger. Il y a une résurgence de l'extrême droite, et dire à ces gens 'je vous comprends', c'est faire de la politique politicienne, qui ne va pas dans le sens de trouver des solutions raisonnables."

L'UMP et le chef de l'Etat profiteront-ils de la situation ? "Pour l'instant, l'opinion ne tire pas de constat d'échec de la politique de Sarkozy en matière de sécurité, même s'il avait besoin de se recrédibiliser dans ce domaine", répond Frédéric Michaux. Qui reste cependant prudent : "Le soutien aux mesures proposées ne signifie pas que l'opinion soit convaincue pour autant qu'elles seront efficaces ni qu'elles régleront le problème." Quant à la gauche, "l'enquête montre qu'elle a besoin rapidement d'apporter des réponses fortes sur le thème de la délinquance".
Samuel Laurent

La BCE conserve son principal taux directeur à 1 %

La Banque centrale européenne (BCE) a décidé de maintenir sa politique budgétaire engagée pendant la crise, jeudi 5 août, en laissant son principal taux directeur à 1 %. La BCE laisse ainsi grand ouvert le robinet du crédit, offrant aux banques des prêts à ce taux historiquement bas, inchangé depuis mai 2009, et devrait aussi continuer de leur fournir des volumes illimités. La mesure doit continuer à éloigner le spectre d'un resserrement du crédit préjudiciable à la croissance.
Cette décision intervient alors que la reprise économique s'améliore mais reste fragile. Selon le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, qui s'exprimait à Francfort après la publication de cette décision unanimement attendue par les économistes, la croissance dans la zone euro devrait rester "modérée" et "toujours inégale" : les taux de la BCE sont donc "appropriés", selon lui.

TIMIDES ÉCLAIRCIES

Par ailleurs, un changement de cap n'est pas attendu avant 2011. Actuellement, l'inflation modérée et la fragilité de la reprise économique plaident en faveur d'un long statu quo, jugent les économistes. En effet, le retour d'une certaine confiance sur le marché du prêt interbancaire ne s'est pas traduit dans les conditions du crédit au secteur privé, qui se sont durcies au deuxième trimestre et ne devraient pas franchement s'améliorer au troisième, selon un récent rapport de la BCE.

Quelques nuages se sont pourtant dissipés depuis le début de l'été sur la zone euro, avec un retour au calme sur les marchés financiers et plusieurs indicateurs macro-économiques positifs. La crise de la dette publique, qui avait fortement ébranlé la confiance dans la zone, montre des signes de détente. L'Union européenne, le FMI et la BCE ont fait état jeudi de "progrès considérables" en Grèce, épicentre de la crise de la dette publique dans la zone. Toutefois, le pays reste encore devant des "défis importants".

L'Espagne a aussi passé jeudi avec succès un nouveau test sur le marché obligataire, plaçant 3,5 milliards d'euros à trois ans, soit le maximum de ce qu'elle souhaitait émettre. L'éclaircie se lit enfin dans les volumes d'obligations publiques achetées par l'institution monétaire européenne, un programme inédit lancé en mai et controversé jusque dans ses murs car il revient à financer l'endettement des Etats. Ses achats d'obligations publiques ont fondu ces dernières semaines, stagnant à 60,5 milliards d'euros. Mais là aussi, la BCE ne devrait pas renoncer pour l'instant à cette mesure exceptionnelle, afin de conserver sa marge de manœuvre.

Le déficit budgétaire français en nette baisse

Le déficit du budget de l'Etat français a connu une belle amélioration au premier semestre 2010, s'établissant à 61,7 milliards d'euros fin juin, contre 82,4 milliards un an plus tôt, grâce à la fin des mesures de relance et à la hausse des recettes fiscales, a annoncé vendredi 6 août le ministère du budget. Au 30 juin 2010, les dépenses (budget général et prélèvements sur recettes) atteignent 189 milliards d'euros, contre 176,6 milliards fin juin 2009. Cette progression est "globalement conforme à la prévision de la loi de finances", commente le ministère du budget.
Plusieurs évolutions opposées expliquent cette progression, précise-t-il. Ainsi les crédits consommés en juin 2010 au titre de la relance sont notamment "inférieurs de 4,7 milliards d'euros à ceux consommés en juin 2009". "En sens contraire, les dépenses de l'Etat comprennent désormais la compensation-relais mise en place au titre de la réforme de la taxe professionnelle au profit des collectivités territoriales, qui atteint 15,9 milliards à fin juin 2010", souligne le communiqué.

HAUSSE DES RECETTES FISCALES

Les recettes du budget général atteignent de leur côté 141,7 milliards d'euros contre 117,3 milliards à la même date en 2009. Selon le ministère du budget, les encaissements constatés, notamment au titre des deux premiers acomptes d'impôt sur les sociétés, "confirment que les recettes sont globalement en ligne avec les prévisions" du dernier budget rectificatif. Le produit des recettes fiscales nettes s'élève à 130,7 milliards d'euros, en hausse de 22,1 milliards par rapport à la même date l'année dernière. "Cette hausse est imputable, d'une part, au contrecoup positif en 2010 des mesures de relance prises en 2009 non reconduites cette année et, d'autre part, à la reprise de l'activité économique", selon le ministère.

Parallèlement, le produit des recettes non fiscales enregistre en juin des recettes de participations de l'Etat pour un montant total de 3,7 milliards, correspondant notamment aux versements des dividendes de la Banque de France, de la Caisse des dépôts et consignations, d'EDF et de France Télécom.

Euro faible et pétrole cher creusent le déficit commercial

Le déficit commercial français s'est creusé au premier semestre 2010 par rapport au second semestre 2009, sous le coup d'une plus lourde facture énergétique, indique jeudi la secrétaire d'Etat au commerce extérieur, Anne-Marie Idrac, dans un entretien au Figaro. "Il était de 20 milliards au second semestre 2009, il s'approche de 24,5 milliards pour le premier semestre 2010", note Mme Idrac, indiquant que "les trois quarts de cette dégradation viennent de la note énergétique". Pour l'ensemble de 2009, le déficit commercial français s'était élevé à 43,03 milliards d'euros.
La secrétaire d'Etat précise qu'"au cours du premier semestre 2009, le prix du baril était en moyenne de 40 euros" alors qu'au premier semestre 2010, "il a été à 58 euros". "Notre facture énergétique s'en trouve renchérie, le déficit en souffre (...) et les trois quarts de cette dégradation viennent de la note énergétique", explique-t-elle. Anne-Marie Idrac précise que "nos exportations ont progressé de 10 % au premier semestre par rapport à la même période l'an dernier, un niveau comparable à celui de nos voisins européens" et souligne que la France est bien positionnée dans la pharmacie et l'aéronautique et que l'agriculture se redresse.

"BOOSTER DE COMPÉTITIVITÉ"

Quant à l'euro, qui s'est récemment déprécié face au dollar, "c'est un booster de compétitivité", estime-t-elle. Le mouvement devrait notamment favoriser, selon elle, une politique d'exportation "tournée vers les pays à forte croissance" comme l'Asie ou l'Amérique du Sud. "Mais il faut poursuivre nos efforts", estime la secrétaire d'Etat, en rappelant que "traditionnellement, nous exportons environ 60 % de nos produits en Europe". "Même si on ne peut pas gagner tous les contrats, l'échec de la centrale nucléaire d'Abou Dhabi (fin 2009) nous incite à nous poser des questions", relève-t-elle, évoquant notamment des réflexions sur "les systèmes de financement" ou "les partenariats stratégiques entre les entreprises françaises".

Le recul de l'euro face au dollar commence à produire ses effets sur les exportations, ajoute-t-elle. "Au premier semestre, les exportations françaises ont progressé de 36 % vers la Chine et de 50 % vers le Brésil." Pendant les six premiers mois de l'année, les grands contrats ont représenté 10 milliards d'euros, poursuit-elle.

Dilemme afghan

Les opinions publiques des pays engagés en Afghanistan s’interrogent sur le bien-fondé de leur présence en cette terre étrangère, dont le but était d’éradiquer l’un des foyers les plus virulents du terrorisme islamiste. Le doute se fait pressant sur l’efficacité de ce qu’il faut bien appeler une guerre et sur le risque d’enlisement. L’opération est coûteuse en vies humaines pour les soldats occidentaux, coûteuse aussi pour les civils afghans pris au piège des combats : jeudi 5 août, le président Karzaï demandait une enquête après la mort de 12 civils tués lors d’une frappe de l’Otan. La mort de civils est en soi scandaleuse, mais en outre elle ruine les efforts déployés pour obtenir l’adhésion de la population afghane. Le général Petraeus, nouveau commandant des forces internationales, a d’ailleurs dû redéfinir les conditions d’engagement pour « réduire les pertes de civils innocents à un minimum absolu ».

Aux États-Unis le sujet demeure brûlant pour l’administration Obama, notamment après les critiques du général McChrystal sur la stratégie américaine qui avaient provoqué sa mise à l’écart et la publication de documents militaires secrets, révélant certaines bavures sur le terrain. Si le débat en France reste feutré, il a conduit les Pays-Bas à décider le retrait de leurs troupes, malgré les demandes de l’Otan de prolonger leur présence un an encore. Ce départ a été salué dans un communiqué des talibans, rendu public par le Centre de surveillance des sites Internet islamistes (SITE). Les talibans se félicitent de la volonté néerlandaise de « rejeter l’insistance des États-Unis à prolonger le mandat de leurs troupes » et souhaitent que d’autres pays, « comme l’Allemagne », prennent la même direction. Leur ennemi est clairement désigné : « Les troupes américaines devront rester seules en Afghanistan et payer les conséquences de leur invasion » !

Par cette satisfaction affichée, les talibans offrent, à leur manière, l’argument susceptible de justifier l’engagement en Afghanistan. Du moins obligent-ils à s’interroger sur le moment où il sera possible de désengager les troupes, sans « laisser tomber » les Afghans. Pour que le dernier mot ne revienne pas à ces talibans.


Dominique Quinio

L'outil diplomatique n'est pas un luxe

« Le Quai d'Orsay est, aujourd'hui, un ministère sinistré, les diplomates sont dans le désarroi le plus total car ils ne se sentent pas défendus. » C'est en ces termes que s'exprimait récemment, dans Le Monde, l'écrivain Jean-Christophe Rufin, en quittant son poste d'ambassadeur à Dakar. L'outil diplomatique français est, en effet, en crise. Les raisons sont multiples.

Bien que ce ministère représente au mieux 1,2 à 1,3 % du budget de l'État, il a été amputé de 21 % de ses moyens depuis 2000. La crise de la diplomatie française est aussi liée au système de la Ve République, dans lequel l'Élysée court-circuite le Quai d'Orsay sur les affaires importantes. Notre politique africaine en est le meilleur exemple. C'est autour du secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, et non du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, que se prennent, aujourd'hui, les grandes décisions relatives à l'Afrique, et bien d'autres.

Cette situation est dommageable car une politique étrangère digne de la France a besoin d'un outil performant. Il faut, bien sûr, le rationaliser sans cesse. La France possède 160 postes diplomatiques et c'est trop. Si le personnel diplomatique français est, dans l'ensemble, de qualité, certains ambassadeurs continuent à gérer leurs équipes sur un mode autoritaire qui paraît d'un autre âge.

Il faut surtout que l'outil soit adapté aux fonctions d'une diplomatie moderne. La politique étrangère de la France se limite, en effet, de moins en moins aux seules affaires politiques. Être influent, c'est de plus en plus construire une présence autour des questions économiques et culturelles. La France doit ainsi savoir exporter ses productions cinématographiques, veiller à la traduction de ses écrivains, accompagner les échanges universitaires et scientifiques. Elle doit pour cela disposer d'ambassadeurs ouverts à la création, d'instituts français qui aient des budgets et des formes de communication adaptées, notamment Internet.

La crise de l'outil diplomatique arrive au moment où l'Union européenne a décidé la création, à Bruxelles, d'un service européen pour l'action extérieure. Ce service devra aider la nouvelle haute représentante, Catherine Ashton, à asseoir une politique extérieure européenne. Il reposera sur 8 000 fonctionnaires en poste à Bruxelles, mais aussi au sein de délégations de l'Union européenne dans les pays tiers.

Cette innovation est l'occasion de rationaliser leurs réseaux. Il n'est pas certain que la France ait besoin d'entretenir une ambassade à Trinitad-et-Tobago, au Surinam ou à Sainte-Lucie, si une délégation européenne peut y représenter ses intérêts. Dans la mesure où les visas délivrés à l'étranger concernent de plus en plus l'Europe, il serait logique aussi que les délégations de l'Union européenne puissent en assurer la délivrance dans certains pays.

Adapter l'outil diplomatique français est une nécessité. Le laisser mourir serait une erreur grave, car elle reviendrait à se priver d'une expertise dont la France continue d'avoir besoin pour son rayonnement.

(*) Directeur du Centre d'études et de recherches internationales (Ceri) à Sciences Po Paris.

Les mutations de la peur atomique

C'était un nom joyeux. Un nom de femme. Un de ces noms d'avion dont la légèreté tentait d'apprivoiser la cruauté de l'Histoire. Enola Gay. Mais aujourd'hui encore on le prononce avec gêne tant il évoque l'ambiguïté d'une paix payée au prix fort. Comment ne pas éprouver un profond malaise en revoyant les images de cette nuit du 6 août 1945 ? Les sourires de l'équipage du bombardier au moment d'embarquer pour aller larguer LA bombe sur Hiroshima ? Héros pathétiques, ils partaient pour abréger un conflit interminable. Ils avaient dans le cœur la promesse d'une victoire contre la guerre. Ils ne savaient pas qu'ils avaient l'horreur en soute. Ce qu'ils emportaient aussi, c'était une défaite absolue, et durable pour l'humanité. Sous ses volutes radioactives, la beauté hypnotique du champignon surpuissant allait répandre la barbarie à son plus haut degré.
Soixante cinq ans plus tard, les 210 000 morts d'Hiroshima et de Nagasaki hantent toujours la conscience universelle. Partout, les hommes justes s'interrogent encore sur le recours à l'arme totale. Que vaut vraiment l'équilibre de la terreur qu'elle a garanti entre l'Ouest et l'Est pendant un demi-siècle ? Que vaut encore la dissuasion qu'elle continue d'entretenir entre les puissances qui la possèdent ? Faut-il se résigner à ce que la peur régisse pour l'éternité le fragile équilibre du monde ?
Hiroshima est redevenue, depuis bien longtemps, une ville d'apparence « normale », comme d'autres métropoles japonaises. Pour la première fois, les États-Unis, dont l'opinion reste imprégnée par la notion de « mal nécessaire », participera aux commémorations d'une tragédie dont ils ne se sont jamais excusés. Le président Obama a obtenu le prix Nobel pour ses professions de foi sur le désarmement nucléaire. Tous ces signes pourraient donner le sentiment qu'on tourne définitivement la page de cet épisode noir du deuxième millénaire.
C'est à la fois un progrès et une illusion. La planète recèle des dizaines de milliers d'ogives dont une seule suffirait à déclencher la mécanique infernale de son anéantissement. Une poudrière. Le risque est désormais multipolaire, et la prolifération nous met à la merci de la folie d'un Kim Jong Il, d'une duplicité pakistanaise ou des ambitions sourdes d'un Ahmadinedjad. Nous sommes sauvés par la complexité de l'arme... et l'instinct de survie. En espérant que personne n'osera jamais craquer l'allumette.

Olivier Picard

La liasse coulée

et de ses soutiens s'est un peu plus dévaluée, hier, avec la mise au jour d'une nouvelle intervention dans un dossier fiscal, celui cette fois du dégrèvement de la succession César. Trois fois rien comme on dit chez les Bettencourt : 27 millions d'euros qui ne sont pas allés dans les caisses de l'État après négociation avec un des principaux et très généreux pourvoyeurs de l'UMP qui, n'en doutons pas, aura su se conduire. Ce n'est plus un conflit d'intérêts, c'est un détournement d'impôts, un abus de biens publics caractérisé. Les trop grossières ficelles de la diversion ont fait long feu et Nicolas Sarkozy n'a plus que le remaniement et le départ du ministre du Travail pour calmer l'incendie qui annonce à sa majorité un séisme pour 2012.

de ces sommes qui ressemblent à des gains du Loto, le cas Woerth n'a plus d'importance. Le problème qui se pose désormais et qui appelle de vraies réponses plus que des manoeuvres de diversion, c'est celui du financement politique de la Sarkozie. Le malodorant imbroglio Bettencourt met en pleine lumière l'inquiétante proximité entre le pouvoir et l'argent. Éric Woerth n'est qu'une pièce du système comme l'était Monatte, ce proche de Mitterrand au coeur des fausses factures d'Urba qui finançaient les socialistes.

est lié à l'argent jusqu'à la compromission, c'est son action qui est ficelée par les exigences des payeurs. À n'être que le produit des lobbies de l'argent, les élus et les gouvernants ne sont plus rien d'autre que les agents des grandes fortunes. C'est une déviation du libéralisme qui renforce le système capitaliste et les grandes entreprises financières au détriment du tissu industriel et de production.

irréprochable » devrait être de mettre notre système politique à l'abri des contraintes de l'argent. Les affaires Woerth marquent la dépendance financière dans laquelle les donateurs du premier cercle ont placé l'UMP. Or, on ne peut pas prétendre mener une politique juste et servir l'intérêt général quand on est otages de grands patrons dont on a marqué l'importance en grande pompe, dès les résultats de l'élection présidentielle connue.

DANIEL RUIZ

Le sélectionneur

Drôles de vacances qui commencent pour un gouvernement dont presque tous les membres partent en se demandant si le remaniement leur sera fatal. Bien peu en effet peuvent prétendre dormir sur leurs deux oreilles pendant ces trois semaines que Nicolas Sarkozy mettra à profit pour sélectionner l'équipe qui s'engagera derrière lui dans la bataille de 2012. Christine Lagarde, la technocrate, Brice Hortefeux, l'ami, Luc Chatel, l'imperturbable, Michèle Alliot-Marie, la chiraquienne, ou encore Bruno Le Maire, le discret villepiniste, vont sans doute partir tranquilles. Les autres sont presque tous en équilibre instable sur la branche qu'ils ont souvent sciée eux-mêmes.

Les ornements gouvernementaux de la diversité et de l'ouverture à gauche feront, c'est sûr, les frais de la cure d'amaigrissement annoncée et, avec eux, ceux qui ont souvent gaffé par paroles, par inaction et par omission. L'opinion attend de Nicolas Sarkozy qu'il remette tous les petits monarques de la République au service de l'État et en finisse avec leurs trop voyants privilèges. Son impopularité historique tient pour beaucoup aux fautes d'exemplarité qui ont fait des ravages jusque dans la cohésion de son propre camp.

Pas sûr que le chef de l'État attende le mois d'octobre pour annoncer son nouveau gouvernement. Les contre-feux qu'il a réussi à allumer en remettant sa casquette de premier policier de France ont certes fait passer au second plan les embarras de son ministre du Travail et les zones d'ombre du financement de ses campagnes, mais ils reviendront à la surface dès la rentrée et peut-être même avant si l'enquête prend enfin un cours normal.

Pas sûr non plus que l'équipe soit aussi restreinte que promise par Nicolas Sarkozy qui prépare son dernier gros remaniement du quinquennat. Il doit donc veiller à donner des gages à toutes les composantes de sa majorité, écarter ceux qui suscitent le doute, mettre en avant quelques personnalités à fort impact de notoriété et rassurer son socle électoral bien troublé ces dernières semaines. On ne peut pas se contenter du minimum de joueurs quand on sait que le match va être décisif. Dur métier que celui de sélectionneur.

DANIEL RUIZ

Sur la pointe des idées

Écran de fumée, diversion, sécurité, répression... Sentant peser sur eux le lourd reproche de la passivité face au discours de Grenoble, les socialistes sont un peu sortis du bois. Mais bien petitement et en se contentant d'opposer à l'offensive de Nicolas Sarkozy quelques tristounettes et formelles réactions. Le PS, si prompt à mettre en avant son modèle de solidarité et de lutte contre les inégalités, est resté très en dedans face aux propos du chef de l'État et à l'outrance du lien fait entre immigration et délinquance. Quelques pâles saillies de seconds couteaux là où on attendait de sonores couplets sur l'urgence qu'il y a à reconstruire la République et à donner à chaque Français, quelle que soit son origine, un avenir dans une société de justice.

Idéologiquement, le PS a tort. Il prend le risque de donner l'image d'un parti sans idéal et englué dans ses structures et sa cuisine. Mais stratégiquement, les socialistes ont raison de ne pas se laisser piéger dans un trop impulsif « Sarkozy-Front national même combat. » En clamant que Nicolas Sarkozy vire à l'extrême droite, ils ne feraient que lui donner un coup de main pour récupérer les voix du FN. De ces hésitations vient le sentiment, dans la position du Parti socialiste, d'une impuissance à proposer une alternative.

La situation est compliquée pour le PS coincé entre sa volonté de ne pas participer à la banalisation des idées de l'extrême droite et celle de capitaliser les mécontentements pour apparaître comme le meilleur opposant. Les socialistes savent d'expérience qu'il ne sert à rien de griller leur programme et leurs atouts trop tôt. Sans compter le risque de voir la dynamique détournée comme l'a été celle des écologistes dans le Grenelle de l'environnement.

Souvent à la peine avec le réalisme pragmatique et encore miné par les intérêts particuliers de ses élus, le PS aurait tort de croire que le très haut score promis à Marine Le Pen servira ses intérêts électoraux. Les stratégies étaient efficaces aux temps où la droite chiraquienne clamait qu'elle refusait toute alliance avec le FN. Or on remarque qu'en ces jours de surenchère, ceux qui disent qu'ils ne pactiseront pas avec l'extrême droite sont de moins en moins nombreux.

DANIEL RUIZ

Dites-le avec des taureaux


Le Parlement de Catalogne vient d'interdire les corridas. Cette décision réjouira les défenseurs des animaux, mais il est clair que sa motivation principale n'est pas la sollicitude à l'égard de la gent taurine : les députés qui l'ont votée à une confortable majorité (68 voix pour, 55 contre) appartiennent presque tous aux deux partis autonomistes de la région. En reniant ce symbole de l'identité espagnole, ils ont surtout voulu affirmer l'identité catalane. Le thème de leur attaque est d'ailleurs très bien choisi : d'abord parce qu'il répond, malgré tout, à l'exigence morale d'une opinion, en Espagne comme à l'étranger, de plus en plus hostile aux courses de taureaux. Ensuite parce qu'il ne coûte pas très cher politiquement : Barcelone, qui fut jadis un des hauts lieux de la tauromachie (avec trois arènes, dont la Monumental, la plus grande d'Espagne), a vu fondre depuis quelques années la fréquentation des corridas. Enfin, parce qu'il procure aux autonomistes une appréciable victoire médiatique. Le vote anticorrida, en effet, a occupé plus de place dans la presse internationale que la manifestation qui avait réuni dans les rues de Barcelone, le 10 juillet dernier, plus d'un million de personnes. Le motif de la colère était la décision de la Cour constitutionnelle de Madrid, rendue publique fin juin : elle remettait profondément en cause la charte de 2006 qui définissait le statut de la région - texte pourtant voté par les deux chambres du Parlement espagnol et massivement approuvé par un référendum en Catalogne. La cour déclarait « dépourvu de portée juridique » le terme de « nation » qui figurait dans la charte, et rabotait sévèrement les prérogatives fiscales et juridiques régionales. Beaucoup s'inquiètent, avec raison, des tendances « micronationalistes » qui s'affirment un peu partout en Europe. Il n'empêche : on aimerait que les indépendantistes de tout bord, à l'est du continent comme au Pays basque ou en Corse, trouvent pour s'exprimer des moyens aussi pacifiques que leurs homologues catalans.

Combat d'avant ou d'arrière-garde ?

Le gouvernement a clairement décidé d'engager le combat contre les délocalisations dans l'industrie ou les services. Mi-juillet, Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'Emploi, avait déjà annoncé haut et fort son intention de s'attaquer au départ du sol français des centres d'appels téléphoniques. Surtaxation des appels provenant de centres à l'étranger, aides aux entreprises choisissant de rester ici, publication d'une liste de celles ayant fait le choix inverse… Plusieurs dispositions sont sur la table. Hier, nouvelle étape. L'Etat a sélectionné la première société qui bénéficiera de la nouvelle prime à la relocalisation, à tirer sur une enveloppe globale de 200 millions d'euros. En l'occurence, il s'agit d'une fonderie de Dreux qui va rapatrier sa production déplacée en Chine.

Ces bonnes intentions sont louables. La France a perdu 2 millions d'emplois industriels en trente ans et chacun sait que les voitures, lave-linge ou vêtements achetés sous pavillon tricolore peuvent être fabriqués ailleurs. Depuis cinq ans, le nombre de téléopérateurs travaillant pour des firmes françaises au Maroc, en Tunisie, au Sénégal ou à l'île Maurice (entre autres) a été multiplié par six. Tous les responsables politiques des pays développés essaient de freiner le mouvement. Pourquoi pas nous ?

Et pourtant, il faut bien le dire : cette attitude n'est pas sans ambiguïté. Il serait facile, d'abord, d'ironiser sur l'échec des dispositifs de ce type précédents, comme celui de 2005. Heureusement, les exemples toujours cités (au demeurant peu nombreux), les lunettes Atol, les meubles Samas, les Taxis Bleus ou Meccano, ont relocalisé une partie de leur production pour d'autres raisons que les aides publiques (robotisation, qualité de la main-d'oeuvre, délais de transport)… ! Le deuxième risque, ensuite, qui n'est contradictoire qu'en apparence avec le premier, est que, quand il se met en branle, le mécanisme pourrait bien coûter fort cher aux contribuables par emploi recréé, bien plus que si cet argent avait été dépensé en formation des personnes. Le troisième est que les pays visés et que nous souhaitons être nos clients, comme actuellement le Maroc, sont en droit de crier au protectionnisme.

Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est que ce discours est porteur d'une vision raccourcie du fonctionnement actuel de l'économie : un bien serait fabriqué ou chez nous ou ailleurs. C'est en réalité bien plus complexe. Dans un livre paru en 2008 (« La Grande Transition »), l'enseignant à l'Ecole des ponts Pierre Velz cite l'exemple d'une brosse à dents de marque américaine « assemblée aux Etats-Unis, dont la fabrication met en jeu 11 sites industriels dans 8 pays d'Asie, d'Europe et d'Amérique et dont les 38 composants parcourent 30.000 kilomètres par air, mer et route ». Il ne faudrait pas non plus oublier les gains fantastiques en termes de pouvoir d'achat entraînés par la mondialisation dans les pays développés depuis vingt ans.

Si les politiques publiques nationales peuvent modifier la donne à la marge, c'est en réalité sur un autre levier que ceux qui espèrent un nouvel équilibre doivent compter : les revendications salariales à l'oeuvre dans les pays émergents (Chine, Bangladesh…).


DOMINIQUE SEUX

Le chevalier Blanc

Comme dans la chanson de Luis Mariano, il va et il vole au secours des (présumés) innocents. Grâce à lui, Benzema le mis en examen, cloué au banc de touche et d’infamie, soupçonné d’avoir fréquenté la sulfureuse Zahia, revient en grâce dans la liste des sélectionnés. Avec quel panache il a fait fi de l’avis de la ministre des Sports ! Car la justice guide son bras. Jamais rien ne l’arrêtera. Qui des 60 millions de sélectionneurs osera contester son choix ? De chacun, il est respecté, du paysan au chevalier.

Exit Domenech le cynique, voici l’homme providentiel, magnanime et populaire qui réintègre les bannis Mexès, Nasri ou Ben Arfa. Pendant que son prédécesseur, exilé sur une plage bretonne, était fusillé par l’indélicat Anelka dans les colonnes de “France-Soir”, Laurent Blanc annonçait hier la liste de ses 22 joueurs pour Norvège-France, fort du soutien de 70 % des Français. Équipe provisoire certes, le temps que les coupables du fiasco sud-africain purgent leur peine. Le nouvel homme fort, pas père fouettard pour deux sous, allie tact et fermeté. Gageons qu’il fera l’impasse sur le couplet fredonné par son prédécesseur : “Cent fois ma tête fut mise à prix. Jamais personne ne m’a pris”. Car depuis, Domenech est un peu comme l’acteur Gérard Lanvin après sa parodie d’opérette de “Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine”. Il a un mal fou à retrouver un beau rôle. Mais lui, c’est sûr, rendra force et honneur au football français. Allez, appelez-le “le chevalier Blanc”.