Il ne faut pas attendre d’un sommet européen qu’il déclenche une révolution. Celui du 21 juillet, pour le sauvetage de la Grèce mais aussi de l’euro, n’a pas fait exception à la règle.
Les 17 membres de la zone euro et les représentants de la BCE et du FMI ont tenu le seul discours qu’ils savent partager: celui de l’arithmétique financière.
Certes, on rétorquera que, pour ficeler un plan à 158 milliards d’euros, il faut bien plus que des règles de trois. Et que les débats qui se sont développé en Europe sur le sort réservé à la Grèce s’inscrivaient plus dans un champ politique que financier.
Mais le compte n’y est pas. Le deuxième plan d’aide à Athènes, après
celui de 110 milliards intervenu en mai 2010, appelait des solutions plus politiques, comme l’ont souligné en France aussi bien Martine Aubry à gauche que Jean-Louis Borloo chez les centristes. L’endettement à outrance n’est pas un mode de gouvernement, sauf à rendre un pouvoir illégitime; c’est la politique qui doit changer.
Un sommet progressivement mis en scène
Angela Merkel a fait un grand pas vers une solution de compromis. Mais il fallait, vis-à-vis de son opinion publique plutôt opposée à financer le redressement de la Grèce, dramatiser l’émergence d’une solution pour que l’Allemagne ne donne pas l’impression de payer sans sourciller. D’autant que, même si son économie est la plus florissante de la zone euro, l’Allemagne est confrontée à la dette publique la plus élevée en valeur de la zone (2.079 milliards d’euros) devant l’Italie (1.843 milliards) et la France (1.591 milliards).
Ramenée au PIB, elle en représente tout de même 79%, contre 85% pour la France et 125% pour la Grèce. Les Allemands, déjà contraints à la rigueur, savent que la période de vaches maigres va se poursuivre malgré leurs performances à l’exportation. Berlin ne pouvait donc pas adhérer à un deuxième sauvetage grec sans manifester de réticences pour rassurer les électeurs allemands.
Côté français et côté BCE, on se refusait à émettre l’hypothèse d’un défaut de paiement de la Grèce. Une position balayée au sommet par la reconnaissance d’une «faillite partielle» –c'est-à-dire d’une faillite tout court– de la Grèce.
En fait, depuis de nombreuses semaines, l’idée d’une restructuration de la dette faisait son chemin jusque parmi les banquiers. Mais, pour éviter un vent de panique et une propagation de la défiance à d’autres pays de la zone euro, la BCE et l’Elysée s’accrochèrent le plus longtemps possible à leur position.
Pour sauvegarder une monnaie, tout comme on n’annonce pas à l’avance une dévaluation, on ne clame pas sur les toits une faillite à venir. Et l’on attend qu’une solution alternative ait émergé pour le reconnaître sans risquer une réaction brutale des marchés. Ce que firent Paris et Francfort. Jusqu’à leur volte-face de Bruxelles. Mais en l’occurrence, tout ceci avait été anticipé.
Il y eut donc une pseudo gestion politique de ce dossier, jusque dans les dernières heures entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel et avec les pays de l’Eurogroupe. Mais cette politique-là, qui vise à créer de la solidarité en situation de crise, en catastrophe, n’est pas à la hauteur des besoins pour consolider l’euro.
De nouvelles interrogations pour les marchés
C’est d’un autre niveau de politique dont l’Union européenne a besoin. En l’occurrence, ce nouveau plan de sauvetage qui ajoute de la dette à la dette, ressemble à un emplâtre dont on ne sait s’il se maintiendra longtemps. Il a l’ambition de régler le cas de la Grèce avec une promesse de trente ans d’austérité. Quel gouvernement peut s’engager sur de telles durées?
Encore faudrait-il que les fondamentaux grecs ne continuent pas à se dégrader, ce qui a été le cas au premier semestre 2011 avec un déficit budgétaire supérieur aux prévisions établies pour boucler le premier plan de sauvetage.
Et quel est le signal lancé par Nicolas Sarkozy à Bruxelles, au nom des participants au sommet, déclarant que le mode de sauvetage de la Grèce ne sera reproduit pour aucun des pays dans le collimateur des marchés – Irlande, Portugal, Espagne, Italie? L’Europe a mis en place
un fonds européen de stabilisation financière et vient de décider de le renforcer pour répondre à de nouvelles attaques spéculatives.
Mais tant qu’une nouvelle politique ne permettra pas de pérenniser de nouvelles recettes, toute solution se résume à accroître l’endettement des pays, même si les remboursements sont lissés dans le temps, (comme pour un foyer qui, pour s’endetter plus sans augmenter ses remboursements mensuels, négocie un plus longue durée de crédit).
Une dette asphyxiante, un silence coupable
L’explosion de la dette publique en Europe rend inaccessible son remboursement.
Prenons le cas de la France. Par rapport au PIB, la
dette publique a augmenté du tiers en trois ans. Mais surtout, le service de la dette –
45 milliards en 2009, un peu plus aujourd’hui– atteint des sommets où l’on tombe par asphyxie.
Il s’agit, comme pour tout emprunt, des
intérêts que l’Etat doit payer dans l’année. Lorsque les montants étaient de l’ordre de 15 à 20 milliards d’euros voilà vingt ans, les débats allaient bon train pour dénoncer le niveau insupportable du service de la dette qui pénalisait la croissance. Aujourd’hui, à 45 milliards et plus, on semble pouvoir le supporter. Impossible! Malgré tout, les responsables politiques gardent le silence.
Si les contribuables doivent faire les frais des restructurations à venir, ils n’accepteront pas indéfiniment d’être placés devant le fait accompli. C’est le message des «indignés» en Grèce et en Espagne; c’est aussi, en France, celui des participants à la primaire des Verts qui, en désignant Eva Joly pour les représenter aux élections présidentiels, ont choisi la rupture la plus radicale avec la politique en place.
Car les contribuables ne se font guère d’illusion: pour eux, les périodes de vaches maigres commencent. Et pour longtemps, si l’on en croit la Cour des comptes qui tire la sonnette d’alarme dans son rapport annuel, pronostiquant
une dette à 100% du PIB et des intérêts de 90 milliards d’euros dans le cas d’une gestion au fil de l’eau.
L’impossible statu quo politique
C’est là qu’une autre politique s’impose. La logique financière a atteint ses limites. A de tels niveaux, un Etat ne peut continuer à recourir à l’endettement, à s’interdire toute stimulation de l’économie et à pénaliser les générations à venir uniquement pour ne pas remettre en question un modèle d’économie libérale dont les excès placent les populations sous pression.
Pas de manichéisme: il ne s’agit pas d’opposer un système collectiviste à un système libéral, mais à introduire de vraies régulations, au niveau au moins européen. Et arrêtons d’agiter le spectre d’une désertion des acteurs financiers:
l’Union européenne est encore la région la plus riche du monde, ils ne pourraient la déserter. Au contraire, une plus grande stabilité avec des règles claires répondrait à leur attente.
Les gouvernements ne pourront longtemps conserver leur légitimité s’ils continuent à pratiquer des politiques fondées sur des logiques uniquement financières au détriment de leurs électeurs et de leurs aspirations sociales.
Il est de la responsabilité des politiques de gouverner avec une vision plus large. Ne serait-ce que pour générer des recettes nouvelles (taxe sur les banques) ou pour avancer plus vite que ne le fait le G20 sur une refonte de la gouvernance du système financier international.
La solidarité européenne devra bien être consolidée par de véritables structures politiques et pas seulement laissée à l’appréciation des gouvernements en place, en fonction du moment. Ce qui passera par des abandons de souveraineté nationale (sur la fiscalité, par exemple), mais permettra aussi d’affirmer une puissance économique collective (plus de 500 millions d’habitants dans l’Union européenne, et 370 millions dans
la zone euro) qui ne peut aujourd’hui s’exprimer pleinement. Une vraie remise en question pour l’Union européenne, et pour le couple franco-allemand.