vendredi 15 juillet 2011
Europe: embellie avec des propos de Ben Bernanke
Fitch égratigne cinq banques grecques
Conséquence logique de la dégradation par Fitch mercredi de la note souveraine de la Grèce, l'agence a annoncé vendredi 15 juillet avoir abaissé d'un cran la note des cinq principales banques grecques, à "B –", en raison des pressions exercées sur "les liquidités, la consolidation et les actifs" de ces établissements de crédit.
Les banques concernées sont la Banque nationale de Grèce, Eurobank, Alpha, Piraeus et Ate, qui figurent sur la liste des 91 banques de 21 pays européens soumises à des tests de résistance par l'Autorité bancaire européenne (EBA), dont les résultats seront publiés vendredi soir.
Selon l'agence, cette dégradation montre "la détérioration de la solvabilité de ces banques" ainsi que les "sérieuses inquiétudes sur la dette et l'économie de la Grèce". L'agence rappelle que "les banques grecques sont actuellement soutenues par des liquidités extraordinaires de la Banque centrale européenne et sont exposées à des risques, ce qui ne leur donne qu'une marge de manœuvre limitée étant donné les fuites de capitaux à l'étranger". L'agence note également "la vulnérabilité des capitaux des banques grecques exposés à la dette publique du pays".
CRAINTES SUR UNE CRISE DE LIQUIDITÉS
Le ministre grec des finances, Evangelos Venizélos a réaffirmé jeudi sa confiance dans la solidité du système bancaire grec. Au cours des tests de résistance de juillet 2010, au début de la crise grecque, seule la banque Ate avait échoué. Les cinq autres banques grecques avaient résisté, leur ratio des capitaux propres se situant au-dessus de la barre des 5 %.
"Sortir de l’euro permettrait à la Grèce de repartir"
Berlin, Correspondance - De tradition libérale, réputé pour son franc-parler, Hans-Werner Sinn est l'un des plus célèbres économistes allemand. Directeur de l'institut de conjoncture munichois IFO, il compare la situation actuelle de la Grèce avec celle de l'Allemagne après la crise de 1929.
M. Sinn, vous plaidez pour une sortie temporaire de la Grèce de la zone euro. Cela ne signifie-t-il pas la fin de la monnaie unique ?
L'Allemagne a connu la même situation entre 1929 et 1933. A l'époque, elle ne pouvait pas dévaluer sa monnaie à cause des plans Dawes et Young ; elle a dû procéder à une baisse de ses prix de 23 % et de ses salaires de 30 %, qui a mis le pays au bord de la guerre civile et fait le lit du nazisme. La même chose pourrait se passer en Grèce si on continue à exiger d'elle qu'elle baisse ses prix et ses salaires de 30 %.
Une sortie de l'euro ne serait-elle pas encore pire pour le pays ?
Une sortie de la Grèce de l'euro déclencherait en effet une panique bancaire : les gens se précipiteraient en même temps vers les banques pour retirer leurs dépôts afin de se protéger du change en drachme et d'une dévaluation. Les banques seraient alors en faillite. Il faudrait donc soutenir les banques.
L'avantage d'une sortie de l'euro est que l'économie pourrait repartir après quelques mois : au lieu de tenter de baisser des millions de prix et de salaires en restant à l'intérieur de la zone euro, on en baisse un seul, le taux de change. L'avantage pour les entreprises de l'économie réelle est que leurs dettes sont également changées en drachme, donc avec une baisse de valeur. Les dettes vis-à-vis de l'étranger deviennent insupportables. Dans les deux cas – maintien ou sortie de la Grèce de la zone euro –, les Etats européens doivent de toute façon soutenir le système bancaire, et restructurer la dette du pays. C'est inévitable.
Les plans d'aide européens à la Grèce ont-ils encore un sens ?
Non. Les politiques qui pensent qu'ils pourront sauver la Grèce et les autres pays en danger avec de nouveaux plans d'aide surestiment les capacités du contribuable européen. Ces programmes ont par ailleurs un effet pervers : ils cimentent en réalité le défaut de compétitivité de la Grèce. Ils ne sont pas une solution : les sommes en jeu sont énormes, elles provoquent les protestations des contribuables des pays stables, y compris la France, et n'aident pas les pays concernés.
Pourquoi ?
En Allemagne, nous avons fait l'expérience de ces effets pervers avec la réunification : nous avons créé, avec les Länder de l'Est, une "union de transfert". On transfère des sommes gigantesques de l'Ouest vers l'Est depuis vingt ans. Aujourd'hui, le résultat est décevant : ces régions ne sont pas compétitives, parce qu'elles sont dépendantes de ces transferts. On observe un exode massif des forces de travail car les créations d'emploi sont trop faibles. Le PIB [produit intérieur brut] par habitant n'augmente que parce que les habitants quittent ces régions. La réunification a raté l'opportunité de voir l'Est retrouver de la compétitivité et une croissance durable grâce à une modération salariale.
Combien de temps durerait cette sortie de la Grèce de la zone euro ?
On peut imaginer qu'après la dévaluation, le pays n'ait besoin que de quelques années pour retrouver sa compétitivité. Un retour dans l'eurozone se ferait sur la base du nouveau taux de change.
Cela ne déclencherait-il pas une réaction en chaîne ?
L'Irlande et le Portugal ont aussi reçu des programmes d'aide, et l'Italie comme l'Espagne sont sous la pression des marchés… Attention : on ne peut en aucun cas mettre l'Italie et la Grèce sur le même plan. L'Italie a une économie robuste, le nord du pays abrite les régions les plus productives et les plus riches d'Europe. Je ne me fais aucun souci : l'Italie réussira à réduire sa dette en appliquant un vrai programme de réduction des dépenses publiques. L'Espagne et l'Irlande sont également en mesure de régler leurs problèmes. L'Irlande a un comportement exemplaire. Il en est autrement du Portugal, qui a une situation similaire – quoique moins grave – à celle de la Grèce. Là aussi, il n'y a aucun signe qui montre que le Portugal peut retrouver sa compétitivité à court terme. Les politiques doivent s'interroger : sont-ils prêts à une déflation à l'intérieur de la zone euro?
L'euro est-il viable à long terme?
Pour moi, l'euro et l'eurozone sont indispensables, parce qu'ils concourent à une plus grande intégration de l'Europe, et j'espère que ces problèmes ne sont que passagers. La question, aujourd'hui, est la suivante : veut-on multiplier les programmes d'aide ou veut-on faire appel à la responsabilité des Etats ? Pour moi, il faut autoriser la compétition à l'intérieur de l'eurozone, tout en ayant un outil d'aide en cas d'urgence. On a besoin d'un système de spreads [taux différentiels] qui reflète la vraie capacité des Etats à rembourser leurs créances afin qu'ils soient incités à limiter leur endettement. Si, comme le soutiennent certains, on met en commun les dettes et crée des "eurobonds", on crée un système qui pousse à l'irresponsabilité.
La dette grecque devrait connaître un pic en 2012
La dette publique de la Grèce devrait atteindre un pic de 161 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2012 avant de retomber si le pays applique le programme de consolidation budgétaire voté fin juin, selon des projections de la Banque centrale européenne publiées jeudi 14 juillet dans son bulletin mensuel. Cette dette devrait représenter, en 2020, 127 % du PIB. Ce chiffre serait néanmoins toujours bien au-dessus de l'exigence du pacte de stabilité et de croissance de la zone euro (60% du PIB). Le Fonds monétaire international, lui, table sur une dette grecque à 158 % en 2012.Mme Merkel veut un accord avant de tenir un sommet
La chancelière allemande, Angela Merkel a déclaré, jeudi 14 juillet, que les pays de la zone euro ne devraient tenir un sommet extraordinaire que lorsqu'ils seront prêts à adopter un accord pour résoudre la crise de la dette grecque. "Je pense que la condition préalable serait que nous soyons en mesure de prendre une décision et de finaliser le plan [d'aide] à la Grèce", a-t-elle insisté lors d'un déplacement officiel à Abuja, au Nigeria. Signe de la montée en puissance des négociations, au même moment, les banques créancières de la Grèce étaient réunies à Rome avec des responsables européens pour tenter d'avancer sur leur participation au nouveau plan de soutien à Athènes.L'UE veut aider la Grèce à se relancer
La Commission européenne s'est dite prête vendredi à accroître le montant de sa contribution au financement de projets d'infrastructures en Grèce. Une telle mesure aiderai le pays à relancer l'économie nationale asphyxiée par la crise de la dette.
A ce jour, Athènes n'a utilisé qu'un quart de l'enveloppe de 20,2 milliards d'euros d'aides de l'UE aux régions défavorisées auxquels le gouvernement peut prétendre dans le cadre du budget européen en cours (2007-13).
En cause: la crise budgétaire dans laquelle se débat le pays, qui empêche les pouvoirs publics de trouver l'argent nécessaire au niveau national pour co-financer les projets qui pourraient en profiter. La règle européenne impose en effet aux Etats d'apporter une partie des fonds à chaque fois.
Du coup, la Commission a jugé "possible" vendredi de relever de 79% actuellement à 85% son taux de financement. "Cela sera réglé" en ce sens "dans les semaines et mois à venir" pour "s'assurer que les fonds européens puissent être investis dans l'économie grecque", a indiqué le porte-parole de l'exécutif européen pour l'aide régionale, Ton van Lierop, lors d'une conférence de presse.
Un accord en ce sens a été trouvé jeudi soir lors d'une rencontre entre le commissaire chargé du dossier, Johannes Hahn, et le ministre grec du Développement régional, Michalis Chrysochoïdis.
Selon le porte-parole, quelque 7,7 milliards d'euros de fonds de l'UE pourraient ainsi être débloqués à plus ou moins court terme pour relancer des projets actuellement gelés en Grèce faute de moyens suffisants.
Dans le temps, Bruxelles a demandé à la Grèce d'alléger ses procédures trop "bureaucratiques" pour l'octroi des fonds de l'UE aux entreprises, les petites et moyennes en particulier.
Et la Commission souhaite que le gouvernement réduise les coûts d'expropriation dans le pays. "Nous sommes d'avis qu'ils sont trop élevés à l'heure actuelle", a dit le porte-parole. Leur baisse pourrait permettre d'octroyer des concessions à cinq projets d'autoroute dans le pays, actuellement en suspens et bénéficiaires potentiels de subventions de l'UE, a dit le porte-parole.
Défilé du 14-Juillet : tollé politique après la proposition d'Eva Joly
En se déclarant favorable à un remplacement du défilé militaire du 14-Juillet, organisé depuis 1880 sur l'avenue des Champs Elysées, par un "défilé citoyen", Eva Joly a provoqué un tollé politique.
A droite, si des membres du gouvernement se sont empressés de dénoncer les propos de la candidate écologiste, se déclarant "choqués" par cette proposition à l'instar de Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, ou de Marc Laffineur, secrétaire d'Etat aux anciens combattant, la charge la plus violente est venue de certains députés UMP et de l'extrême-droite.
Lionel Tardy, député UMP de Haute-Savoie, a qualifié sur Tweeter cette proposition de "ridicule" et "démagogique" ajoutant qu "il est temps pour elle (Eva Joly) de retourner en Norvège." Le député UMP Guy Teissier, président de la commission de la défense à l'Assemblée nationale, a lui taxé la candidate écologiste d'"anti-France". Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, a pour sa part dénoncé "une part d'incompréhension de ce qu'est la France". Tous les trois font référence aux origines norvégiennes de la candidate écologiste. Née à Olso en 1943, Eva Joly possède la double nationalité, franco-norvégienne, acquise par mariage.
Ces propos rejoignent ceux de Marine Le Pen (FN) qui s'en est déjà pris aux origines étrangères de Mme Joly. "Je ne crois pas qu'il soit légitime de se présenter à la présidence de la République quand on est devenu français tardivement", a-t-elle de nouveau déclaré avant d'ajouter : "Ça démontre que Mme Joly ne comprend absolument rien aux liens extrêmement profonds qui existent entre le peuple français et son armée."
Ce 14 juillet a ressemblé à une étrange figure de style mêlant au-delà des mots de circonstance sentiments opposés et réalités contradictoires. Une journée antithétique où l’on a rituellement fêté la nation et pleuré les soldats tombés loin de la France, défenseurs héroïques et sacrificiels, selon l’éloge, de ses valeurs jusqu’au fond des vallées perdues de l’insondable Afghanistan.
En regardant le traditionnel défilé, on ne pouvait qu’être saisi par un insidieux malaise créé par le décalage des images. Au premier plan, l’éclatante parade d’avions, chars et véhicules rutilants sous le soleil des Champs-Élysées et la fierté de ces soldats impeccables dont les lames des fusils et les médailles des honneurs brillaient dans la belle lumière de juillet. Et puis, en fond d’écran, à la fois invisible et présent, la silhouette d’une guerre interminable que le pays ne comprend pas au-delà du sinistre décompte qui la résume. 70. 70 hommes, jeunes pour la plupart, qui ont payé de leur vie un engagement dont on peine à voir le grand dessein. Les six derniers sont morts pour un symbole peu évocateur pour l’imaginaire collectif: une route de la Kapisa, certes stratégique, mais qui sera reprise par les combattants talibans quand le dernier drapeau tricolore aura quitté l’horizon afghan en 2014.
Au moins ont-ils eu le privilège d’avoir donné «un sens à leur vie», a commenté le président de la République, dont l’affection n’était pas feinte. Le sens, c’est bien ce qui fait défaut, pourtant, à l’aventure française dans un conflit dont on pressent qu’il n’aura pas la fin que l’Occident avait rêvé, avec quelque légèreté, de lui inventer. Le retrait, dans ces conditions, prendra forcément les allures d’une retraite puisque les objectifs n’auront pas été atteints et que les succès n’auront pratiquement aucune chance d’être durables. Si seulement les forces afghanes étaient capables, après le départ de leurs alliés, de conserver les acquis sur le terrain, l’épilogue ne serait évidemment pas le même, mais ce n’est plus un scénario envisageable.
Le désengagement est aussi inéluctable que désespérant mais l’Élysée ne peut pas, décemment, accélérer le calendrier au risque de ruiner le maigre héritage d’une décennie de présence à Kaboul. Ce flottement ressemble à une inconnue nommée pudiquement «transition». Un entre-deux d’autant plus douloureux pour le gouvernement qu’il peine à faire comprendre son désarroi à une opinion de plus en plus impatiente.
Rien ne servirait de blâmer ce président qui, pressentant le désastre, avait clairement dit son hostilité à la présence militaire française pendant toute la campagne présidentielle de 2007. Il aura fait ce qu’il a pu. Mais, quel qu’il soit, le ou la future locataire de l’Élysée devra en tirer les leçons sur un volontarisme planétaire trop volontiers allégorique.
Euro : le bon, la brute et le truand
Le bon polonais
Le truand grec
La brute allemande
La bourse ou la vie
Un aller simple Paris-Oslo pour la Saint Just des fjords
Un choix cornélien
Le visiteur ne voit pas tout de suite si un pays est au bord de l’effondrement économique. Si ce pays est sur la corde raide. S’il est à court de bailleurs de fonds. La menace est invisible – même quand il en va de l’avenir d’un continent tout entier.
Depuis le début de la semaine, les obligations d’Etat italiennes sont en chute libre. Et quand l’impensable se précise – la faillite de l’État italien – c’est une autre catastrophe qui se dessine à l’horizon : la fin de l’euro.
Les plans de sauvetage font fuir les investisseurs
Les bailleurs de fonds ont d’ores et déjà rendu leur jugement. Ils retirent leurs capitaux de nombreux pays. On parle d’"attaques de Wall Street" contre l’euro, de marchés financiers impitoyables qui, après la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, prennent désormais l’Italie pour "cible". De grandes banques américaines, qui cherchent à affaiblir l’euro pour que le dollar reste la monnaie dominante sur les marchés des devises. C’est également le message diffusé par les responsables politiques européens auprès du public. Vous voyez, veulent-ils convaincre, nous faisons tout pour sauver notre monnaie, mais ce sont les spéculateurs qui ruinent tous nos efforts.Mais ce n’est là qu’une partie de la vérité. L’autre partie – que l’on tait volontiers – est que ce sont précisément les plans de sauvetage orchestrés par les pays européens qui font fuir les bailleurs de fonds dont l’Europe a besoin.
Au soir du 5 juillet, l’agence de notation Moody’s envoie un communiqué de quelques lignes à ses clients – des banques, des assurances et des fonds d’investissement du monde entier. L’agence s’est penchée sur les chiffres du budget portugais, s’est entretenue avec des représentants du gouvernement et des banquiers centraux, mais ses experts n’ont pas été convaincus par ce qu’ils ont entendu. La note du Portugal est dégradée. Les agences de presse relaient la nouvelle, et dans le monde entier, les investisseurs s’empressent de vendre leurs titres portugais. Le cours de l’euro dégringole.
Immédiatement, la commissaire européenne Viviane Reding réclame le démantèlement des grandes agences de notation, son collègue Michel Barnier demande l’interdiction des notations pour certains pays, et le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble diligente une enquête pour savoir s’il y a eu "comportement abusif". L’Europe contre les pratiques douteuses des marchés financiers : voilà une histoire facile à vendre au public. Y compris aujourd’hui, dans le cas de l’Italie. Certes, la dette publique italienne est élevée – mais elle s’est stabilisée, contrairement à celles d’autres pays. Les banques se portent bien et la situation financière des ménages est solide. Pourquoi alors les marchés cèdent-ils à la panique, et pourquoi maintenant ?
Là encore, le communiqué de Moody’s donne quelques éléments de réponse. Une des raisons principales du déclassement de l’Italie est "la probabilité accrue de la nécessité d’une participation du secteur privé" dans le déblocage de nouveaux crédits d’aide. L’agence de notation s'inquiète précisément de ce que souhaite imposer du gouvernement allemand : que les banques et les assurances versent leur écot au financement des plans de sauvetage. De manière facultative, mais potentiellement obligatoire en fonction des besoins. C’est ce qu’ont promis Angela Merkel et Wolfgang Schäuble au Bundestag – et aux députés rétifs de la coalition au pouvoir.
C’est précisément ce qui pose aujourd’hui problème. Les banques et les assurances sont payées pour investir l’argent de leurs clients dans des placements lucratifs. Or, en cas de pertes imminentes, elles doivent se retirer. C’est ce qui s’est produit en Grèce et en Irlande. Et ce qui se produit aujourd’hui au Portugal et en Italie.
Plaire aux députés ou aux marchés ?
C’est ainsi que les Européens, menés par les Allemands, se sont mis face à un dilemme stratégique. Ou bien ils renoncent à une participation à court terme de la haute finance – au risque d’irriter les parlementaires. Soit ils imposent cette participation contre la volonté de Wall Street – et prennent le risque d’une fuite massive de capitaux. Quoi qu’il en soit, chaque jour de valse-hésitation qui passe renforce l’incertitude. Et donc aggrave la crise.Peter Demirali fait partie de ces gens qui ont fait une croix sur l’Europe depuis longtemps.
Ce gestionnaire de portefeuilles travaille pour le fonds d’investissement new-yorkais Cumberland Advisors, qui gère plus de 1,8 milliard de dollars pour le compte d’investisseurs internationaux. L’idée européenne est "noble et quelque part admirable", reconnaît-il. Mais le continent ne possède pas les fondations politiques nécessaires pour se permettre une monnaie unique. L’euro n’a pas d’avenir à ses yeux.
Un argument fréquent à Wall Street. Les marchés financiers ne font pas confiance à la politique européenne pour résoudre les problèmes – bien que la zone euro soit moins endettée que les Etats-Unis. Spéculateur sur les taux de change, John Taylor a comparé la monnaie unique à un poulet dont on aurait tranché la tête et qui continuerait encore à courir en tous sens avant de finir par tomber raide.
Divisée, hésitante, indécise : telle est la vision que les investisseurs ont de l’Europe – et c’est pourquoi ils préfèrent placer leurs argent ailleurs. Une personne a multiplié les mises en garde contre la logique impitoyable des marchés : Jean-Claude Trichet, le chef de la Banque centrale européenne. Depuis plusieurs semaines, il fait la tournée des capitales européennes avec un message : une participation forcée du secteur privé représente un grand danger. Si l’objectif est de protéger le contribuable, ce n’est qu’en apparence, car, en fin de compte, une intervention du secteur privé ne fera qu’alourdir la note. Lors d’une réunion de crise lundi à Bruxelles, Jean-Claude Trichet a bien pu faire valoir ses objections. Mais son influence s’arrête là.
Ainsi, l’Europe approche en ordre dispersé du moment décisif sur l’avenir de l’euro. Le fonds d’aide doit être renforcé – peut-être obtiendra-t-il davantage de crédits et de nouvelles compétences – et les taux d’intérêt des aides financières doivent être abaissés. Les tabous tombent, les uns après les autres. Pour autant, il est clair que les Européens ne pourront jamais réunir les capitaux nécessaires pour renflouer l’ensemble des États endettés. C’est pourquoi l’Europe a besoin des bailleurs de fonds qu’elle fait fuir aujourd’hui.
Vu d'Allemagne
Naufrage en cours
Otto de Habsbourg : un prince d’Europe
« II faut être bon patriote pour être bon européen. L’Europe est une communauté de nations, une communauté diversifiée. » L’homme qui s’exprimait ainsi dans un reportage inédit que lui consacrait FR3 en 1991 et dont j‘étais l’un des auteurs se trouvait particulièrement bien placé pour évoquer l’Europe, son destin et son avenir. L’Europe des Nations était sa passion, la défendre était sa mission. Il précisait :
« L’Europe est un dénominateur commun. Un patrimoine commun. Il n’y a jamais eu autant de musées des Arts et Traditions populaires que de nos jours et la jeunesse s’y intéresse. » Et, sur ce sujet sensible, il concluait, sans ambiguïté : « L’Europe sera chrétienne ou ne sera pas. » L’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine qui vient de s‘éteindre était né le 20 novembre 1912, fils aîné de Charles, dernier empereur d’Autriche-Hongrie et de Zita, née Bourbon-Parme. Il ne s’est pas contenté d‘être un héritier de l’Histoire, il fut aussi un acteur essentiel de son temps et un visionnaire qui redonna un lustre à son illustre patronyme, de l’entre-deux guerres à la guerre froide. La liberté en Europe lui doit beaucoup.
L’Europe coulait dans ses veines puisqu’il était à la fois un descendant de Charles-Quint, de l’impératrice Marie-Thérèse, de François-Joseph et aussi de Louis XIV par sa mère. Ce sont les tourments et les tragédies du XXe siècle qui ont façonné son destin, dans la douleur puis l’apaisement et l’espoir. Sa vie et sa personnalité étaient fascinantes. Le 30 décembre 1916, en pleine Première Guerre mondiale, il accompagnait ses parents à Budapest où ils étaient couronnés souverains apostoliques de Hongrie, dans la même église où l’avaient été François-Joseph et Sissi en 1867. Le jeune Otto, âgé de 4 ans, coiffé du traditionnel bonnet à plumes, était leur petit-neveu. Il a été témoin des efforts pathétiques de son père et de sa mère pour arrêter la tuerie et négocier une paix séparée. En vain… Clemenceau porte une gravissime responsabilité : par son obstination et son anti-monarchisme obsessionnel, « le Tigre » refusa une négociation avec Vienne. La guerre continua… Les idéologues pacifistes de 1918-1920 s’acharnèrent à détruire les empires, dont celui des Habsbourg, au nom de la fraternité. Ces négociateurs, aveugles et sourds, oublièrent l’avertissement de Talleyrand au Congrès de Vienne en 1815 : « Ne détruisons jamais l’Autriche : c’est le rempart de l’Europe. » La création d’ Etats artificiels, comme la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, a pulvérisé ce rempart, laissant le champ libre à Hitler puis à Staline, avec les tragiques conséquences que l’on connaît. Otto grandit dans le spectacle d’une Europe qui s‘était suicidée et n’avait rien compris, ni aux lois de l’ Histoire ni à celles de la Géographie.
Jeune prince portant un nom honni et vivant dans la gêne (en exil ibérique, il lui est arrivé de ne pouvoir sortir de chez lui pendant trois jours, le temps nécessaire au cordonnier pour réparer l’unique paire de chaussures du descendant des souverains du Saint Empire romain germanique…), Otto fut l’un des premiers à lire Mein Kampf et à comprendre qu’Hitler voulait et aurait la guerre, sa revanche contre « le diktat de Versailles » et ses dramatiques illusions de paix. Otto prévint les dirigeants européens. Peu l‘écoutèrent. « Hitler fut, dans ma vie, le seul homme avec qui j’ai refusé d’avoir une conversation. » L’archiduc visionnaire devint la bête noire du national-socialisme. Un commando fut chargé de l’enlever mais il s‘échappa. Par vengeance, Hitler appela l’Anschluss de 1938 d’un nom de code explicite : « Opération Otto ». En 1940, Son Altesse Impériale et Royale est l’un des derniers à quitter Paris « ville morte ». Puis, ce fut Bordeaux, l’Espagne, les Etats-Unis. Un nouvel exil qui ne l’empêche pas de revendiquer auprès du Président Roosevelt son credo : « Je suis Européen. » Avant son départ, Otto avait réglé la situation de nombreux réfugiés autrichiens, y compris juifs et communistes. En 1944, Otto avertit Roosevelt, agonisant, et Churchill que Staline va avaler toute l’Europe. De nouveau, le plus discret et le plus remarquable des aristocrates se dresse contre une autre barbarie, le communisme stalinien et il permet à l’Autriche de survivre avant de retrouver son identité dix ans plus tard, en 1955.
En 1951, le prince, respectueux des particularismes et des langues (il en parlait parfaitement huit et le hongrois était son idiome préféré), il épouse, à Nancy, Regina de Saxe-Meiningen, disparue au début de 2010 et qui lui donna sept enfants. Aimant la France, il n’avait pas choisi la capitale lorraine sans raisons. « Nous sommes des Lorrains très attachés à cette région. Plusieurs de mes ancêtres sont enterrés dans la chapelle des Cordeliers. » Devenu député européen après bien des péripéties, esprit à la curiosité universelle, il maniait aussi un humour discret. Ainsi, au Parlement de Strasbourg, où il se faisait appeler simplement « Dr Habsburg », lorsqu’on lui signala un match de football Autriche-Hongrie, il demanda « Contre qui ? ». Conférencier étincelant, auteur d’ouvrages brillants, éditorialiste à L’Est Républicain, il refusa, après la chute du communisme, de diriger l’Etat hongrois comme on le lui proposait. Et il me dit : « Qu’est-ce qu’un conservateur ? C’est quelqu’un qui réalise les réformes dont les progressistes ne font que parler. Il faut retenir les faits, ne pas les masquer par les idéologies. » Une leçon lumineuse, à méditer du côté des technocrates froids et anonymes de Bruxelles. Au nom de l’Histoire dont ce prince humaniste et passionnant restera un étincelant symbole. Merci, Monseigneur. Reposez en paix. L’Europe, la vraie, la nôtre, ne vous oubliera pas.