lundi 27 décembre 2010
L'euro ? Non merci
Ce samedi, les Estoniens pourront payer leurs bières et leurs Kringels - une viennoiserie aux amandes - avec des pièces toutes neuves. Le 1er janvier est en effet la date officielle de l'intégration de leur pays dans la zone euro. A l'origine, la couronne estonienne aurait dû disparaître trois ans plus tôt, mais cette première tentative avait avortée, l'économie estonienne souffrant alors d'une inflation bien trop élevée.
Je l’aime comme ma bagnole
Il va de soi que je n’ai pas écrit une telle pièce. Ne serait-ce que parce que je n'en sais pas plus sur l’intégration européenne qu’un homme politique sur l’art dramatique. Du reste, il n’existe pas de pièce sur le sujet, du moins pas de pièce remarquable. Ce qui en soi n’est pas étonnant puisque l’art se frotte toujours au réel, et là où tout va plutôt bien, l’art n’y est guère à sa place (de ce point de vue, demander une pièce sur la crise financière est parfaitement légitime).
L’intégration européenne a permis de grandes réalisations: les superlatifs des orateurs du dimanche sont justifiés. De nos jours, il n’y a plus de conflit entre les nations et un conflit armé paraît inimaginable. Finis les blocs, les camps adverses, la division européenne. Même les contrôles aux frontières ont été supprimés par endroits — ce qui semblait utopique il y a encore quelques décennies.
L'Europe dispose également d'une monnaie commune qui, même si certains pays devaient l’abandonner, rayonnera toujours suffisamment pour en inciter d'autres à l’introduire chez eux. Les diplômes universitaires sont en passe d’être reconnus dans l’ensemble des pays européens, le marché du travail s’ouvre, chaque Européen peut ainsi tenter sa chance n’importe où en Europe. Et comme les conflits entre les nations ont disparu, on pourrait aussi remplacer les armées nationales par une armée européenne. Les ministres de la Défense au chômage pourraient, par exemple, devenir directeur de théâtre, si ça leur chante.
Et pourtant. Pour moi, tout n’est pas rose en Europe. C’est dans la seconde moitié des années 80 que j’ai entendu pour la première fois l’expression "la maison Europe", prononcée par Mikhaïl Gorbatchev. Le dirigeant russe a sacrifié l’empire soviétique à cette idée. Il a permis aux pays du bloc de l’Est de sortir de la domination soviétique et approuvé la réunification allemande ainsi que l’élargissement de l’OTAN vers les pays de l’Est. L’empire soviétique s’est effondré et trois de ses anciennes républiques ont pu rejoindre l’Union européenne.
Mais on a claqué la porte au nez à tous les autres pays de l’ex-URSS. L’Ukraine en a fait la douloureuse expérience. La "révolution orange" a débarrassé le pays de son régime autoritaire. Les révolutionnaires ukrainiens étaient animés par les idéaux européens, portés par la perspective européenne. Lutter pacifiquement pour la démocratie, pour plus de liberté et plus de droits – qu’est-ce donc sinon qu'être européen ? Mais l’Ukraine n'a pas été admise comme membre de l’Union européenne. J’ai vécu cette humiliation comme si j’étais Ukrainien moi-même.
On se plaît à dire que l’Europe est "une affaire de cœur". Pour les révolutionnaires oranges ou même pour Mikhaïl Gorbatchev, ce fut certainement une affaire de cœur — et pourtant ils ont échoué à rejoindre l’Europe institutionnelle. De leur côté, les Danois, les Irlandais et tous ceux qui ont dit "NON !" à la constitution européenne ont été obligés de rester dans l’Union, à grand renfort de référendums jusqu’au résultat désiré.
Alors l’Europe comme "une affaire de cœur", j'ai du mal à prendre l'idée au sérieux. Il s’agirait plutôt d’une construction bureaucratique, utile somme toute dans la vie quotidienne. Pensez seulement aux avantages que procure le statut de "consommateur européen".
L’identité européenne se heurte avant tout à la barrière de la langue. Tout le monde sait que communiquer dans sa langue maternelle crée des conditions tout à fait différentes. Malheureusement, dans un avenir prévisible, une majorité d’Européens ne communiquera toujours pas dans une langue maternelle commune. Tout homme politique européen s’exprimant dans sa langue maternelle ne sera compris que par une tout petite minorité de citoyens européens.
Mais comme la langue, l’art de la rhétorique est ce qu’il y a de plus frappant chez un politique, les hommes politiques européens resteront toujours plus ou moins étrangers aux citoyens d’Europe. Bruxelles sera toujours une sorte une sorte de vaisseau spatial sans visage et sans voix. Il n’y a pas de solution à cela.
Il y a des gens qui aiment leur voiture. Pour d’autres, c'est "juste un objet utilitaire". Il en va de même pour l’Europe: affaire de cœur ou pas, elle roule. C’est déjà ça.
Patrick Sébastien : "On vit dans une dictature masquée"
du monde revendique sa liberté de parole. Assis devant son bureau parisien, fumant clope sur clope, l’auteur du Petit bonhomme en mousse ne manie pas la langue de bois. Ça fait du bien.
- Vous dénoncez fréquemment la politique-spectacle actuelle. Mais n’en avez-vous pas été à l’origine avec "Carnaval" dans les années 80 en invitant de nombreuses personnalités ?
Patrick Sébastien : "Je le regrette bien… Mais c’était du spectacle avant tout, une émission déjantée. J’étais le premier à humaniser les politiques. Aujourd’hui, ils viennent faire de la politique dans les divertissements. C’est ridicule et affligeant.
- Entre le milieu populaire et la politique, l’écart s’est-il creusé ?
P.S. : C’est un précipice ! Dans les journaux télévisés, on ouvre sur Ségolène Royal qui se présente aux primaires alors qu’il y a des sujets graves ! Ça me fait gerber. Tout a commencé avec Sarko qui est d’une exemplarité abominable. Sans lui cracher dessus, ce n’est pas ce qui pouvait nous arriver de pire, mais on n’a pas été capable de trouver mieux. On ne dit pas "casse-toi pov' con" même si on le pense.
- On vous sent révolté…
P.S. : Je suis fâché avec tous ceux qui ont le pouvoir. Pourtant, j’existe quand même. Je ne ferai jamais partie des soumis, quel que soit le pouvoir. Dans le service public,
beaucoup de gens ont du boulot car ils sont copains avec le Président. Il ne faut pas se leurrer.
- Michel Drucker et Laurent Ruquier refusent d’inviter Marine Le Pen. Vous, dans votre cabaret, seriez-vous prêt à le faire ?
P.S. : Pourquoi pas ! Mais je n’invite pas de politiques dans mon émission. Si je le faisais, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas venir. On est en démocratie et tout le monde a sa place. Je suis humaniste, donc je n’exclus personne. Mais il y a des mecs à droite, au gouvernement même, bien plus dangereux que Marine Le Pen.
- Marine Le Pen n’est-elle pas, comme l’affirment certains hommes politiques, plus dangereuse que son père ?
P.S. : Vous n’êtes absolument pas conscient de la manipulation à laquelle vous participez et qui est très bien organisée. Le calcul politique en ce moment, c’est de faire monter Marine Le Pen dans les sondages. L’adversaire qui l’affrontera au 2e tour en 2012 aura gagné ! Pour la droite, c’est un but évident.
- C’est un peu gros…
P.S. : Mais ils ont tellement la main mise sur les médias, qu’on en est à ce point-là ! Dans les journaux, on reparle des méchantes banlieues, des criminels. Les thèmes
d’insécurité sont de retour. Ce n’est pas innocent.
- Vous ne maniez pas la langue de bois…
P.S. : Je ne suis pas exemplaire, mais j’ai la chance d’avoir une tribune pour m’exprimer. Ne pas le faire, c’est de la non-assistance à personne en danger. Un artiste se doit de donner son avis. Il est le porte-voix d’une catégorie de gens. Avant, beaucoup d’artistes se mouillaient, comme Montand, Signoret ou Balavoine. Aujourd’hui, ce n’est pas Dany Boon ou Anne Roumanoff qui vont le faire… Les Lalanne, Lavilliers ou Cali, on les a laissés dans un coin parce qu’ils l’ont ramené.
- Pourquoi cette nouvelle génération d’artistes a-t-elle changé selon vous ?
P.S. : Sous Mitterrand – et je n’avais pas voté pour lui -, on avait une vraie liberté de parole. À l’époque, je pouvais dire ce que je voulais, sauf, et c’est normal, si je troublais l’ordre public. Aujourd’hui, ma cassette est visionnée avant la diffusion et le diffuseur coupe tout ce qui dérange.
- Pourtant vous continuez…
P.S. : (Il souffle) On ne peut rien faire. Et je ne vais plus continuer longtemps. On vit dans une dictature masquée. Il n’y a pas encore les soldats en arme qui vont t’arrêter
chez toi, mais on a un pied dedans.
- On dit que vous êtes, avec Laurent Ruquier, sur une liste noire de Nicolas Sarkozy…
P.S. : Je ne pense pas. Il a autre chose à foutre. Mais que l’on impose des gens sur des chaînes, sur le service public, il n’y a aucun doute. Avec moi, l’Élysée est embêtée
car je fais de l’audience.
- Pourtant votre contrat à France Télévisions va malgré tout être reconduit…
P.S. : Apparemment ! On devrait signer pour deux nouvelles saisons mais on a cherché à m’imposer des clauses d’audience impossibles (24 et 22% de part de marché). J’ai finalement réussi à les baisser, mais je suis condamné à réussir.
- Politiquement, qu’est-ce qui vous révolte chez Nicolas Sarkozy ?
P.S. : Obama, sa 1ere réforme, c’est celle de la sécu. Sarkozy, lui, c’est la suppression de la pub à la télé ! Il n’y a pas quelque chose de plus urgent ? Et cette autorisation des jeux en ligne ? C’est un cadeau à dix patrons ! En plus, on autorise la publicité alors que comme la drogue et le tabac, c’est une addiction. C’est l’illustration du
système Sarkozy. J’espère que des mômes de 25 ans déboulonneront dans 15 ans avec de nouvelles valeurs. S’ils descendent dans la rue, sans être violent, qu’est-ce que je serais content ! C’est leur avenir qui se joue."
Laurent Gbagbo, qui s’accroche au pouvoir en Côte d’Ivoire malgré une nette défaite électorale – il a recueilli moins de 46 % des voix face à Alassane Ouattara – est de plus en plus isolé. Face à la pression internationale qui lui demande de quitter le pouvoir, l’intéressé dénonce un « complot du bloc occidental dirigé par la France », prêtant à Paris une influence perdue depuis belle lurette. On voit mal Nicolas Sarkozy dicter sa loi à Barack Obama ou à Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’Onu. Or, tous ont condamné l’inversion, par la Cour constitutionnelle ivoirienne dévouée à Gbagbo, des résultats proclamés par la commission électorale indépendante. Et que dire des désaveux qui émanent du Groupe des Sages de l’Union africaine et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ? Difficile, ici, de parler de « complot occidental » : sur le continent noir, seul l’Angola s’est ouvertement rangé du côté du mauvais perdant.
Gbagbo fait assiéger son rival dans un hôtel d’Abidjan défendu par l’Onu, mais c’est lui, en réalité, qui est encerclé.
Toute la difficulté consiste à le déloger sans faire exploser le baril de poudre sur lequel il campe. L’option militaire serait un saut dans l’inconnu. La Cédéao peut-elle se lancer dans une guerre inter-africaine, comme elle parle de le faire ? Sans l’intervention de l’armée française, le conflit pourrait durer des années, et les représailles sur les nombreux immigrés burkinabés, béninois ou guinéens seraient terribles. Même les sanctions votées par l’Union européenne sont difficiles à mettre en place, car Gbagbo a des otages, avec les 14 000 ressortissants français qui travaillent en Côte d’Ivoire. Après avoir bloqué son avion personnel à Bâle-Mulhouse, le gouvernement français s’est bien gardé, hier, de parler de sanction. Il affirme avoir agi à la demande d’Alassane Ouattara, le président ivoirien « légitime » : le bras de fer reste diplomatique.
Pour combien de temps ? Maître de la partie riche de la Côte d’Ivoire, avec les plantations de cacao dont son pays est le premier producteur mondial, Gbagbo peut tenir des mois, voire des années. C’est une tumeur sur la terre africaine, qui n’en manque pas. L’Europe a eu la sienne, dans les Balkans, il n’y a pas si longtemps. La tumeur s’appelait Milosevic, et il avait fallu l’intervention de l’Otan pour en venir à bout.
Faut-il supprimer l’ISF ?
Alors qu’on pensait la question à jamais enterrée, voilà qu’elle revient sur le tapis. L’impôt sur la fortune est-il oui ou non une bonne affaire pour la France ? Bilan chiffré.
Sans lui, en effet, l’affaire Bettencourt n’aurait pas éclaté, les Français n’auraient jamais appris que la milliardaire avait reçu 30 millions d’euros de remboursement au titre du bouclier fiscal, leur rejet de ce dispositif n’en aurait pas été décuplé, 120 députés n’auraient pas osé proposer de le supprimer en même temps que l’impôt sur la fortune. Et Nicolas Sarkozy, rompant avec toute prudence, ne leur aurait pas fait cette stupéfiante réponse : «Et après tout pourquoi pas ! Parlons-en.»
A peine tiré du dossier des retraites, voilà donc notre président avec une nouvelle bombe atomique sur les bras. Car l’ISF n’est pas un prélèvement comme les autres. Symbole de la capacité de l’Etat à «faire payer les riches» et, donc, de la justice sociale tout entière, il est l’unique impôt auquel les Français tiennent. Jacques Chirac, qui a perdu la présidentielle de 1988 pour avoir voulu le supprimer, est payé pour le savoir… Depuis cet échec, les anti-ISF rongent leur frein en ressassant leurs arguments.
«Cette taxe absurde a poussé au-delà de nos frontières des dizaines de milliers d’entrepreneurs, s’étrangle l’économiste Christian Saint-Etienne. Elle nuit à la croissance et détruit des emplois.» «Ce n’est pas parce que trois de leurs copains ont pris un jour l’Eurostar que la France va s’écrouler !», réplique son collègue de gauche Thomas Piketty, en rappelant que, selon une récente étude du Credit suisse, la France est le pays d’Europe qui compte le plus de millionnaires. «C’est bien la preuve qu’il n’y a pas d’hémorragie !» Qui croire ?
Pour tenter de le savoir, nous avons – sans a priori – plongé la tête dans les dossiers, examiné les chiffres, mené l’enquête auprès des exilés. Et nous avons très vite découvert qu’il n’existait pratiquement aucune donnée sérieuse sur la question. Impossible de dénicher un rapport officiel chiffrant l’ampleur des départs de contribuables liés à l’ISF, ni la perte de recettes que cet exode entraîne. Rien non plus à propos de ses conséquences économiques et sur la création d’emplois.
«Nous n’avons aucune information là-dessus», nous a confirmé la direction des finances publiques. Ahurissant ! Le ministre du Budget lui-même y perd son latin. «En ce qui concerne les exilés fiscaux, nous devons faire preuve de prudence, car nous ne disposons pas d’éléments pertinents et rationnels», a-t-il avoué il y a quelques semaines devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Nous allons donc devoir nous débrouiller avec les rares chiffres rendus publics et les évaluations éparses des économistes qui planchent sur le sujet.
Première question : combien au juste de compatriotes aux poches pleines sont partis à l’étranger depuis 1982 pour échapper à l’ISF ? Et quelle épaisseur de liasses ont-ils enfourné dans les coffres de leur Mercedes avant de lever le camp ? Eric Pichet, professeur d’économie à l’ESC Bordeaux, évalue leur nombre à 40 000, dont 22 000 installés en Suisse. Avec eux, un patrimoine de 200 milliards d’euros aurait, selon lui, quitté le pays depuis 1988. Sa source ? «Des banquiers genevois.» On a connu plus fiable… De son côté, Christian Saint-Etienne estime que plus de 300 milliards d’euros se seraient évaporés entre 1997 et 2009. «J’ai croisé les données de huit grands cabinets fiscalistes», explique-t-il. Pas très convaincant non plus…
D’autant que les quelques données parcellaires publiées par Bercy sont loin de confirmer ses dires. Selon le ministère, 370 Français redevables de l’ISF sont partis en moyenne chaque année entre 1997 et 2003, 600 entre 2004 et 2005, et 800 entre 2006 et 2008. Soit, au total, 6 200 départs pendant la période.
Si l’on prolonge la courbe, on peut donc hasarder qu’environ 11 000 contribuables ont quitté le pays depuis 1982, quatre fois moins que les estimations d’Eric Pichet. Et, si l’on compte ceux qui sont revenus au bercail, le chiffre tombe même à 7 300. La «base taxable» moyenne de ces lâcheurs pouvant être estimée à 4 millions d’euros, toujours en fonction des données de Bercy, le patrimoine échappé ne serait donc pas de 300 milliards d’euros, mais seulement de 30. A première vue, du moins.
Car les chiffres officiels sous-estiment largement le phénomène. D’abord parce que, lorsqu’ils quittent le territoire, beaucoup de patrons propriétaires de PME ne sont pas assujettis à l’ISF – en sorte que, bien qu’ils soient souvent très riches, Bercy ne les comptabilise pas dans ses listes d’exilés fortunés. Tant qu’ils gèrent eux-mêmes leur affaire, leurs parts de capital sont en effet considérées comme des biens professionnels et, à ce titre, exonérées de l’impôt. Beaucoup préfèrent donc attendre d’avoir passé la frontière pour revendre leurs actions, à l’abri du fisc français.
Le montant des capitaux délocalisés affiché par Bercy est aussi très minimisé par son propre mode de calcul. Il est en effet évalué à partir des seuls biens taxables à l’ISF. Or ceux-ci n’incluent pas les actifs professionnels, ni les œuvres d’art. Au total, ce ne sont donc pas 30 milliards, mais plutôt 60 milliards d’euros qui pourraient avoir déserté le pays depuis 1982.
Deuxième interrogation : combien l’impôt sur la fortune rapporte-t-il réellement au Trésor public ? Là encore, il faut progresser à petits pas. En 2009, il a fait entrer 3,5 milliards d’euros dans les caisses. Mais, si l’on défalque les restitutions versées au titre du bouclier fiscal (650 millions d’euros) et les frais de gestion de l’ISF (70 millions d’euros), son véritable produit ne dépasse pas 2,78 milliards d’euros par an.
Cela représente à peine 0,85% des recettes fiscales, 47 fois moins que la TVA… Mais il faut encore soustraire de cette maigre recette le manque à gagner potentiel sur les autres prélèvements. Car les millionnaires exilés ne paient évidemment plus l’impôt sur le revenu, ni les taxes sur l’essence, ni l’impôt sur les sociétés… D’après Christian Saint-Etienne, le total de ces recettes perdues s’élèverait chaque année à 10 milliards d’eu¬ros ! Plus raisonnable, Eric Pichet se limite pour sa part à 7 milliards.
Pour obtenir ce chiffre, il a appliqué aux capitaux qui ont fui le territoire (200 milliards selon lui) le ratio, à peu près constant, entre les recettes fiscales perçues par l’Etat et le patrimoine des ménages. Si l’on fait jouer sa formule sur seulement 60 milliards d’euros de patrimoine – notre estimation à partir des sources de Bercy – elle aboutit à un manque à gagner de 2 milliards d’euros. Qu’en conclure ? Que l’ISF ne rapporte en fait pratiquement rien à l’Etat. Et qu’il se pourrait même qu’il lui coûte.
Ce n’est pas là le plus grave. Selon ses détracteurs, le principal défaut de notre ISF – si l’on excepte la Suisse et la Norvège, la France est le dernier pays d’Europe à en posséder un – est de pénaliser l’économie et l’emploi. «Il pousse au départ nos meilleurs entrepreneurs !», s’offusque Arnaud Vaissié, président de la chambre de commerce française outre-Manche. Christian Saint-Etienne considère ainsi que 20 000 patrons ont quitté le territoire entre 1997 et 2009, et que 500 000 emplois auraient pu être créés s’ils étaient restés en France. La fondation Ifrap, un think tank très libéral, avance, elle, une estimation de 100 000 postes perdus par an. Mais, du propre aveu de sa directrice, Agnès Verdier-Molinié, il s’agit d’un calcul à la louche.
Quelques exemples emblématiques suffisent en tout cas à cerner le problème. En 1998, Denis Payre, fondateur de Business Object, a pris le train avec ses millions en direction de Bruxelles. Même s’il est revenu au bercail depuis, il y a fondé une nouvelle société, Kiala, qui emploie toujours une quarantaine de collaborateurs sur place. Autre star de la nouvelle économie partie offrir des jobs à nos voisins : Pierre-François Grimaldi. Devenu multimil¬lionnaire en revendant iBazar à eBay en 2001, il a monté en Belgique Foto.com, un des leaders européens du développement photo sur Internet, qui compte près de 200 salariés.
Pour sa part, Lotfi Belhassine, l’ex-P DG d’Air Liberté, a quitté la France en 1997 pour donner naissance à LibertyTV, une chaîne belge axée sur le tourisme, assortie d’une agence de voyages. Elle fait travailler une centaine d’employés. C’est autant de perdu pour nous.
Non seulement l’ISF incite les entrepreneurs à partir, mais il décourage ceux restés en France de développer leur affaire. Un tiers de nos patrons revendraient en effet leur société dès qu’elle atteint une valeur de 15 millions d’euros, juste avant le seuil d’imposition maximal. Il faut dire qu’à ce niveau de patrimoine, le taux appliqué (1,8% au-delà de 16,79 millions) devient vraiment dissuasif. Avec une inflation de 2% par an, il faut faire fructifier son capital de près de 4% pour ne pas le voir s’éroder. On comprend que certains soient effrayés.
Autre travers : l’ISF impose aux propriétaires de PME de rester dirigeants pour pouvoir bénéficier de l’exonération des biens professionnels. «Du coup, soit les fondateurs ne passent ¬jamais la main, soit ils occupent des postes fantômes», regrette le fiscaliste Jean-Philippe Delsol.
La loi Dutreil, votée en 2003, est, certes, censée contrer cet effet pervers : plusieurs actionnaires peuvent s’engager communément à conserver leurs titres pendant quatre ans et bénéficier d’une exonération d’ISF de 75%, même s’ils ne sont pas dirigeants. Mais, pour cela, l’ensemble de leurs parts doit représenter au moins 20% du capital de l’entreprise (si elle est cotée). Résultat : «Ils ne veulent plus faire entrer de nouveaux investisseurs, car toute augmentation de capital risquerait de les faire passer sous le seuil fatidique», souligne l’Ifrap.
L’impôt sur la fortune semble donc bien être une mauvaise affaire pour notre pays. Même à gauche, certains en conviennent. «Oui, c’est un impôt idiot», ose le maire PS d’Evry, Manuel Valls. Alors que faire, sachant que les caisses de l’Etat sont vides ? A l’évidence, aucune réforme de fond ne sera menée en 2011, à un an de la présidentielle. Le gouvernement s’orienterait plutôt vers la suppression de la première tranche d’imposition : seuls seraient taxés à l’avenir les patrimoines supérieurs à 1,2 million d’euros (contre 790 000 euros aujourd’hui).
Cette mesure exonérerait 300 000 ménages sur les 562 000 assujettis et ne coûterait que 300 millions d’euros à l’Etat. Les paysans de l’île de Ré, aux revenus modestes, mais dont les maisons ont vu leur valeur tripler ces dix dernières années, n’auraient plus à le payer. Problème : cela ne réglerait en rien la question de l’exil fiscal.
Une partie de l’UMP tente donc de faire passer auprès de l’Elysée l’idée d’une suppression conjointe du bouclier fiscal et de l’ISF, compensée par la création d’une tranche supérieure de l’impôt sur le revenu. Avec un taux de 50% au-delà de 83 000 euros de salaire annuel, cette disposition rapporterait 2 milliards, selon une étude du sénateur Philippe Marini. Mais elle n’enthousiasme guère Nicolas Sarkozy…
A gauche, l’idée ne séduit pas grand-monde non plus, si l’on excepte Manuel Valls. «Un rentier est déjà beaucoup moins taxé qu’un cadre supérieur, pourquoi aggraver les choses ?», râle le député PS Pierre-Alain Muet, qui suggère plutôt de s’inspirer de l’exemple néerlandais. Les ingénieux Bataves ont, certes, aboli leur impôt sur la fortune en 2001. Mais ils l’ont remplacé par une taxe de 30% sur le rendement théorique que leur patrimoine est censé rapporter (4%). Ce qui, en somme, revient à imposer le capital à 1,2%. Supprimer l’ISF sans supprimer l’ISF, il suffisait d’y penser !
Stéphane Loignon
Ce que l’ISF nous rapporte
2,8 milliards d’euros net de recettes fiscales
Soit 3,5 milliards d’euros de recettes d’ISF, moins 70 millions d’euros de frais de gestion et 650 millions d’euros au titre du bouclier fiscal
Ce que l’ISF nous coûte
Estimation basse (1) :
2 milliards d’euros de recettes perdues pour les autres impôts
60 milliards d’euros de capitaux français partis à l’étranger
(1) Estimations Capital à partir
des données de Bercy.
Estimation haute (2) :
10 milliards d’euros de recettes perdues pour les autres impôts
300 milliards d’euros de capitaux français partis à l’étranger
0,2% de croissance en moins par an
500 000 emplois en moins
(2) Source : Christian Saint-Etienne, économiste.
La riposte des proches de DSK à l'UMP : "Même pas peur !"
Christian Jacob a accusé Dominique Strauss-Kahn d'avoir "peur" de se présenter à l'élection présidentielle. Le député UMP s'est attiré les foudres du socialiste Jean-Christophe Cambadélis, un proche de DSK, qui a estimé que c'était la droite qui craignait les socialistes pour 2012.
Courte trêve de Noël chez les politiques. Après le match de samedi à l'UMP entre Chantal Jouanno et Rachida Dati à propos de l'élection municipale de 2014 à Paris, c'est un proche du patron de l'UMP, Jean-François Copé, qui s'en est pris avec virulence à Dominique Strauss-Kahn dans la perspective de l'élection présidentielle de 2012. Pour Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, "Dominique Strauss-Kahn est en vraie difficulté". Le patron du FMI "est en train de se révéler comme quelqu'un qui n'arrive pas à choisir. Pour être candidat à l'élection présidentielle, il faut le vouloir. On a le sentiment qu'il est incapable d'assumer. Il a peur ! On découvre un DSK craintif, incapable de trancher. On aurait grand tort de sous-estimer Ségolène Royal et Martine Aubry. Dans le trio, le faible, c'est Strauss-Kahn !", assène le député de Seine-et-Marne.
La riposte n'a pas tardé. Sur son site internet, le député socialiste de Paris, Jean-Christophe Cambadélis, un proche du directeur général du FMI, estime qu'avec ces petites phrases Christian Jacob "démontre que l'UMP craint DSK en général et la gauche en particulier". "Jacob est tellement transparent qu'on en redemande. Comme Rantanplan (NDLR : le chien limité de Lucky Luke), il indique la bêtise !", souligne ce membre de la direction du PS.
Les derniers sondages publiés avant la pause des fêtes de fin d'année continuaient d'indiquer la nette domination de Dominique Strauss-Kahn à gauche et dans les hypothèses de duels de second tour contre Nicolas Sarkozy. DSK et Nicolas Sarkozy sont d'ailleurs actuellement tous deux en villégiature à Marrakech. Mais aucune rencontre officielle n'est prévue entre le président français, qui va diriger le G8 et le G20 en 2011, et son possible adversaire de 2012.
Dominique Strauss-Kahn, contraint par le calendrier du FMI, devrait dire avant l'été prochain s'il est candidat aux primaires socialistes de désignation du candidat de 2012. La compétition entre les présidentiables PS est prévue à l'automne 2011, moment où Nicolas Sarkozy devrait faire savoir s'il est candidat à un second mandat.
D'ores et déjà, plusieurs socialistes ont déclaré leur candidature aux primaires. Ségolène Royal, l'ex-candidate de 2007, est déjà partie en campagne, en multipliant les visites "de terrain" et les interventions médiatiques. Arnaud Montebourg et Manuel Valls se sont eux aussi lancés. L'ancien patron du PS, François Hollande, pourrait entrer en lice en mars, avant ou après les cantonales. Et Martine Aubry, qui est décidée à ne pas laisser le champ libre aux ténors du parti, intensifie elle aussi sa présence sur le terrain et dans les médias. La première secrétaire est liée par le "pacte" conclu avec Dominique Strauss-Kahn, accord en vertu duquel un seul des deux se présenterait aux primaires, mais elle pourrait décider elle aussi de jouer sa chance.
Une réunion du bureau national du PS est prévue le 11 janvier pour arrêter le dispositif final de désignation du candidat de 2012. Et au printemps, le PS présentera son projet électoral.
C’est devenu très rare. L’agenda politique pour cette semaine qui s’ouvre est blanc comme neige. Pas l’ombre d’une polémique à l’horizon. Pas même un soupçon de débat qui ferait une petite tache de couleur sur les étendues immaculées des campagnes du Grand est. Même les tribulations dans les transports s’achèvent sur une petite musique plutôt positive. Les Français qui ont subi leurs conséquences ont fait montre, dans l’ensemble, d’une bonne humeur fataliste qui dément la réputation de notre inclination nationale à la râlerie. De son côté, le gouvernement a géré l’épisode avec dignité et modestie, comme il le fallait, mettant l’accent sur l’essentiel, cette exigence d’informer qui n’est rien d’autre que le respect élémentaire de la dignité des voyageurs. C’est bien sur ce critère d’appréciation qu’il appartient désormais aux pouvoirs publics de renégocier les agréments des compagnies aériennes dans les aéroports français et de dresser le bilan de la réactivité de nos propres régies nationales, régionales, départementales et locales - ferroviaires, routières ou administratives - face aux intempéries. En n’oubliant pas, bien entendu, les efforts déployés par des centaines d’agents pour œuvrer à ce « retour à la normale » qui nous apparaît comme un dû.
Une certaine légèreté parvient finalement à s’installer dans le calendrier entre le 25 décembre et le 1 er janvier. Son intitulé sucré est, en lui-même, révélateur d’un luxe que seuls les pays riches peuvent s’offrir : échapper au tumulte de l’actualité dans l’atmosphère ouatée d’un entre-deux institutionnel. « La trêve des confiseurs » est un petit miracle sémantique qui conserve le pouvoir de mettre en sommeil les passions et les appétits : la faim de 2012 et la soif des rêves de présidentielle sont provisoirement apaisées et étanchés par les libations des fêtes, et les congés des prétendants sous le soleil de Marrakech.
Ce temps suspendu n’est pas assez surnaturel, hélas, pour arrêter les assauts souvent invisibles de la misère, ni pour évaporer les sentiments de relégation. L’insouciance momentanée ne franchit pas le seuil de la pauvreté et les sans-abri savent bien qu’elle ne résiste pas aux températures négatives. Pour les plus démunis, les angoisses, les solitudes et les souffrances ne connaissent pas de pause.
Des bons sentiments ? Une exigence de conscience surtout. Notre relative quiétude hexagonale ne saurait pas, non plus, faire abstraction des flaques de sang du Pakistan, où les attentats lourds de menace jettent un voile d’avertissement écarlate sur l’avenir immédiat de cette région stratégique pour l’équilibre du monde. Elle ne peut effacer l’attente interminable des otages d’Afghanistan et du Mali. Autant de points rouges et douloureux sur le 52 e et dernier volet de 2010.
L’inoubliable Paul Ramadier avait ouvert la voie dans les années 50 avec sa fameuse vignette. Taxe provisoire destinée à venir en aide aux personnes âgées, l’increvable vignette resta fringante jusque dans les années 2000. Sans que les anciens n’en voient jamais la couleur.
Avec le Grenelle de l’Environnement, changement de logique pensait-on. Pour une fois, l’Etat et l’automobiliste jouaient gagnant-gagnant. En ouvrant en grand la chasse au CO2, Jean-Louis Borloo comptait faire coup double : “rouler propre” et relancer la filière auto. Craché juré, la prime à la casse, le bonus écologique et son pendant le malus allaient faire de l’automobiliste un parangon de vertus. Au diable le gaz carbonique, vive le pot d’échappement vert.
Mais à peine Borloo a-t-il tourné les talons que l’Etat fait ses comptes. Le bonus a coûté 500 millions en 2010. Halte au feu s’époumonent les grands argentiers du gouvernement. Du coup, le bonus écolo a du plomb dans l’aile. Dès janvier, les voitures éligibles au bonus se feront plus rares. 55 % des ventes ont profité du dispositif cette année estiment les spécialistes. L’an prochain, ce sera tout juste 6 % calculent-ils... Dans l’affaire, les constructeurs font grise mine. Et l’automobiliste a le sentiment d’être une nouvelle fois taxé. Question d’habitude...
L'acteur Bernard-Pierre Donnadieu est décédé
La nouvelle année apportera forcément des réponses à quelques questions brûlantes. On verra ainsi comment la croissance, le déficit ou l'emploi se positionneront sur l'échelle des chiffres ; comment l'euro se sortira de la seringue ; comment la Chine gérera son inflation ou les Etats-Unis remédieront à leur croissance traînante… Mais tout cela paraît secondaire à beaucoup, au regard de cette interrogation essentielle : DSK sera-t-il finalement candidat à l'élection présidentielle ?
Certains « strauss-khanologues » avancent quelques indices. Il en aurait effectivement « envie », mais, en bon responsable, il y mettrait trois conditions : que le PS adopte un programme social-démocrate ; que l'union de la gauche et des verts soit réalisée ; que la crise mondiale, au moment de son choix décisif, ne lui interdise de quitter son poste sous peine de paraître déserter. Tout cela est parfaitement raisonnable, mais inquiétant pour ses partisans. Reste justement l'« envie », qui surmonte la raison et force parfois la victoire. Il leur reste à souhaiter qu'il en soit saisi, au point de se lancer même sans la certitude d'être élu.
C'est cette envie, au sens le plus fort, qui distingue déjà les autres candidats. Martine Aubry, par exemple, ne donne pas l'impression d'en être habitée (elle dit rêver du ministère de la Culture). Du côté verts, Nicolas Hulot se tâte, ce qui n'est pas bon signe. Les autres socialistes candidats aux primaires sont plus allants, mais avec des chances limitées. Et il y a toujours Ségolène Royal, dont l'envie est toujours telle qu'elle a toute la force d'un besoin. Le besoin, voilà le vrai critère. Parmi tous les autres, ils ne sont que deux à l'éprouver aussi fort : Bayrou et Mélenchon, parce qu'ils partagent avec elle le besoin vital d'exister, dont la candidature est le principal moyen. Restera la question de fond : de qui et de quoi les Français ont-ils le plus besoin ?
Mikhaïl Khodorkovski
L'ex-oligarque qui s'apprête à entendre le verdict de son second procès connaît sans doute le dicton russe selon lequel « Ce n'est pas la loi qu'il faut craindre, mais le juge ». Depuis sa condamnation en 2005 à huit ans de prison pour « vol par escroquerie à grande échelle », l'ex-patron du groupe pétrolier Ioukos croupit dans le pénitencier sibérien de Krasnokamensk, à plus de 6.500 km de Moscou. Le parquet a requis quatorze années de détention supplémentaires, pour le détournement supposé de 218 millions de tonnes de pétrole, contre celui qui fut un temps l'homme le plus riche de Russie et la seizième fortune mondiale. La chute de ce Moscovite de religion juive, ingénieur chimiste comme ses deux parents, a été aussi spectaculaire que son ascension. L'ex-militant des Jeunesses communistes a commencé de s'enrichir en commerçant avec l'Occident durant la Perestroïka, avant de passer à la vitesse supérieure en fondant la banque Menatep. Si le soutien de Boris Eltsine lui a permis de mettre sans véritable concurrence la main sur Ioukos lors de sa privatisation, l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir a marqué le début de ses ennuis, d'autant que le nouveau maître du Kremlin a peu apprécié son soutien financier à plusieurs partis d'opposition. Dans sa disgrâce, le magnat déchu a toutefois reçu le soutien du Conseil de l'Europe et de personnalités comme Elie Wiesel et Mario Vargas Llosa. Le compositeur estonien Arvo Pärt lui a même dédié une symphonie, en se souvenant sans doute qu'il est aussi l'auteur de la musique du film « Raison d'Etat »