mercredi 10 octobre 2012
Traité budgétaire européen : les raisons techniques pour lesquelles il pourrait bien ne jamais être appliqué, ni en France ni ailleurs
Le gouvernement par la règle, telle est la voie choisie par l’Europe depuis la mise en œuvre du traité de Maastricht.
Le
pacte de stabilité en était l’expression aboutie et les marchés
financiers, les juges pénitents du dispositif, prêts aux attaques
spéculatives en cas de comportement déviant. Nous connaissons tous le
destin de cet attelage. Le pacte n’a pas su prévenir la crise, et n’a
pas favorisé la croissance. Le pacte était aveugle à l’endettement
privé, et a stimulé la création comptable comme l’a montré le cas grec
en matière de déficits publics. Faut il souligner pour ceux qui l’ont
oublié qu’en 2007, la dette publique de l’Irlande était égale à 25% de
son PIB, celle de l’Espagne de 36% de son PIB et que la Grèce a
bénéficié jusqu’en 2007 d’une croissance deux fois supérieure à celle de
ses partenaires. La crise a amplifié la dette publique près de 30
points de PIB dans les pays du G7 de 2007 à 2010, franchissant la barre
des 100% en 2009. Au regard de l’endettement public, il n’y avait donc
rien à dire avant la crise, mais le pacte confondait endettement public
et endettement global. Ce sont les malheurs de l’idéologie.
Les marchés financiers quant à eux imposent étrangement des politiques
d’austérité, tout en les redoutant en raison de leur potentiel destructeur
en matière de croissance. Mais comme Ubu a pris le pouvoir en Europe,
les membres de la zone euro ont décidé de poursuivre dans l’erreur en
donnant naissance à un traite dit TSCG, qui connaîtra le même destin que
le pacte, c'est-à-dire de finir avec raison dans les poubelles de
l’histoire. A notre sens, il participe du diagnostic erroné, et des
réponses inappropriées de l’Union européenne. Les trois sources de
l’échec de l’Union économique et monétaire pour empêcher la diffusion de
la crise c’est d’avoir pensé la crise comme crise de liquidité et non
de solvabilité, d’avoir exclu la coresponsabilité en matière de dette
souveraine, et d’avoir rendu impossible le financement monétaire de la
dette. Il ne restait plus alors que l’ajustement budgétaire et le
relèvement des impôts comme stratégie. La déflation devenait l’horizon
européen. Il est nécessaire de lire la dernière note de conjoncture de
l’INSEE pour mesurer l’ampleur du ralentissement. Le TSCG serait donc la
réponse pour une gouvernance satisfaisante.
Ce mot de gouvernance, mot valise devrait parfois être abandonné tant il dit tout et rien à la fois.
L’Union n’a pas besoin d’une gouvernance mais d’un gouvernement, d’un
souverain. Alors le TSCG que contient-il ? Une série de règles de
surveillance et de contraintes imposées aux Etats en matière de dette
publique et de déficit budgétaire. Sa disposition centrale qualifiée de «
règle d’or » limite à 0,5 % du PIB, le montant autorisé du déficit
structurel annuel, ce terme désigne le déficit corrigé des variations
conjoncturelles de l’activité, la convergence des soldes budgétaires
depuis leurs niveaux présents vers l’équilibre doit s’effectuer selon un
calendrier fixé par la commission européenne. En cas de dérapage, des
déficits, des sanctions automatiques égales à 0,1% du PIB, seront
imposées aux Etats par la cour de justice européenne.
Mais comme souvent le diable se cache dans les détails, et les critères d’appréciation du déficit rapportés à la conjoncture risquent d être périlleux et donner lieu à des problèmes d’évaluation. D’autre part, les efforts budgétaires seront tels qu’ils seront impraticables. Il faudra bien un jour comprendre que l’austérité budgétaire n’est possible que lorsque l’activité du secteur privé est dynamique. En ce qui concerne le premier point, c’est la notion de croissance potentielle qui va servir de base pour calculer le déficit admissible. De manière simple, elle correspond à la pleine utilisation des facteurs de production sans tension inflationniste. Autrement dit Le niveau de production potentielle étant conçu comme un indicateur d’offre, l’écart de production représente
l’excès (ou l’insuffisance) de la demande. Il permet de juger de la
situation dans le cycle économique. Mais la croissance potentielle n’est
pas une donnée observable. Elle repose sur des hypothèses statistiques
et théoriques sujettes à débat. Selon les méthodes retenues, on peut
considérer que les fluctuations relèvent d’un problème de potentiel ou
bien d’un problème de demande. Alors comment sur une notion aussi
friable dont nous présentons un modeste aperçu peut servir de base à un
calcul de déficit. D’aucuns diront qu’il faut des réformes structurelles
pour renforcer le potentiel, d’autres affirmeront que la demande doit
être renforcée. Nous avons conscience que cette notion et l’ensemble des
problèmes qui lui sont attachés nécessiteraient de longs développements
qui dépasseraient de loin le présent article. En somme la notion de
croissance potentielle ne fait pas consensus suscite des débats complexes.
Il en va de même pour le solde structurel qui représente le déficit que
l’on pourrait calculer lorsque l’économie tournerait à plein régime,
notion qui rejoint la précédente dans l’imprécision et pouvoir mesurer
l’écart conjoncturel entre déficit courant et déficit structurel est
bien complexe. Les Etats-Unis l’estiment à 5,3 % et la commission
européenne à 0,5%. Donc pour la commission, la majorité du déficit serait structurel.
Par ailleurs, les ajustements réclamés sont économiquement insoutenables.
En effet A titre d’exemple, selon la Cour des comptes, en 2010, le
déficit structurel de la France était de 5 % du produit intérieur brut
(PIB), soit 96,55 milliards d’euros. Le ramener à 0,5 % supposerait de
procéder à 87 milliards d’économies. Lorsque la dette publique dépasse
60 % du PIB, les Etats doivent procéder à sa résorption, en trois ans,
au rythme d’un vingtième par an. Dans le cas de la France, dont la dette
atteint 87 % du PIB, cela signifie qu’elle devrait réduire la
différence entre 87 % et 60 % d’un vingtième par an, soit 1,35 % du PIB,
ce qui représente, en dehors de toute croissance, 26 milliards. Pire,
en 2006, la France avait un déficit budgétaire courant, effectivement
constaté, de 2,3% du PIB, la commission avait calculé que son déficit
structurel était, cette année-là, de 3,6% ; si la règle d’or avait été
appliquée, la France aurait dû faire quelque 60 milliards d’euros
d’économies, alors même qu’elle respectait le critère des 3 % du pacte
de stabilité. On le voit les effets économiques seraient désastreux,
l’outil budgétaire ne pourra plus être appliqué alors que des besoins en
recherche et développement, en formation, déterminent la croissance de
demain.
Très
vite, des circonstances exceptionnelles seront réclamées comme avec le
pacte de stabilité et le TSCG quittera peu à peu notre horizon mais
laissant derrière lui une situation économique dégradée. Le rôle de la
cour de justice de l’Union comme juge des politiques économiques sera
considéré dans un délai assez court comme insupportable et comme dans le
pacte aucune sanction sera prononcée. Les membres les plus puissants de
la zone s’en affranchiront. L’Europe invente par là un fédéralisme
autoritaire et doctrinaire. Si l’Europe veut un avenir qu’elle cesse de
se définir par la négative ; pas de déficits, pas de dette, pas de
concurrence non faussée.
Que
l’Europe dise ce qu’elle veut et ce qu’elle a dire au monde et si son
modèle c’est un pâle traité économiquement absurde et destructeur alors
qu’elle se taise. Le traité Lisbonne devait faire entendre la voix dans
le monde et donner les moyens à l’Europe d’exister, son silence est
assourdissant. D’autre part il faudra aussi garder une fois pour toute
en tête que nos économies sont malades de leur finance.
Et comme
le souligne l’économiste J Adda « le prix de cette capitulation des
Etats face aux marchés tient en deux chiffres : 17000 milliards de
dollars ajoutés en quatre ans à la dette publique des pays développés ;
13 millions de chômeurs en plus selon les chiffres officiels dans ces
mêmes pays ».
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