TOUT EST DIT

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jeudi 16 septembre 2010

La presse européenne craint que la brouille Sarkozy-Reding monopolise le sommet de l'UE

La Voix du Luxembourg ne mâche pas ses mots. Pour le quotidien, Paris s'est engagé sur le "boulevard du ridicule" en tapant ouvertement sur la vice-présidente luxembourgeoise de la Commission européenne, Viviane Reding, dont les propos sur la politique à l'égard des Roms, qui évoquent la seconde guerre mondiale, font polémique depuis mardi 14 août. Le journal luxembourgeois n'est pas le seul à donner de la voix. Alors qu'un sommet réunit les dirigeants des 27 à Bruxelles, jeudi, la presse européenne s'intéresse de près aux tensions entre l'exécutif français et la Commission européenne, craignant qu'elles ne parasitent la rencontre.
UNE BROUILLE COMMENTÉE DANS TOUTE L'EUROPE

Le journal El Pais, qui évoque en titre la "goguenardise" du président français, parle de "conflit ouvert" entre la commission européenne et la France. Dans un article intitulé "les clés du conflit entre la Commission Européenne et la France sur l'expulsion des Roms", le journal revient en détail sur les positions respectives de chacun des acteurs. Mais le quotidien espagnol souligne surtout que cette polémique "menace de monopoliser" le sommet européen du jour à Bruxelles, "prévu à l'origine pour aborder les affaires économiques et de politique extérieure".

En Belgique, pays qui assure actuellement la présidence de l'Union, Le Soir consacre un nombre important d'articles au sujet, et mentionne en particulier les déclarations du premier ministre Yves Leterme, qui a estimé que la Commission européenne devait "veiller" au respect par la France des règles européennes au sujet. En Allemagne, le Süddeutsche Zeitung titre lui sur la procédure d'infraction européenne qui menace la France. La chancellière Angela Merkel a soutenu Viviane Reding, tout en désapprouvant le ton de ses propos.

Seul pays européen où Nicolas Sarkozy a trouvé un franc soutien en la personne de Silvio Berlsuconi, l'Italie n'est pas en reste. La Repubblica souligne le "clash" entre Nicolas Sarkozy et l'Europe, et liste les forces en présence dans les deux camps : "Berlusconi et Paris" d'un côté, "Merkel et les Etats-Unis" de l'autre.

UN JUGEMENT SÉVÈRE SUR LA MAJORITÉ PRÉSIDENTIELLE

Le Financial Times adopte, lui, une position tranchée à l'égard de la France. Dans un éditorial qui pointe du doigt les pratiques "honteuses" de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des Roms, le quotidien britannique déclare qu' "il y a de bonnes et de mauvaises manières" de traiter les problématiques de l'immigration, et "prononcer des discours stigmatisant une minorité ethnique par intérêt politique" appartient à la deuxième catégorie. Selon le journal, non seulement Viviane Reding est dans son droit, mais Nicolas Sarkozy "ne devrait pas avoir besoin que Mme Reding l'y oblige" pour "s'arrêter et réfléchir à sa réthorique incendiaire" sur le sujet.

Irrité par les propos de la Commissaire, Nicolas Sarkozy avait glissé, selon le sénateur UMP Michel Houel, que si "les Luxembourgeois voulaient prendre [des Roms], il n'y avait aucun problème". A l'instar du ministre des affaires étrangère du pays, qui a protesté contre cette attaque, la presse luxembourgeoise n'a pas manqué de se prononcer.

La Voix du Luxembourg s'en prend violemment à l'attitude de l'Elysée :"Que ceux qui en doutaient soient rassurés : la France peut aller plus loin dans sa fuite en avant de déclarations pathétiques", lance le journal dans son éditorial. Elle pointe du doigt un "garde à vous sémantique" des hommes politiques issus de la majorité, qui ont tiré à boulets rouges sur Viviane Reding. Pour le quotidien luxembourgeois, le camp français aurait dû faire "profil bas". Le journal espère tout de même que "tout ce beau monde saura aujourd'hui se consacrer aux vrais sujets" lors du sommet européen.

Marion Solletty



NICOLAS SARKOZY STIGMATISE LES MANQUEMENTS DE L'EUROPE À L'ÉGARD DES ROMS, L'EUROPE FRILEUSE PRÉFAIRE METTRE UN VOILE DE PUDEUR COUPABLE SUR CE QU'ON APPELLE AUJOURD'HUI, D'UN TERME OUTRANCIER, UN "GENOCIDE".
BIDON ! BIDON CETTE EUROPE À LA MORALE LUTHÉRIENNE, BIDON CETTE EUROPE À L'IMAGE COLLECTIVE INEXISTANTE ET À L' EFFICACITÉ REDOUTABLEMENT NULLE.

Bien vieillir avec et pour les autres

Avez-vous entendu parler de Sun City ? Cette ville des États-Unis a été créée dans l'Arizona au début des années 1960. 40 000 habitants vivent à l'abri de murs d'enceinte avec contrôle rigoureux de l'accès, interdit - sauf autorisation - à toute personne extérieure. Cette ville privée n'est que l'une des « communautés fermées » en voie de multiplication, mais elle présente la particularité d'être réservée aux plus de 60 ans - la moyenne d'âge y étant de 75 ans - et de ne comporter ni enfants ni école.

Il semble que ce mode d'habitat fasse des émules en France et ailleurs. Il aurait la faveur de seniors, heureux de se retrouver entre eux dans une oasis de béatitude sereine.

À l'heure où le débat sur les retraites souligne le risque de fracture entre générations, une telle sécession suscite bien des questions.

La première concerne la place physique des personnes âgées dans notre société. Ce mode de regroupement n'est-il pas comme l'acceptation de la « mise à l'écart », de l'« exil » intérieur dont souffrent nombre d'entre elles ?

Puisqu'on ne veut pas de nous, les « inutiles », eh bien retirons-nous du jeu en attendant la mort de manière aussi agréable que possible. Ce qui revient à considérer que l'âge et le grand âge ne sont pas une phase de l'existence succédant naturellement à l'adolescence et à l'âge adulte, mais un nouvel état qui exclurait des autres hommes. « Les grands vieillards intériorisent les conceptions négatives de la vieillesse, explique la philosophe Corine Pelluchon. Ils s'excusent d'exister et s'écartent du chemin qui peut mener au bien-vieillir. »

Et justement, qu'est donc ce « bien-vieillir » dont l'humanité cherche la formule depuis si longtemps ? Pas de recette, mais un axe de réponse : devenir capable de faire force de la faiblesse pour que le plomb de la maladie, de la déperdition, de la faiblesse et de la dépendance puisse se transformer en valeurs précieuses. Teilhard de Chardin parlait à ce propos de « diminutions positives », une belle formule qui associe les qualités d'attention, d'écoute, d'empathie, de patience, en souffrance dans l'ordinaire des jours.

La conversation d'un vieillard et d'un enfant peut être belle. À ce moment-là, le temps semble suspendu dans un présent chargé de vie. « Les vieux ont le temps d'aimer », disait Balzac. Le ralentissement de l'organisme impose en effet une certaine lenteur, qui est à la fois limite et vertu. Vertu de redécouverte de la saveur de l'instant, c'est le sens du mot sagesse désignant « ce qui a du goût », expérience du lâcher prise, de la mise à distance avec humour, d'une forme d'effacement qui peut étonnamment rayonner. Car c'est le paradoxe de la vieillesse que de pouvoir produire un regain de jeunesse, d'audace de pensée et de liberté d'esprit. Comme l'a joliment dit Félix Leclerc, « ce n'est pas parce que je suis un vieux pommier que je donne de vieilles pommes ».

Loin de nous, bien sûr, l'idée de fixer l'expérience de la vieillesse dans cette belle image. Elle peut être aussi une tragédie, un grand naufrage. Avec d'autant plus de probabilité que l'échange entre générations se réalise mal. Car c'est cet échange qui donne aux anciens une raison majeure de demeurer « vivants jusqu'à la mort ». Titre du beau dernier livre du philosophe Paul Ricoeur, décédé en 2005.


Jacques Le Goff
Professeur de droit public à Brest.

INDIGNES, LES DÉPUTÉS SONT AU DESSOUS DE TOUT.


Le commentaire politique de Christophe Barbier


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Le désordre et le mouvement

Si nos enfants avaient pu assister à la séance de l'Assemblée nationale, hier après-midi, ils auraient eu le droit - eux - de huer les acteurs. Pour un vote qui les concerne - après tout, ce sont eux qui les paieront, les retraites ! - la représentation nationale a offert un spectacle navrant, dégradant pour elle et insultant pour le pays. Tout républicain sincèrement attaché à la représentation parlementaire n'a pu qu'éprouver de la tristesse en voyant ainsi piétiner les règles les plus élémentaires du vivre ensemble démocratique.
On a vu des députés, charette comme des étudiants, siéger seize heures de rang, pour boucler avant l'aube, tels des forcenés législateurs, l'examen d'un texte essentiel, au risque de bâcler les chapîtres pénibilité, emploi des seniors, femmes... On a vu d'autres députés, de l'opposition ceux-là, brailler dans les couloirs du Palais-Bourbon pour réclamer la démission de leur président, comme des supporters du PSG éructant contre leurs dirigeants. On a entendu des discours nuls, surjoués de part et d'autre, psalmodier en boucle des arguments prévisibles et mille fois entendus. Et on a beau se dire que tout ce vide fait partie du luxe d'un pays libre, ce fut une défaite pour le verbe et une déroute pour l'esprit français qui ne mérite pas un tel affront.
A qui la faute ? A tout le monde.
A la petitesse d'un Bernard Accoyer exhibant comme un Sam'suffit ses 62 heures de débat (on frissonne). Pétrifié à l'idée de désobéir à l'Élysée en accordant 13 petites heures supplémentaires à d'ultimes interventions. Il fallait conclure, certes, mais pourquoi abréger aussi sauvagement une liberté de parole aussi symbolique ?
A la médiocrité d'une opposition si peu imaginative dans son obstruction, et si peu respecteuse de l'image, précieuse, du président de l'Assemblée qui avait résisté, depuis 52 ans pourtant, aux vicissitudes et aux alternances de la Ve République.
A l'été 2008, on s'était réjoui que la réforme constitutionnelle, imaginée par la président de la République, rende aux parlement de son pouvoir et de ses prérogatives. C'était un mouvement moderne ! Hier, c'est un désordre archaïque et régressif qui s'est étalé sous nos yeux.
Le chef de l'État a largement contribué à démolir sa propre construction. La gestion calamiteuse de l'affaire Bettencourt - mise au jour par la justice et le procès Banier et non par la presse ! - et les calculs électoraux qui ont inspiré la scénarisation volontairement claironnante des expulsions de Roms, ont pollué la discussion de la réforme des retraites. Elle était condamnée à être conflictuelle, voire caricaturale. Pas à sombrer dans le misérable. Cette loi, le président la disait « emblématique » de son quinquennat. Elle a été votée sur un champ de ruines.

Olivier Picard

Bras de fer

Les députés de gauche n'ont pas réussi le coup qu'ils avaient concocté, mais ils en ont réussi un autre. La loi sur les retraites a été adoptée hier à l'heure dite, alors qu'ils voulaient retarder le train législatif en espérant le faire dérailler dans une semaine sous la pression de la rue, et un peu plus tard au Sénat. Le président de l'Assemblée a sauvé la mise à l'impatient Nicolas Sarkozy en leur coupant le sifflet, mais il leur a offert l'occasion d'un autre combat. Dans une Assemblée enflammée comme aux plus beaux temps de la IIIe ou de la IVe, la gauche est montée au front pour siffler le pauvre président Accoyer, réclamer sa démission, et dénoncer la « République abîmée » par Nicolas Sarkozy.

De ce politico-drame porté à l'incandescence, la gauche espère tirer un bénéfice politique en se raccrochant à sa manière au mouvement syndical et à la majorité des Français opposés à cette réforme. Elle veut croire que l'affaire n'est pas jouée et qu'il est encore possible de rééditer le coup du CPE, voté puis abrogé. Mais au temps du Premier ministre Villepin et du président Chirac, il y avait à la manoeuvre de sabotage au sein même de la droite, un certain? Nicolas Sarkozy !

Le président est donc bien placé pour savoir qu'un couac est possible. Il prend soin cette fois-ci de verrouiller où il le peut, comme à l'Assemblée, ou de déminer là où il ne peut pas faire autrement. C'est le cas au Sénat où, faute de majorité, il n'est pas à l'abri d'une surprise. D'où sa promesse aux sénateurs qu'ils auront une petite marge de manoeuvre pour amender cette réforme qui en gêne quelques-uns.

Comme un seul front ne lui suffit pas, le président bagarreur en a ouvert un autre, avec la Commission européenne soutenue par l'Allemagne. Ulcéré d'être rappelé à l'ordre par Bruxelles, dans des termes il est vrai excessifs, le président a répliqué sur un ton qui ne peut qu'aggraver la crise naissante avec la Commission. En instruisant son procès en illégitimité alors qu'elle est la gardienne des traités, Nicolas Sarkozy engage la France sur une mauvaise voie. Pour limiter les dégâts, il est temps de calmer le jeu. C'était la mission hier soir de François Fillon. Décidément.

XAVIER PANON

Roms: Sarkozy attaque bille en tête, l'Europe s'enflamme

Scandalisé par les propos de la commissaire européenne Viviane Reding, qui s'est ensuite excusée, Nicolas Sarkozy lui suggère de prendre quelques Roms dans son pays, le Luxembourg
Nicolas Sarkozy serait « très heureux si le Luxembourg pouvait aussi accueillir quelques Roms ».Allusion à la nationalité de la commissaire Viviane Reding qui avait établi mardi un lien entre sa politique à l'égard des Roms et les déportations de la Seconde Guerre mondiale.

Les propos du Président français ont néanmoins porté: Viviane Reding a baissé d'un ton hier en s'excusant pour la comparaison avec la déportation des juifs: «Ce n'était pas mon intention».

Autant dire que la crise entre la France et Bruxelles sur le dossier Roms a pris une autre dimension. Scandalisé par les propos de la commissaire européenne, Nicolas Sarkozy réplique, et de façon ferme : « il est scandaleux (...) que l'Europe s'exprime de cette façon sur ce que fait la France » a-t-il dit aux sénateurs. Il devra aujourd'hui s'en défendre à Bruxelles à l'occasion du sommet européen devant ses homologues européens. D'ores et déjà François Fillon s'est rendu hier, dans une logique d'apaisement, à Bruxelles au dîner du Parti populaire européen (PPE), de droite et majoritaire à Strasbourg, pour « défendre et expliquer la position » de Paris sur les Roms. De même Bernard Kouchner, le chef de la diplomatie française a tenté de calmer le jeu hier en déclarant que Mme Reding ne s'était pas exprimée « au nom du Luxembourg ».

Mais le gouvernement luxembourgeois attend Nicolas Sarkozy de pied ferme. Cette crise d'une rare violence avec la Commission européenne couvait depuis le mois d'août et le durcissement de la politique sécuritaire de la France à l'égard des Roms en situation irrégulière (un millier d'expulsés depuis le mois de juillet, des dizaines de camps illicites démantelés). Elle a éclaté cette semaine à la suite des révélations sur l'existence d'une circulaire - annulée depuis - ciblant spécifiquement les Roms pour les renvois, en contradiction d'engagements donnés auparavant à Bruxelles. Mais Nicolas Sarkozy, risquant pourtant d'isoler la France, entend porter la controverse au sommet européen qui se tient à Bruxelles aujourd'hui. Un sommet qui s'annonce difficile pour rassembler les dirigeants autour de projets communs.

Barroso soutient Reding Berlusconi appuie la France

Silvio Berlusconi soutient clairement la France dans le dossier Rom. Le Président du Conseil italien a estimé en effet hier que Mme Reding «aurait mieux fait de traiter le sujet en privé avec les dirigeants français avant de s'exprimer publiquement», dans un entretien au quotidien Le Figaro.
En revanche, le président de la Commission José Manuel Barroso maintient son soutien à Mme Reding assurant hier qu'elle «n'a pas voulu établir un parallèle entre ce qui s'est passé durant la deuxième Guerre mondiale et la période actuelle» et lui a apporté son soutien sur le fond. «La loi communautaire doit être respectée».
Cherchant cependant l'apaisement avec Paris, M. Barroso a pris «note» des déclarations des autorités françaises «selon lesquelles la France estime que le moment du dialogue est venu».
De même, les Etats-Unis «invitent la France et d'autres pays à respecter les droits des Roms», a déclaré hier un haut responsable du département d'Etat sous couvert de l'anonymat.
La défense des droits des Roms contre les discriminations dont ils sont la cible en Europe est une priorité de l'administration Obama, avait affirmé le 8 avril Hillary Clinton, la chef de la diplomatie américaine.

Le commentaire par Pascal Jalabert : le pays virtuel et le pays réel

Mais dans quel pays virtuel vit-on ? Hier soir, le ministre du Travail et de la polémique, Eric Woerth, se disait « fier du débat sur les retraites » et les députés d'opposition fanfaronnaient après leur chahut monstre à l'Assemblée. Avec ça, nos retraites seront équitables et garanties ! Hier, sur ce pénible dossier Roms, une commissaire européenne s'excusait d'une comparaison outrancière avec la Shoah, et le Président de la république française moquait le petit Luxembourg. Avec ça, l'Europe se construit, se rapproche du citoyen et règle la question Rom. La France d'en haut, celle des gouvernants, des riches et des célèbres, devient un pays virtuel au climat malsain et aux paysages hallucinants : la grève des millionnaires du football; la valse des milliards de Liliane Bettencourt, son revenu quotidien de 288 000 euros, son héritier photographe qui ose défiler avec les smicards et les petits fonctionnaires dans les manifs; les milliers d'euros de frais de coke de Jean-Luc Delarue; les affaires, les mensonges, les coups tordus, visibles en ce moment dans la majorité de droite, mais jamais très loin à gauche; les ambitions, les caprices, les aventures de Carla, enfant triste et gâtée devenue première dame, étalée dans des livres. On n'a hélas pas encore tout vu. Regardons plutôt la France réelle. Le vrai pays, on le découvre dans les bureaux des directeurs de ressources humaines des entreprises et des mairies, aux boîtes mail saturées de lettres de motivation, de demandes de stage, de flots de CV. Le pays réel, c'est le chômage, c'est l'hôpital public en déshérence, les campagnes désertées par les médecins et les dentistes, les cités devenues inaccessibles aux policiers, les paysans qui ne parviennent plus à vivre de leur terre, les conseils généraux au bord de la cessation de paiement sous la pression des prestations sociales, les ouvriers contraints de voter la baisse des salaires pour sauver leur emploi, les salariés qui peinent à obtenir des prêts et à acheter un logement, les étudiants qui triment au fast-food après les cours. Le constat serait pessimiste et populiste si ne s'étalait sous nos yeux d'un côté ce spectacle permanent et cynique, sans morale ni retenue, et de l'autre ce désarroi et ces interrogations. Cette rupture entre pays virtuel et pays réel, venue de très loin, peut se traduire par une résignation fataliste, un repli réactionnaire, une poussée révolutionnaire. Bref, ce climat n'augure rien de bon.

Machin

La Commission, combien de divisions ? Après le coup de sang de notre Président, on en serait presque à s'interroger sur la capacité militaire de l'ennemi bruxellois… Mais on nous promet l'apaisement, aujourd'hui au Conseil. Et les Commissaires européens devraient, depuis le temps, s'être habitués: les invectives de Nicolas Sarkozy s'inscrivent dans une grande tradition française, de la chaise vide du Général de Gaulle aux saillies de Jacques Chirac contre les technocrates de Bruxelles. La Commission, vue de l'Elysée, c'est un machin qui ne sert à rien qu'à nous embêter. Le problème est que le machin a gagné beaucoup de pouvoir. Et que notre Président en aura bien besoin s'il veut à nouveau sauver le monde, cet automne à la tête du G20. Alors, Monsieur notre Président, il va bien falloir lui serrer la main, au Président Barroso, et même lui sourire… Allez, un effort - pour la France !

Des “pirates” à l’Assemblée

Chahut monstre à l’Assemblée nationale : fidèles à la philosophie mitterrandienne “il faut laisser du temps au temps”, les députés de l’opposition ont joué la montre pour retarder le vote sur la réforme des retraites. À raison de cinq minutes d’explication de vote pour chacun des 165 parlementaires, faites le calcul : les heures sup’ des huissiers allaient exploser.

Cris d’orfraie sur les bancs de la majorité : “c’est de l’obstruction”. Et fin de la récréation sifflée par Bernard Accoyer dans un tohu-bohu aux allures de cour de récréation.

“Combine, putsch, collabo”, le dictionnaire des noms d’oiseau a déployé toutes ses richesses.

Ironie de l’histoire, c’est le député UMP du Vaucluse Thierry Mariani, jamais avare d’une initiative astucieuse, qui a inscrit dans le marbre du règlement du Palais-Bourbon l’explication individuelle de vote... L’arroseur arrosé, version V e République !

Néanmoins dans l’épreuve du marathon parlementaire, les députés français font petit bras face aux sénateurs américains. Le Sénat US a jadis fait une trouvaille, la procédure dite du “flibustier”. Le sénateur-pirate peut tenir le crachoir tout le temps voulu, sans limites. Un sénateur tenace est entré dans l’histoire en squattant la tribune 24 heures et 18 minutes durant. Sans se lasser contrairement à son auditoire...

Nos “pirates” tricolores n’auront tenu qu’une modeste nuit blanche. Désolant au pays de Jean-Bart...



Georges BOURQUARD

La presse face au mur du péage

C'est la question que tous les journaux se posent : faut-il faire payer ses contenus sur Internet ? La plupart avaient pris le parti de la gratuité, misant sur leur audience pour capter des recettes publicitaires. Mais, depuis quelques mois, certains ont fait marche arrière et mis en place des systèmes de péage, les fameux « pay walls ». Le « Times » britannique, l'un des fleurons du groupe News Corp., a basculé au tout-payant sur le Web le 1 er juillet, et le « New York Times » a annoncé son intention d'introduire une formule payante début 2011 (lire ci-dessous).

En France, plusieurs quotidiens généralistes ont déjà sauté le pas. Avec des stratégies mixtes, dites « freemium » dans le jargon des éditeurs : une partie du site est restée gratuite, mais certains contenus sont devenus payants. En septembre 2009, « Libération » a ainsi fermé l'accès gratuit sur son site aux articles du quotidien papier : ils sont réservés à ses abonnés Internet. De même, LeFigaro.fr a introduit un système d'abonnement en février. Enfin, LeMonde.fr, l'un des premiers à avoir facturé des contenus en 2002, réserve depuis mars les articles du quotidien papier à la version payante.

Objectif : tenter de faire payer une audience qui a atteint plusieurs millions de visiteurs uniques mensuels (près de 5 millions, pour LeFigaro.fr et LeMonde.fr) et cesser de cannibaliser les contenus des versions papier. L'information hiérarchisée, vérifiée et enrichie coûte cher à produire, il s'agit donc de la faire payer.
Dans le monde de la gratuité

Mais où placer le curseur ? « Il est très difficile de vendre une information sur le Web : Internet, c'est le monde de la gratuité. On l'a oublié mais il y a dix ans, certains journaux comme l''‘Irish Times'' » ont tenté le modèle payant. Ce fut un échec retentissant, l'audience du site a plongé. Depuis, le modèle de la gratuité est devenu dominant », rappelle Patrick Le Floch, directeur de Sciences Po Rennes et spécialiste de l'économie des médias.

Avec une exception pour les titres plus ciblés. « La stratégie du payant a un sens pour la presse économique, comme le ‘‘Wall Street Journal'' ou ‘‘Les Echos'' . Les lecteurs sont plus captifs, et ont besoin de l'information à titre professionnel », poursuit-il. « Les Echos », qui ont adopté cette stratégie depuis longtemps, espèrent totaliser 50.000 abonnés à leurs contenus numériques fin 2010. Elle est plus risquée pour les titres grand public. « L'Express » a étudié avant l'été un passage au payant et a finalement reculé. Les revenus publicitaires en ligne sont certes insuffisants (13 millions d'euros pour LeFigaro. fr en 2009), mais il ne s'agit pas de les perdre. Le cabinet britannique Enders a publié il y a quelques jours une étude montrant qu'un abonné Internet rapporte à peine un quart à un tiers du revenu généré par un acheteur du journal papier. Or, selon Enders, les coûts physiques d'impression et de distribution représentent outre-Manche 25 % du total : on est loin du compte.

Pour les éditeurs, il s'agit donc de maintenir l'audience tout en séduisant des abonnés. Dans ce but, les quotidiens français ont renforcé à la fois leur offre gratuite et leurs contenus payants. La rédaction du « Monde » doit fournir 20 articles par jour au Monde.fr, en accès gratuit. « On y est presque », assure Philippe Jannet, PDG du Monde Interactif. Ceux du « Figaro » produisent pour les abonnés 12 lettres hebdomadaires prospectives sur leur secteur (géopolitique, économie, culture…). « Nous n'avons passé au payant que les articles très identitaires pour « Le Figaro » : les tribunes, les portraits, etc. », explique Thomas Doduik, directeur des opérations du Figaro.fr.

Tous assurent que leur audience n'a pas pâti de leur nouvelle politique. « Elle a même augmenté depuis un an », indique Ludovic Blecher, responsable des éditions électroniques de « Libé ». Et les abonnés arrivent doucement, mais sûrement, notamment depuis la sortie de la tablette d'Apple. « Il y a eu un vrai effet iPad », poursuit Ludovic Blecher, qui annonce à ce jour 10.000 abonnés numériques, dont 5.500 à la formule « Web + print » et 4.500 aux seules éditions Web.

Au « Monde », Philippe Jannet revendique 110.000 abonnés, dont 40.000 aux seuls contenus numériques. « Le Figaro » communiquera sur ses résultats d'ici à la fin de l'année. Ils seront à coup sûr étudiés avec attention.

Santé : la ligne de crête

Polémique garantie, tangage assuré : les mesures en préparation sur l'assurance-maladie vont faire du bruit, et personne ne s'en étonnera. La hausse d'un demi-point du ticket modérateur sur tous les actes, la baisse à 30 % du taux de prise en charge des médicaments aujourd'hui remboursés à 35 % et la fin de la gratuité systématique des frais de transport pour les patients atteints d'une affection de longue durée : chacun de ces dispositions est ultravisible et symbolique. Avec quelques autres encore, elles représentent un effort, non négligeable, de 2,6 milliards, qui seront demandés aux assurés, aux mutuelles et aux industriels. Le gouvernement doit donc se préparer à ce que les critiques fusent d'un peu partout. Il ne peut ignorer non plus que son plan, dans l'esprit d'une partie des Français, s'ajoutera à la réforme des retraites et aux mesures fiscales dévoilées petit à petit ces dernières semaines.

Et pourtant. Tous ceux qui vont pousser des hauts cris dans les jours qui viennent auraient intérêt à avoir en tête quelques données bien précises même si elles sont moins « parlantes » médiatiquement. A l'heure actuelle, les dépenses d'assurance-maladie s'élèvent à environ 150 milliards d'euros. Le déficit de la branche dépasse chaque année 10 milliards. Cela veut dire que 1 euro sur 12 d'une dépense courante n'est pas financé. Alors, entend-on souvent, relevons les prélèvements et notamment la CSG ! C'est si tentant... Encore faut-il rappeler et marteler que la France est le pays qui affiche déjà les dépenses de santé financées par l'impôt (au sens large) les plus élevées de l'ensemble du monde développé (8,7 % du PIB, devant le Danemark). Et qu'elle occupe la deuxième place (derrière les Etats-Unis) si l'on rajoute le financement privé. Voilà qui devrait éviter, si le débat était serein, le procès tellement convenu sur la paupérisation et la privatisation de notre système de santé. Les Français les plus déshérités seront d'ailleurs épargnés par les nouvelles mesures grâce à la CMU.

L'idée d'un « grand soir » de l'assurance-maladie étant largement utopique, il ne reste, hélas, que le travail besogneux, peu gratifiant et risqué des économies au fil de l'eau. Serrer un peu plus ici pour financer des scanners là, imposer ici un effort pour fournir là aux hôpitaux des médicaments ultracoûteux. Nul ne doute que le plan présenté pourra être amélioré sur tel ou tel point. Mais il a la vertu de maintenir les dépenses sur la ligne de crête de la maîtrise. Retraites, budget, santé : Nicolas Sarkozy a manifestement décidé, dans la dernière ligne droite, de ne pas arrêter d'agir - quitte à encaisser des coups. En matière économique et sociale, ce n'est pas le moins courageux.




Dominique Seux

L'épargnant n'a pas fini de payer la note de la crise

Normalement, l'épargnant a déjà payé la facture de la crise. Des actions valant à peine plus de la moitié de leurs cours de l'été 2007, des sicav obligataires rémunérées en cacahuètes, des fonds de placement plombés par des produits structurés ou du Madoff… Il y a de quoi déprimer tous ceux qui ont mis de l'argent de côté ces dernières années. Mieux aurait valu acheter de l'or ! Et pourtant, ça risque d'être pire dans les prochaines années. Ceux qui ont prêté de l'argent, d'une manière ou d'une autre, aux particuliers, aux entreprises ou aux Etats n'ont pas fini de payer la note.

Pour comprendre l'enjeu, il faut remonter quelques années en arrière, quand il semblait y avoir un tigre dans le moteur de l'économie mondiale. Depuis 2008, le tigre s'est métamorphosé en boulet. Il empêche le moteur des pays développés de tourner. La mutation ne doit rien à un mauvais sort car le tigre et le boulet sont les deux incarnations de la même réalité : l'endettement. Aux Etats-Unis comme en France, la dette totale a doublé en dix ans. La croissance a été financée à crédit. Il faut maintenant rembourser. Même les plus benêts des prévisionnistes ont commencé à se rendre compte qu'il y avait là comme un problème. D'où la disparition des scénarios où « tout repart comme avant ».

Sur le papier, en regardant les grandes masses, le remboursement semble jouable. Les richesses engendrées dans les pays concernés permettent à la fois de payer ses créanciers et de vivre en se serrant un peu la ceinture. Mais, sur le papier, il n'y avait aucune raison pour que la banque Lehman Brothers fasse faillite. Dans la réalité, il en a été tout autrement. L'économie n'est pas une mécanique ultrafluide. Il y a des à-coups. Il ne faut pas se faire d'illusions : dans les prochaines années, beaucoup d'emprunteurs ne pourront pas faire face. A commencer par les particuliers. Aux Etats-Unis, 11 millions de foyers ont la tête sous l'eau - la valeur de leur maison reste inférieure à ce qu'il leur reste à payer sur leur emprunt immobilier. Au moindre aléa, ils en rendront la clef - comme l'ont déjà fait près de 10 millions d'Américains. En Europe aussi, la persistance d'un chômage élevé va multiplier les situations de surendettement, comme on l'avait vu en France dans les années 1990. Les entreprises auront également du mal à rembourser. Si nombre de vedettes boursières ont profité d'une fenêtre ouverte l'an dernier sur les marchés pour refinancer leurs emprunts, les PME n'ont pas pu saisir cette opportunité. Elles ont parfois des échéanciers qui paraissaient raisonnables avec l'activité des années 2006-2007 et qui deviennent monstrueux avec une production inférieure de 15 % ou 20 %, sans perspective de retour rapide aux niveaux antérieurs.

Les banques ne sont pas toutes en meilleure position. Au pic de la crise, les experts avaient savamment expliqué qu'elles avaient un problème de liquidité, non de solvabilité. Deux ans plus tard, ce n'est plus si sûr. Si les grands établissements paraissent solides en France, des centaines de banques ont disparu aux Etats-Unis. En Irlande, pays jugé exemplaire dans sa réaction face à la crise, Anglo Irish Bank va finalement être démantelé. En Allemagne, plusieurs Landesbanken pourraient être insolvables dans un avenir proche.

Enfin, les Etats restent eux aussi dans une position fragile. Gelé pour trois ans, le problème grec ressortira du congélateur en 2013. Au Portugal et en Irlande, les pouvoirs publics auront du mal à s'acquitter de leurs engagements. Idem en Espagne, si elle ne retrouve pas une croissance solide. Et les agences de notation ont tiré la sonnette d'alarme quant aux finances publiques des pays jugés les plus sûrs - Royaume-Uni, France, Allemagne, Etats-Unis.

Bien sûr, il s'agit de risques et non de certitudes. Mais les risques de défaut sont trop élevés pour qu'on les oublie. Jusqu'à présent, les Etats ont amorti le choc, protégeant ainsi les épargnants. Washington a repris l'intégralité des milliers de milliards de dollars de dettes de Fannie Mae et de Freddie Mac pour rassurer les investisseurs chinois, Paris a volé au secours des constructeurs automobiles, Londres a nationalisé les banques défaillantes, etc. Les finances publiques sont désormais trop serrées pour renouveler ce genre d'exercice en toute liberté. Les prochains gros défauts de paiement, privés ou publics, vont devoir être directement assumés par les prêteurs privés, jusqu'à présent largement préservés des pertes en capital.

Pour sortir de cette crise de la dette, il faudra une nouvelle « euthanasie du rentier », pour reprendre l'expression de John Maynard Keynes. Evidemment, le rentier déteste se faire euthanasier. C'est humain. Le problème, c'est que l'acharnement légitime de l'épargnant à préserver son capital bloque la situation en étouffant son débiteur. On l'a bien vu dans les années 1980, en Amérique latine. A la suite d'une forte hausse du taux d'intérêt, nombre de pays ont fait défaut sur leur dette. Leurs créanciers, des milliers d'établissements financiers américains ou européens, ont refusé de leur faire des concessions au nom des épargnants qui leur avaient confié leurs économies. Asphyxiés par le service de leur dette ou l'absence de nouveaux prêts, les pays ont perdu une décennie. La situation a fini par se débloquer en 1989, quand le secrétaire d'Etat américain au Trésor Nicholas Brady a réussi à faire accepter par les créanciers l'idée d'un « haircut » - une coupe de cheveux -sous la forme d'un capital amputé ou de taux d'intérêt réduits.

Avant la crise, les prêteurs ont gagné trop d'argent. Ils ont encaissé des taux d'intérêt plus élevés que les taux de base, en échange d'un risque qu'ils n'avaient pas perçu. Ils vont devoir désormais perdre trop d'argent. La façon dont ils vont accepter cette perte conditionnera la sortie de crise. Au bout du compte, certains se diront qu'ils auraient mieux fait d'acheter des actions. Qu'ils se rassurent : les actionnaires vont aussi passer chez le coiffeur, quand ils découvriront qu'un monde où les profits montent sans cesse au détriment des salaires n'est pas tenable. Mais c'est une autre histoire.



Jean-Marc Vittori

Il ne faut pas sacraliser le modèle allemand

Lorsque l'on compare la situation de l'Allemagne et de la France, on conclut souvent que la France présente de nombreux handicaps structurels vis-à-vis de l'Allemagne et que l'Allemagne pourrait être un modèle pour la France. Cette perception a été renforcée par le niveau plus élevé de la croissance en Allemagne sur la première partie de l'année 2010 : 2,2 % au deuxième trimestre contre 0,6 % en France. Même chose pour le taux de chômage, qui atteint 10 % en France et 7,6 % en Allemagne. Les handicaps structurels de la France par rapport à l'Allemagne les plus souvent mis en avant sont au nombre de quatre.
1 La capacité à exporter, forte en Allemagne, faible en France

Malgré une évolution des coûts de production dans l'industrie identique à celle de l'Allemagne et un effort de recherche-développement pas beaucoup plus faible (2,6 % du produit intérieur brut - PIB -en Allemagne et 2 % en France), les parts de marché à l'exportation de la France sont considérablement plus basses que celles de l'Allemagne : 3,5 % du commerce mondial hors pétrole pour la France et 11 % pour l'Allemagne. Les exportations vers les pays en croissance forte (émergents, exportateurs de pétrole) représentent 11 % du PIB en Allemagne, 4 % en France : on comprend alors que la forte reprise du commerce mondial au premier semestre 2010 écarte les taux de croissance de l'Allemagne et de la France par le simple effet de la taille des exportations.
2 La France n'est pas un pays industriel.

La part de l'emploi manufacturier dans l'emploi total est de 12 % en France contre 19 % en Allemagne ; le poids de l'industrie en France est le plus faible des pays de la zone euro à l'exception de la Grèce.
3 La faible profitabilité des PME françaises.

Le troisième handicap structurel de la France est la faible profitabilité des entreprises, autres que les grands groupes cotés (des PME en particulier) ; le taux de profit des entreprises, rapporté au PIB, varie entre 10 % et 11 % en Allemagne, entre 6 % et 7 % en France ; les cash-flows (profits disponibles) des entreprises françaises ne représentent que 60 % à 70 % de leurs investissements, 110 % en Allemagne.
4 Une fiscalité défavorable à l'emploi en France.

L'Allemagne a fait un effort de réduction des charges sociales (qui ne représentent plus que 16,7 % du produit intérieur brut contre 18,2 % en 2002, alors que leur poids reste très lourd en France (18,4 % du PIB), ce qui décourage l'emploi, les investissements directs étrangers.

Si l'on s'arrêtait ici, on serait évidemment tenté de donner l'Allemagne comme modèle à la France. Pourtant, la performance macroéconomique de l'Allemagne n'est pas fondamentalement meilleure que celle de la France, ce qui peut constituer une surprise. De 1998 à 2010, l'emploi total a augmenté en Allemagne de 7 %, de 11 % en France. Le pouvoir d'achat de chaque salarié, lui, a baissé de 1 % en Allemagne, tandis qu'il augmentait de 18 % en France ; la consommation des ménages (en volume) a progressé de 9 % en Allemagne, de 32 % en France ; le produit Intérieur brut (en volume) a crû de 14 % en Allemagne et de 22 % en France ; l'investissement logement des ménages a augmenté de 22 % en France, baissé de 15 % en Allemagne.

La performance macroéconomique globale de la France est donc nettement meilleure que celle de l'Allemagne, malgré les handicaps structurels vus plus haut. Cela vient essentiellement des politiques économiques menées par Berlin. Il y a eu depuis la fin des années 1990 freinage des salaires, très forte déformation du partage des revenus au détriment des salariés et en faveur des profits, ce qui explique la faiblesse de la consommation et le niveau élevé de la profitabilité des entreprises. Il s'agit donc, en Allemagne, d'une politique économique de l'offre caractéristique, y compris dans le domaine fiscal avec le transfert de la pression fiscale des charges des entreprises à la taxation de la consommation (TVA).L'objectif normal d'une politique économique est de maximiser la consommation à long terme. Mais ce n'est pas du tout ce que fait l'Allemagne, puisque la hausse de la part des profits dans le PIB et la fiscalité dépriment la consommation. C'est sans doute l'objectif de la France, avec une hausse des salaires parallèle à celle de la productivité, la hausse de l'endettement, le développement des emplois de services.

La seule interprétation possible des politiques économiques menées en Allemagne est qu'elles visent, non à soutenir la consommation, mais à maintenir une industrie de grande taille montant en gamme, exportatrice, conservant ses parts de marché. Pour cela, il lui faut adopter une stratégie mercantiliste (privilégier l'exportation sur la satisfaction du marché intérieur), qui aboutit à ce que les Allemands travaillent pour que les autres pays où l'Allemagne exporte consomment les produits allemands.



Patrick Artus