Les grands scandales de l'art :
Peinte dans un style réaliste et bien peu académique, la toile de Géricault a aussi été perçue, lors de son exposition en 1819, comme une œuvre polémique, contre la Restauration
En 1819, le Salon de peinture au Louvre s’ouvre le 25 août, jour de la Saint-Louis, fête du roi. Pourtant, écrit Le Journal de Paris, « une des grandes machines qui frappent d’abord tous les regards représente les horreurs d’un naufrage ». Et ses vagues déchaînées sont lourdes de critiques envers la monarchie.
Inspiré d'un fait divers
Théodore Géricault, à 27 ans, vient de « dégainer » son Radeau de la Méduse , une toile monumentale de sept mètres sur cinq ! Pour cette grande peinture d’histoire, il s’est inspiré avec une audace novatrice d’un fait divers lamentable : le naufrage de la frégate royale, La Méduse, au large du Sénégal, survenu en 1816, à peine deux ans plus tôt. Son commandant, Hugues Duroy de Chaumareys, un vieil émigré remis en selle par les Bourbons alors qu’il n’avait pas navigué depuis vingt-cinq ans, a laissé le navire s’échouer sur un banc de sable.
Après s’être promptement mis à l’abri sur une chaloupe, il a abandonné 150 hommes d’équipage sur un radeau de fortune qui va dériver pendant treize jours, avec des scènes épouvantables de meurtres et de cannibalisme. Lorsque le brick L’Argus vient enfin secourir les malheureux, il ne reste que quinze survivants à bord, dont cinq vont décéder peu après.
Le récit des naufragés, dont le chirurgien de la marine Savigny et le géographe Corréard, a fait scandale, comme le procès qui suit, car derrière l’impéritie du commandant, c’est la Restauration qui est en cause. Montrer un tel sujet au Salon ne peut que relancer la polémique. L’interdire aussi, en donnant au tableau une vraie publicité.
Une double et discrète censure
Avisé, le comte de Forbin, directeur du Louvre, accepte donc l’envoi de Géricault mais le soumet à une double et discrète censure. La toile est accrochée sous le titre anodin de « Scène de naufrage » et exilée pendant un mois « sur les hauteurs d’une cimaise ».
Malgré cela, la grande affiche de Géricault fait sensation au Salon, aimantant la foule. Curiosité morbide ? Le peintre, après les avoir dessinés, n’a pas voulu représenter sur sa toile les scènes les plus violentes de mutineries à bord du radeau ou de cannibalisme, que seule rappelle une hache sanglante. Il a préféré le moment où le navire sauveur, passant une première fois au large, poursuit sa route sans voir les naufragés (celui-ci reviendra plus tard). À peine perceptible, sa silhouette minuscule s’évanouit sur l’horizon. C’est un moment d’intense espoir… déçu. Qui tranche avec la morale édifiante des classiques peintures d’histoire.
Un réalisme exacerbé qui porte à polémique
Bien visibles, au premier plan gisent quatre corps morts, amaigris et livides. Le jeune Delacroix a posé pour celui de dos, au centre. Mais Géricault s’est aussi inspiré de vrais cadavres. Voisin de l’Hôpital Beaujon, il a fait venir dans son atelier des corps de la morgue, des fragments de membres, des têtes coupées, dont il a laissé deux toiles et des dessins. Il veut s’approcher de la vérité au plus près. N’a-t-il pas aussi représenté, sur son Radeau, dans le coin en haut à gauche, deux des rescapés eux-mêmes, Corréard et Savigny ? Or ce réalisme exacerbé choque.
« Il aurait pu être horrible, il n’est que dégoûtant ; c’est un amas de cadavres dont la vue se détourne », critique Pierre-Alexandre Coupin, au milieu d’une presse déchaînée. Pas moins de 37 articles liés au Salon de 1819 s’empoignent autour du tableau de Géricault. Sous couvert de débats esthétiques, le scandale tourne à l’affrontement politique.
Le journal d’opposition La Renommée prend la défense de l’artiste : « Quel mouvement, quelle verve dans ce grand tableau. » Alors que Le Drapeau blanc royaliste fustige son « ton blanc et noir, d’un effet bizarre, beaucoup au-dessous de la relation que tout le monde connaît ».
Et la Gazette de France, autre voix des ultras royalistes, renchérit : « Point de figures principales, point d’épisodes ; tout est ici hideusement passif ; rien ne repose l’âme et les yeux sur une idée consolante, pas un trait d’héroïsme et de grandeur (…) On dirait que cet ouvrage a été fait pour réjouir la vue des vautours. »
Le succès outre-Manche
Géricault tiendra sa revanche, à Londres, un an plus tard, où son tableau fera un tabac, recevant 20 000 visiteurs en un mois et une presse unanime. Outre-Manche, on n’était pas fâché de célébrer ce naufrage d’une frégate française partie reprendre le Sénégal à Albion après les traités de 1814 et 1815. Et le goût anglais se retrouvait dans ce pinceau fougueux, bien peu académique.
En France, il faudra attendre 1824 et la mort de Géricault pour que le pouvoir consente enfin, sous la pression du comte de Forbin, à acquérir la toile scandaleuse. Au grand dam du peintre Ingres, chantre d’une « peinture saine et morale », qui s’époumonait encore, des années plus tard : « Je ne veux pas de cette Méduse et de ces autres tableaux d’amphithéâtre, qui ne nous montrent de l’homme que le cadavre, qui ne reproduisent que le laid, le hideux : non, je n’en veux pas ! »
Sabine GIGNOUX
jeudi 19 août 2010
« Le Radeau de la Méduse », contre la royauté
Si les réseaux d’Internet ne démultipliaient pas l’impact du moindre document publié sur un site personnel, l’affaire ne serait pas devenue une affaire. L’épisode n’en serait pas moins affligeant : une jeune femme militaire dans l’armée israélienne a trouvé plaisant, et peut-être excitant, de se faire photographier près de prisonniers palestiniens, les yeux bandés et les mains attachées, comme on le fait devant un paysage, un monument… ou un trophée. Cela témoigne d’un état d’esprit bien peu respectueux de l’autre, fût-il ennemi. Accompagnée de ses commentaires douteux, l’image aurait pu rester cantonnée à un petit cercle, dans les arcanes de Facebook.
Or ces photos ont fait le tour du monde et la sottise d’une seule se transforme en affaire d’État. Les Palestiniens y lisent le mépris des Israéliens à leur égard. Pourtant, sans ambiguïté aucune, l’armée israélienne a exprimé sa désapprobation, en précisant que la jeune femme était démobilisée depuis plusieurs mois. Et le directeur du comité israélien contre la torture, Yishaï Menuchin, s’est inquiété publiquement d’une attitude « devenue une norme, consistant à traiter les Palestiniens comme des objets et non comme des êtres humains ». La scène photographiée n’a certes pas la violence de celles filmées en 2004 par les soldats américains à Abou Ghraïb en Irak, mais la volonté d’humiliation, pas forcément consciente, semble bien la même.
Les images datent de 2008. Les autorités, militaires et civiles, ont exprimé fermement leur réprobation. Le site n’est plus accessible. La jeune ex-soldate ne comprend toujours pas où est sa faute, mais présente des excuses aux personnes qui se seraient senties blessées. Alors, point final ? Pas tout à fait, car de nombreux médias, en commentant l’histoire, le plus souvent avec des mots sévères pour la jeune soldate, ont publié l’une des photos objets du scandale. Amplifiant ainsi l’offense faite à des prisonniers en état de faiblesse, que pourtant ils condamnent. Au nom de l’information, sans doute. Quand accepterons-nous de ne pas tout montrer, parce que tout n’a pas à être montré ?
La terre tremble en Haïti, le monde entier se sent concerné. Début janvier, après le séisme, un formidable élan de solidarité en fut le témoignage. Rien de tel pour la nation pakistanaise, ravagée par de terribles inondations.
Les appels à la générosité ne récoltent que de maigres échos. Et de maigres écots, surtout. La Grande-Bretagne s’indigne même du montant “misérable” des sommes rassemblées.
Cette choquante disparité relèverait, selon les experts, d’une question de “marketing”. Le Pakistan, à trop rimer avec taliban, souffre d’un “déficit d’image”. L’opinion internationale l’assimile, d’un bloc, aux cruautés du terrorisme.
Il est vrai que le gouvernement d’Islamabad pratique, en la matière, un double jeu plutôt pervers. Est-ce une raison pour le confondre avec sa malheureuse population ? Non, bien sûr.
De partout, on exhorte donc l’Occident à se mobiliser. Le temps presse. D’autant que, sur le terrain, les ONG islamistes travaillent déjà leur popularité. “Jamaat-ud-Dawa”, par exemple, se refait une virginité alors qu’on lui impute les attentats de Bombay en 2008…
Donnez vite, avant que “les barbus” ne raflent la mise ! Voici le dernier argument qu’avancent les tenants de l’aide humanitaire. Il n’est pas interdit d’y voir un signe d’impuissance.
Que devient le social dans la mondialisation de l'économie ? Où en est l'effort d'harmonisation universelle des garanties minimales d'un travail décent ?
La question demeure ouverte, dans un contexte d'énorme dissymétrie des situations. Les trois quarts de la population mondiale ne disposent d'aucune protection sociale. Leur vie, sans lendemain assuré, relève de la simple survie, exposée, de surcroît, aux caprices de la nature, comme au Pakistan.
C'est un fait, mais non une fatalité. Telle est la conviction fondatrice de l'Initiative mondiale pour un socle de protection universelle, adoptée par les Nations unies en avril 2009. L'objectif est de permettre l'accès à un minimum de revenus, aux moyens de subsistance et aux services sociaux (santé, eau, assainissement, éducation...) pour tous, de mettre en place un filet de sécurité sociale d'ampleur mondiale. Le groupe de pilotage vient de se réunir à Genève, sous la houlette de Michèle Bachelet, l'ancienne présidente du Chili. Martin Hirsch, qui en est membre, se déclarait raisonnablement optimiste.
On aurait pourtant bien des motifs de scepticisme, à commencer par l'ancienneté d'un combat qui a plus d'un siècle, sans résultats spectaculaires. Les premières conférences internationales sur les conditions de travail datent des années 1880, l'OIT (Organisation internationale du travail) a été créée en 1919 dans un souci de paix. Depuis, près de 200 conventions internationales ont été adoptées, avec des résultats tangibles, mais si inégaux qu'en 1998, son assemblée générale a, par une grande déclaration, concentré l'action sur les droits les plus fondamentaux, piliers d'un ordre public social mondial.
Pourtant, trois facteurs, au moins, semblent propices à l'émergence de cette protection universelle. D'abord le profil bas, probablement temporaire, d'une « rationalité » économique dont la crise a révélé avec éclat les limites, en ouvrant du même coup l'espace à d'autres types de logiques d'action, en particulier sociales. Le regain d'intérêt pour l'économie sociale, ces derniers temps, en est un signe.
Ensuite, l'accueil très favorable de la réflexion de l'Indien Amartya Sen, prix Nobel d'économie, qui démontre à quel point la justice sociale est une matrice de développement économique et politique (1). Elle contribue à la croissance économique en améliorant la productivité et la stabilité sociale, par la réduction de la pauvreté. Cette intuition est au coeur du Pacte mondial des Nations unies, qui vise à l'intégration des droits sociaux dans la stratégie de développement des grandes entreprises.
Enfin, la multiplication des mouvements sociaux dans les pays émergents (Chine, Bangladesh, Birmanie...) autour des salaires, fortement augmentés chez Honda et Foxconn, mais aussi en vue de l'organisation des relations collectives. Il est révélateur qu'une convention collective ait été adoptée, en Chine, chez KFC, l'une des grandes entreprises de restauration rapide.
L'optimisme de Martin Hirsch pourrait se révéler fondé. Souhaitons-le, par conviction autant que par intérêt bien compris. Plus d'égalisation des conditions sociales, c'est plus d'équité pour tous, y compris dans les relations commerciales protégées de la concurrence déloyale et de la tentation des délocalisations.
(1) Voir son dernier livre, L'idée de justice, Flammarion et celui d'Alain Supiot, L'esprit de Philadelphie, Seuil.
(*) Professeur de droit public à Brest.
La pluie n'a pas épargné grand monde cet été, mais la rentrée ne s'annonce pas sous le même ciel pour tous. Pour certains, d'ailleurs, quatre mutins Bleus de la coupe du monde, c'est la rentrée en équipe de France qui s'est éloignée hier. À l'inverse des médaillés nageurs, qui, avant de crouler sous l'or des sponsors friands de mannequins, sont entrés dans le coeur des Français. Les voilà même érigés, par la grâce présidentielle, en modèles pour la jeunesse. À commencer par le Delon de la natation, Camille Lacourt, qui n'a pas caché pourtant que l'école et les professeurs l'avaient tellement bassiné qu'il avait préféré la piscine !
D'autres champions, heureusement plongent avec la même passion dans la piscine et les études. L'honneur de l'école est sauf. Va donc pour la rentrée qui, dans une moyenne de prix quasi stable, s'annonce toujours trop coûteuse pour les familles, même avec l'allocation. Entre les desiderata des enfants, la sélection d'articles dits Essentiels, dont plusieurs sont de mauvaise qualité, donc déconseillés, et les exigences de certains profs, on finit par oublier que l'école a été gratuite.
C'est une rentrée sécuritaire plus que scolaire qui se profile en fait, au vu du festival de propositions que nous offre un petit groupe de sarkozystes débridés. Mais au bout de quinze jours d'excès, l'heure semble venue du dégrisement, à en juger par les retropédalages ministériels d'hier. Il faut croire que ses vacances ont donné assez de recul au président pour prendre la mesure plus exacte de ces excès et voir que des clignotants s'allument même dans son camp.
Car sa stratégie de la tension, cette façon de créer des polémiques, de se donner des adversaires, de créer des boucs émissaires, ne sont pas sans risques pour le président lui-même. Les discours sécuritaires, face à la réalité, finissent par s'user, et par user, y compris ceux qui sont en charge de l'ordre, sans pour autant garantir la récolte électorale. Ils créent une tension dont la société n'a pas besoin, surtout en cette rentrée de tour de vis, de retraite et autres joyeusetés pour nos porte-feuilles.
En deux ans, la loi sur la représentativité a déjà bouleversé le paysage syndical
Deux après son adoption, la réforme de la représentativité continue de redessiner le paysage syndical français. La CFDT et la CGT bénéficient de cette redistribution des cartes, FO se maintient et la CFTC disparaît de nombreuses entreprises, tandis que, sur le terrain, des alliances électorales se forment au cas par cas.
Bataille de la représentativité, an II. La loi du 20 août 2008, qui asseoit la capacité des syndicats à négocier sur leur audience et fête demain son deuxième anniversaire, continue de profondément redessiner le paysage syndical au gré de la tenue des élections professionnelles dans les entreprises. Au niveau national, la nouvelle photo ne sera parfaitement claire qu'après agrégation des scrutins du cycle électoral en cours, en 2013 au mieux, et les résultats intermédiaires ne sont pas publiés, mais, en privé, l'administration du travail évoque déjà de grandes tendances « sans réelles surprises ».
La CFDT et la CGT, signataires avec le Medef et la CGPME de la « position commune » à l'origine de ce big bang syndical, « se renforcent » ainsi dans de nombreuses entreprises.
Vaste mercato
La première bénéficie notamment de l'afflux de troupes de la CFTC là où la centrale chrétienne est incapable d'atteindre la barre fatidique de 10 % des voix. Mais, localement, les deux premiers syndicats français payent eux aussi leur écot à la réforme. La CGT n'est plus représentative dans certaines Caisses d'Epargne ou chez Goodyear à Amiens, et elle se sait condamnée dans les filiales BTP de Bouygues. La CFDT, elle, risque de se faire sortir du jeu chez Airbus l'an prochain, et a dû se résoudre à une alliance contre nature avec les conducteurs autonomes de la FGAAC pour se sauver à la SNCF. Cela illustre l'un des autres effets marqués de la réforme : des alliances électorales se forment au cas par cas et sans grande cohérence, dans un vaste mouvement de mercato syndical. Dans la banque et les assurances, où le paysage syndical est très dilué, les tractations et les débauchages de troupes vont bon train. Et, partout où ils sont présents, à commencer par Air France, on s'arrache en outre les petits syndicats autonomes.
Autre tendance notée par l'exécutif : l'Unsa « continue sa progression », quitte à débaucher, y compris à la CGC, comme chez Thomson. Le bilan d'étape est « plus mitigé » pour FO, qui reste solide mais a perdu sa représentativité chez AXA et à la SNCF. La CGC souffre aussi parfois localement mais « demeure dans l'ensemble protégée » par sa représentativité catégorielle, qui lui permet de sauver son strapontin en atteignant 10 % dans le seul collège cadres. Dans ces conditions, la CFTC est « la principale victime » de la réforme. Une certaine panique y gagne les équipes de terrain, elle a subi de nombreux revers (BNP Paribas, AXA, des entités locales de la SNCF…) et elle est inquiétée dans ses implantations historiques dans la métallurgie (Eurocopter, Airbus), où le torchon brûle avec son partenaire traditionnel, la CGC.
Tentatives de rapprochement
Les grandes manoeuvres suivent aussi leur cours au niveau confédéral. Scellée par la réforme, l'entente cordiale CFDT-CGT s'est confirmée, permettant de tenir à bout de bras l'intersyndicale. Mais, derrière l'unité de façade affichée par les confédérations face à la crise et, dans une moindre mesure, sur les retraites (lire encadré), les relations ne cessent de se tendre entre partisans et opposants à la réforme. Dans un contexte de compétition exacerbée, FO, de plus en plus encline à se démarquer, et la CFTC, en quête de visibilité, durcissent beaucoup leurs discours.
Les tentatives de rapprochement se multiplient aussi dans un jeu mouvant aux résultats encore incertains. Après le gel de sa fusion avec l'Unsa, la CGC reste très divisée en interne mais la direction espère relancer le processus au plus vite. Elle a aussi approché la CFTC l'hiver dernier. Cette dernière, très probablement condamnée au niveau national si elle ne trouve pas de nouveaux alliés, s'est de son côté également rapprochée de FO. Mais, jusqu'ici, toutes ces discussions patinent, et rien de précis ne se dessine encore, signe que la bataille promet d'être encore longue.
DEREK PERROTTE
Après cent jours de gouvernement Cameron, il n'est plus permis de douter : la campagne des conservateurs autour de la « Big Society » était davantage qu'un habillage destiné à masquer un futur plan d'austérité. S'il met en place le programme annoncé ces dernières semaines, David Cameron n'aura rien moins que redéfini le rôle de l'Etat dans une société occidentale.
Qu'est-ce que la « Big Society » aux yeux du Premier ministre et des architectes de cette politique, notamment le ministre Oliver Letwin et Steve Hilton, directeur politique de David Cameron ? En gros, l'idée que l'Etat central remplit mal ses missions parce qu'il génère du gâchis et comprend mal les besoins des citoyens, et qu'il faut en contrepartie inciter ces citoyens à prendre en main leur destin. Cela veut dire moins de redistribution sociale, moins de régulation et plus d'associations, caritatives si besoin, pour aider ceux que l'Etat ne peut plus aider.
La violence des coupes dans les dépenses de l'Etat, annoncées le 22 juin et devant être détaillées le 20 octobre, n'est ainsi qu'un versant de l'audace du gouvernement Cameron. Une batterie de projets ont en effet été annoncés qui montrent que le gouvernement est également prêt à prendre des risques pour adapter la société britannique à une réduction du train de vie de l'Etat. Ainsi, le système national de santé (NHS) va-t-il être chamboulé. Les médecins généralistes vont en prendre le pouvoir au détriment de l'administration centrale. Par ailleurs, les parents d'élèves ou les professeurs mécontents de l'enseignement public seront encouragés et financés par l'Etat pour créer des écoles concurrentes. Le gouvernement veut encore que les responsables locaux de la police soient élus par leurs concitoyens au lieu de répondre à Whitehall. La Commission d'audit nationale des services publics locaux va être supprimée… Les exemples de réduction des pouvoirs de l'Etat central abondent. Paradoxalement, alors que la Grande-Bretagne veut s'émanciper en politique étrangère de sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis, elle s'en rapproche dans la philosophie politique, même si la santé va y rester gratuite pour tous. Comme l'administration de Barack Obama, celle de David Cameron s'intéresse aux entrepreneurs sociaux, qui, espère-t-il, se révéleront plus efficaces que l'Etat pour aider les citoyens en difficulté…
Il n'est pas évident que la société britannique, une des plus centralisées de l'Occident, accepte cette mutation. Les sondages montrent que le grand public soutient l'effort de retour à l'équilibre budgétaire du chancelier de l'Echiquier, George Osborne. Les syndicats, même s'ils se tiennent prêts pour plus tard au cas où, ne vont pas appeler à la grève cet automne, a promis un dirigeant de Unite, l'une des principales organisations. Cependant, le serrage de ceinture n'est pas encore entré dans le concret. Et, déjà, la société britannique s'inquiète de l'équité des coupes dans les services publics et dans les dépenses de prestations sociales. Plusieurs think-tanks de droite se sont sentis obligés d'attaquer récemment les conclusions de « The Spirit Level », un livre de Richard Wilkinson et Kate Pickett, qui voient dans les inégalités croissantes le fondement des maux de nos sociétés, travail qui avait suscité l'attention de David Cameron avant les élections. Un facteur important sera la marge de manoeuvre laissée à Iain Duncan Smith, le ministre des Affaires sociales. Ancien leader conservateur, celui-ci n'a plus qu'une ambition : réformer le système de prestations sociales pour favoriser le retour au travail des chômeurs ou des titulaires de pension d'invalidité, qui n'y ont aujourd'hui pas d'intérêt financier. Mais, pour pouvoir assurer à ceux qui rejoignent le monde du travail qu'on ne leur retirera que progressivement leurs allocations, le ministre a besoin d'un budget que le Trésor semble réticent à lui donner. Autre facteur d'incertitude : le soutien des libéraux démocrates aux conservateurs qui dominent la coalition au pouvoir. Beaucoup de leurs supporters estiment qu'ils ne servent que de feuille de vigne pour masquer une politique très à droite.
Cela dit, si David Cameron réussit à contourner ces obstacles, il aura préparé l'administration de son pays, avancent ses supporters, au nouvel ordre économique mondial, lequel signale clairement aux Etats riches qu'ils ne peuvent plus se permettre le train de vie des Trente Glorieuses. « David Cameron est le seul chef d'Etat occidental qui a compris que la crise économique avait avancé de dix à quinze ans les ajustements inéluctables pour nos sociétés », expliquait récemment un économiste influent.
Le numéro un mondial de l'industrie minière, BHP Billiton, veut racheter le leader planétaire des engrais, Potash, pour près de 40 milliards de dollars. Le grand laboratoire pharmaceutique français Sanofi-Aventis veut acquérir le numéro trois mondial des biotechnologies, l'américain Genzyme. Un autre français, l'énergéticien GDF Suez, veut fusionner avec son collègue britannique International Power. D'autres opérations de rapprochement entre grandes entreprises sont dans les tuyaux.
Ce n'est évidemment pas le signe d'une frénésie de fusions et d'acquisitions après le calme plat des années 2008-2009. La folie du « M&A » se produit toujours en haut du cycle conjoncturel, quand les projets les plus fous paraissent raisonnables, quand AOL rachetait Time Warner pour près de 200 milliards de dollars. Les deux derniers pics ont d'ailleurs été atteints en 2000 et 2007. Les opérations annoncées ces dernières semaines constituent au contraire le signe d'un redémarrage des affaires après un recul de l'activité économique. Apparu la dernière fois en 2003-2004, il est cette fois-ci ténu, tant les incertitudes pèsent encore sur la reprise. Mais il indique une vraie tendance. Plutôt qu'une vague de fusions, il faudrait parler de fusions nouvelle vague, car trois lignes de force se dégagent, parfois loin des années 2000.
D'abord, la logique est surtout industrielle. La voltige financière passe au second plan. Les fonds de « private equity », qui rentabilisaient leurs acquisitions en empruntant massivement, ont d'ailleurs pratiquement disparu du jeu.
Ensuite, le but n'est plus de devenir plus grand mais plus large. Il n'est plus tant question d'accroître sa part de marché que de diversifier les clients, les marchés, les technologies et les risques, tout en exploitant son savoir-faire. Sanofi entend bien rester dans les médicaments mais il cherche de nouvelles niches. GDF Suez est toujours un électricien mais il vise de nouveaux pays. BHP demeure le roi des mines, mais il veut avoir pour clients non seulement l'industrie mais aussi l'agriculture, activité d'avenir s'il en est.
Enfin, la priorité absolue est la conquête des pays émergents, là où devrait se faire la croissance des prochaines décennies. C'est un changement majeur après deux décennies où les groupes occidentaux ont fait leurs courses entre eux. C'est aussi un formidable défi pour les grandes entreprises françaises - un défi qu'elles ont les moyens de relever, pour autant qu'on leur laisse les mains libres.
Jean-Marc Vittori
Estrosi veut du "made in France"
Christian Estrosi veut valoriser un "patriotisme industriel français". Mardi, sur RMC, le ministre de l'Industrie a annoncé la création d'un Observatoire du produit en France et évoqué une loi pour "renforcer la protection" des sous-traitants français.
Après la sécurité, Christian Estrosi s'est exprimé mardi sur son pré carré gouvernemental: l'Industrie. Le ministre a annoncé, sur RMC, la création d'un Observatoire du produit en France, opérationnel à partir du 1er septembre, afin de "vérifier la quantité de composants français dans les produits" manufacturés et assemblés sur le territoire national. Va-t-il déchoir de sa nationalité un radio-réveil ou un stylo-bille pas assez "made in France"? Le ministre s'est refusé d'évoquer de possibles sanctions, mais a expliqué sa démarche par les "mauvais comportements", en ces temps de reprise économique, de plusieurs grands groupes français.
L'objectif du gouvernement est la relance des sous-traitants de certains secteurs – l'automobile, l'aéronautique, les biotechnologies, le textile sont cités en exemples –, particulièrement affectés par la crise. Il faut "nous assurer que, dans ce qui est assemblé en France, il y a un pourcentage de composants (...) qui viennent en grande majorité des sous-traitants français", a déclaré Christian Estrosi sur les ondes. "C'est comme cela que nous soutiendrons le patriotisme industriel français, la propriété intellectuelle française et le savoir-faire des ouvriers français", a-t-il insisté.
Risque de protectionnisme
Au-delà de ce discours engagé, le ministre de l'Industrie a annoncé une future loi, rédigée par ses services, pour "renforcer la protection des sous-traitants". Il faut organiser "une nouvelle relation entre grands groupes et sous-traitants de sorte que nous fassions plus travailler les Petites et moyennes entreprises (PME) françaises plutôt que de faire appel à des sous-traitants étrangers qui apportent un maximum de composants dans ce qui est des marques françaises", a-t-il fait valoir.
Reste qu'une telle politique peut se heurter aux réglementations de l'Union européenne et de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui pourraient accuser Paris de protectionnisme, alors que la balance commerciale française est déficitaire. Mais pour Christian Estrosi, l'heure n'est plus aux bons sentiments: la Chine, qui ne cesse d'inonder le marché français de ses composants, est désormais 2e puissance mondiale.
L'année universitaire allongée à 10 mois
Valérie Pécresse a annoncé mercredi que toutes les universités ont voté le principe d'une année organisée de septembre jusqu'à juin. Un préalable à la mise en place du dixième mois de bourse.
Les universités vont avoir une année organisée sur dix mois, après un vote en ce sens de leurs conseils d'administration en juillet, a assuré mercredi sur RTL la ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse. « Les universités ont fait voter en juillet par leur conseil d'administration le principe de l'allongement de la durée de l'année universitaire sur dix mois (contre neuf, parfois, auparavant), de septembre jusqu'à juin », a-t-elle dit.
Il s'agit de « mieux accompagner les étudiants », « préparer la rentrée », « faire des groupes de niveau », « avoir du tutorat personnalisé », mais aussi de « se caler sur les rentrées universitaires des autres pays », a expliqué Valérie Pécresse. « Toutes les universités » ont voté ce principe, « je vérifierai qu'elles le mettent bien en oeuvre », a-t-elle ajouté.
Une promesse de Nicolas Sarkozy
En mai dernier, interrogée sur le versement d'un dixième mois de bourse aux élèves boursiers, promesse du président de la République en septembre 2009, la ministre avait affirmé que la mise en place de cette mesure dépendrait de l'engagement, ou non, des universités à mettre en place des cursus de dix mois. Elle avait alors mis au point avec la Conférence des présidents d'universités (CPU) un « cahier des charges » comprenant cet engagement.