Le théâtre de Saint-Quentin (Yvelines), qui compte 600 places, était bien rempli lorsque Henri Guaino y a fait son entrée vendredi 18 novembre au soir avec une bonne heure de retard. Le conseiller spécial du président de la République a un problème d'horloge.
Depuis qu'il s'est mis en tête de sillonner la France parce que, dit-il, "je n'entend pas ce que j'ai envie d'entendre dans cette campagne", c'est chaque fois le même scénario : une à deux heures de retard liées à cette angoisse du discours qu'il veut écrire et réécrire sur le modèle qu'affectionnait feu son mentor Philippe Séguin : des mots ciselés dans des phrasés longs. Parce que la politique, pour les séguinistes, c'est d'abord cela : du verbe, un ton, une dramaturgie , des retours historiques et de grands mots, comme "l'Etat, la Nation la République", qui au bout du compte fondent l'"exception française". Henri Guaino se fait fort de les défendre et de la défendre , dusse-t- il être le dernier des Mohicans.Vendredi soir, c'était donc soirée nostalgie à Saint-Quentin, où le maire Xavier Bertrand l'avait prié de s'exprimer. Quarante minutes d'éloge républicain, ponctuées de mises en garde : la démocratie court un grand danger à considérer la crise de la dette par le petit bout de la lorgnette alors que c'est tout "une politique de civilisation" qu'il faut conduire. Le concept, lancé par le même Guaino en janvier 2008 pour tenter de donner du sens au début de quinquennat très "bling-bling" de Nicolas Sarkozy, avait fait long feu, faute de contenu. Mais, soutient- il aujourd'hui, la crise change tout : "Il faut choisir son camp, choisir contre quoi et pour quoi nous nous battons."
Henri Guaino a choisi : il est pour libérer le travail et taxer le capital, contre repousser à 67 ans l'âge de la retraite ("ce n'est pas l'urgence"), récuse toute coupe dans les dépenses sociales et se refuse à faire du chômeur le bouc émissaire de la crise. Le discours, décliné d'un ton monocorde, n'a cependant pas la puissance de feu de celui d'un Séguin qui naguère avait trouvé en Edouard Balladur son meilleur ennemi.
Henri Guaino est conseiller spécial de l'Elysée. Donc sous contrainte. Il se doit d'éviter de décocher des flèches à droite et vante sans réserve le bilan de Nicolas Sarkozy. Du coup c'est François Hollande qui prend plein pot. Henri Guaino fustige, comme Xavier Bertrand, l'accord conclu avec les Verts sur le nucléaire et compare le candidat socialiste à Guy Mollet, "cet honnête homme qui eut le malheur de se trouver confronté à des événements qui le dépassaient".
CRAINTE DE VOIR LA CAMPAGNE DÉRIVER
En public, Henri Guaino en reste là. Il épargne son camp, tait sa crainte de voir la campagne dériver, comme au moment du discours de Grenoble par excès de zèle de Patrick Buisson, l'un des conseillers écoutés de Nicolas Sarkozy, qui vient des rangs de l'extrême droite. Il ne dit rien des frissons que lui inspire la rigueur vantée par François Fillon, autre séguiniste notoire ("Comme si le peuple était coupable ! Comme si cela ne faisait pas trente ans qu'il souffre !"), mais tout cela évidemment pèse dans sa démarche .
Les militants et sympathisants UMP de Saint-Quentin qui, à vue de nez, comptent beaucoup de retraités et peu de jeunes, l'ont écouté dans un silence total puis l'ont applaudi juste ce qu'il faut avant de demander le texte écrit. Xavier Bertrand, qui connaît bien la pudeur de sa ville, jure que les spectateurs étaient satisfaits et rappelle cette anecdote. "Quand Louis Jouvet commençait une pièce, il la jouait toujours à Saint-Quentin, parce qu'il savait que si ça plaisait là, ça plairait partout."
Françoise Fressoz