On avait cru les religions définitivement reléguées dans les oubliettes de l’histoire républicaine, avec la loi de séparation des Églises et de l’État. Depuis 1905, elles se sont maintenues avec discrétion dans l’espace public, parfois sous les traits de la culture, pour ne pas provoquer les défenseurs d’une laïcité pure et dure. Or voici que le religieux revient progressivement au grand jour. Et si l’islam cristallise certainement le plus d’attention, chrétiens et juifs ne sont pas en reste pour sortir de leurs lieux de culte et investir la rue, pour afficher leur appartenance par des signes et des comportements visibles.
Devant cette nouvelle donne, on a vu au cours des dernières semaines surgir une génération spontanée de défenseurs d’une absolue neutralité de l’espace public. Mais ces nouveaux croisés se trompent de combat à se situer d’abord sur le plan religieux. Car la problématique de fond est avant tout sociale. L’affichage identitaire et la montée des exigences communautaires vont en effet de pair avec la crise du modèle d’intégration. Dans un pays davantage marqué par le pluralisme des origines, les institutions républicaines ont du mal à forger l’unité de la communauté nationale, unité sans cesse à renégocier en démocratie. Dans un tel contexte, les références religieuses comblent un manque.
Plus encore, la quête identitaire à travers le religieux exprime peut-être la difficulté, voire l’incapacité à vivre sereinement la remise en cause permanente des termes du vivre-ensemble dans un monde qui n’offre plus guère de points de repères. En fin de compte, les traditions religieuses dynamiques représentent des ressources précieuses sur lesquelles les pouvoirs publics peuvent compter pour construire la vie en commun. À condition bien sûr qu’elles ne cherchent pas à échapper aux règles du droit commun ou à imposer des manières particulières de vivre. C’est même faire vivre l’esprit du principe de laïcité tel qu’il fonctionne dans la loi de 1905 que de reconnaître la place du religieux dans la construction du vivre-ensemble. La loi n’est pas hostile aux religions. Au contraire, elle reconnaît implicitement une entière liberté à tous les cultes, au nom même d’un principe qui fonde le contrat social en démocratie : la liberté de conscience . Tout défenseur de la laïcité doit s’en souvenir.