L’ancien ministre de Jospin, très contesté par les scientifiques pour ses positions sur le réchauffement climatique, n’est pas tendre avec ses anciens camarades socialistes. « Le PS est un panier de crabes », dénonce-t-il tout haut en saluant la combativité de Ségolène Royal, qu’il critiquait violemment en 2007.
Le sommet de Cancún (Mexique) qui se tient actuellement sur le climat semble voué à l’échec. N’y a-t-il plus d’urgence à baisser les émissions de gaz à effet de serre ?
Claude Allègre. Bien sûr que si, même si je ne pense pas que cela soit une urgence climatique.
D’abord il faut limiter le dégagement de CO2 pour lutter contre l’acidification des océans. Les océans étant en train de s’acidifier, cela signifie que toute vie liée aux squelettes calcaires, aux coquilles ou aux coraux va être en difficulté. Ensuite, nous avons intérêt à épargner les combustibles fossiles, comme le pétrole, pour les générations futures. Voilà pourquoi il est important de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Avec l’hiver que nous vivons, après celui de l’an passé, il sera difficile de convaincre les gens que le danger c’est le réchauffement.
Pourquoi les Etats n’arrivent-ils pas à s’accorder ?
Parce qu’on prend le modèle par le mauvais bout. On explique que le capitalisme pollue la planète et qu’il faut des sanctions économiques. Ce n’est pas comme ça qu’il faut se saisir du problème. Pour limiter les émissions de CO2 , il faut proposer des technologies alternatives. Depuis longtemps, je milite pour la
voiture électrique. Il faut proposer des solutions et non pas des sanctions. La stratégie actuelle est vouée à l’échec dès le départ. Dire aux Chinois :
Ne vous développez pas, abandonnez le charbon, c’est nul. Personne n’acceptera de stopper le développement économique. En revanche, si on leur dit :
Voilà une technologie qui permet de piéger le CO2, ils vont l’acheter et même la créer.
L’attitude du gouvernement sur l’écologie vous convient ?
Oui, j’ai été content de constater que, dans son discours à l’Assemblée, François Fillon a dit que l’écologie punitive, c’était fini. Il y a là un tournant par rapport aux risettes faites aux Verts.
Vous avez récemment publié une tribune de soutien au bilan de Nicolas Sarkozy…
J’ai plutôt parlé d’ombre et de lumière. J’ai pris position violemment contre la politique à l’égard des Roms mais j’ai approuvé la réforme de la Constitution ou l’action face à la crise. Je suis irrité par l’attitude qui consiste à tout rejeter. Il faut que les Français se rendent compte à quel point la situation est gravissime et que, sur certains sujets, il faut qu’il y ait un accord entre droite et gauche, comme savent le faire les Allemands.
Approuvez-vous la réforme des retraites ?
C’était inévitable. Lionel Jospin avait d’ailleurs préparé à l’époque une réforme qui aurait sans doute provoqué les mêmes réactions. Quand vous allez vivre jusqu’à 100 ans, vous n’allez pas vous arrêter de travailler à 60 ans. Personne ne reviendra dessus. Pas plus le PS que d’autres.
Où en sont vos relations avec Nicolas Sarkozy ?
Je le vois de temps à autre. Il m’a proposé deux fois d’être ministre, j’ai dit non. Le temps est passé. J’ai 73 ans, je ne vais pas m’embêter à aller dans un ministère. Ma passion ce n’est pas la politique, c’est la science et l’écriture.
Comment voyez-vous la situation de l’Europe ?
Je crains la gangrène. Que les situations grecque, irlandaise se propagent… Il faut totalement changer l’Europe et revoir la zone euro. Il faut dire aux pays en faillite qu’on les aide, mais qu’ils doivent sortir de la zone euro. Leur dire :
Utilisez votre monnaie,
dévaluez. Sinon, si ça continue, c’est l’Allemagne qui sortira de l’Europe et reprendra le mark.
Craignez-vous une montée des populismes en Europe ?
Bien sûr. Et, en France, Marine Le Pen va faire un très bon score, elle est une meilleure candidate que son père. En politique, les deux personnalités qui ont émergé depuis deux ans, c’est elle et Jean-Luc Mélenchon.
Que pensez-vous de Jean-Luc Mélenchon ?
Beaucoup de bien sûr le plan personnel même si je ne partage pas ses idées. Mais il a beaucoup de talent, il est cultivé. C’est le nouveau Georges Marchais. Il défend ses idées. Il a vu qu’elles ne pénétraient pas dans le PS, là il tente une OPA sur le PC.
Que vous inspire l’agitation sur les primaires chez vos anciens camarades du PS ?
Je ne suis pas étonné. Il y a pourtant un bon candidat, c’est Dominique Strauss-Kahn. Lui faire le procès de ne pas être de gauche, c’est n’importe quoi. Certes, il n’est pas sur les positions de Jean-Luc Mélenchon… mais c’est lui qui a inventé le RMI que Michel Rocard a ensuite mis en musique. Dominique est un pragmatique, il voit bien dans quel monde on vit. Il ferait un très bon candidat, mais je ne suis pas sûr qu’il en ait envie. Il a une position formidable en ce moment, plus importante que celle d’un chef d’Etat. S’il était réclamé comme l’a été Jacques Delors en 1995, peut-être se laisserait-il tenter. Mais j’ai plutôt l’impression qu’il veut finir sa mission au FMI.
Et les autres prétendants ?
J’ai toujours pensé que le PS aurait à compter avec Ségolène Royal. Elle a de l’abattage, des partisans, un style. Martine Aubry est travailleuse, elle essaie de faire travailler le PS, ce qui n’est pas une petite affaire. Mais je ne sais pas ce qu’elle veut faire.
Martine Aubry a-t-elle envie d’être candidate ?
Ce problème de l’envie, c’est très difficile à jauger. Par exemple, je pense que Lionel Jospin n’a jamais eu l’obsession d’être président contrairement à des gens comme Laurent Fabius ou Michel Rocard. Au fond de lui, il n’était pas prêt à sacrifier toute sa vie. Nicolas Sarkozy, lui, a toujours vécu pour ça. Ségolène Royal aussi, et je pense qu’elle ne va pas être loin du poteau. Il ne faut pas la sous-estimer. Elle a bien progressé. Elle est plus réfléchie, Ségolène a la niaque.
Et François Hollande ?
Il joue du violon à contretemps. S’il avait décidé d’être candidat en 2007, il aurait pu, il était premier secrétaire, personne ne s’y serait opposé. Maintenant, tout seul dans son coin en Corrèze, il se met à jouer du biniou. Il est très intelligent, il est très bon orateur mais il manque d’intuition. Ségolène Royal en a.
Les primaires sont une bonne chose pour le PS ?
C’est une bêtise. Le PS est un panier de crabes. Il n’y a pas d’esprit d’équipe. Ce sont des individualités qui jouent chacune leur partition. Ils n’ont pas de programme.
Il y a quand même des propositions…
Je ne les ai pas encore vues. Peut-être sont-elles cachées afin de nous surprendre ?