1 - Respectons les différences
Ne confondez pas. Quand
Manuel Valls reconduit des clandestins à la frontière, il ne fait pas
de politique du chiffre. Quand il promet de nettoyer les banlieues, ce
n’est pas au Kärcher. On mesure toute la différence entre la droite et la gauche.
2 - François Hollande : le président méfiant d’une France défiante
On n’est jamais suffisamment vigilant face aux enfumages de la société de communication. Certains
lecteurs m’ont gentiment fait remarquer que j’avais été naïf de croire
que la présence de François Hollande dans le top 50 des Français les
plus populaires signifiait un quelconque succès, même temporaire, de sa
stratégie de dissimulation, d’esquive des difficultés et de lancer de
bisous.
En réalité, il faisait partie d’une
« short list » proposée par le JDD et il n’y avait donc rien de très
étonnant à ce qu’il soit ainsi distingué. Voilà qui explique le faible
niveau de satisfaction face à son action révélé par un autre sondage :
déjà plus de mécontents que de satisfaits. Dont acte.
Puisqu’au
terme d’une période de 100 jours il est d’usage médiatique de dresser
les premiers bilans – ce qui est évidemment un peu absurde – nous nous
risquerons simplement à une brève synthèse.
Par sa personnalité comme par sa culture politique, François
Hollande est d’évidence un homme méfiant. Il s’abrite derrière un
programme électoral ambigu et lacunaire pour n’entreprendre que très peu
de réformes et ne s’en prendre qu’à quelques cibles commodes :
les « très riches », les dirigeants d’entreprises publiques, les
propriétaires fonciers, les banques, les compagnies pétrolières. Encore
ne vise-t-il ces deux derniers groupes que de manière incantatoire. Il
faut désormais ajouter à sa liste - quelle surprise - les Roms, bientôt
suivis par les jeunes de tous les quartiers « Nord » de France et de
Navarre, suivez mon regard. Le seul risque politique réel qu’il ait pris
en 100 jours est la re-fiscalisation des heures supplémentaires et
cette mesure lui coûte déjà politiquement. De quoi le rendre plus timoré
encore …
Cette extrême prudence pose un vrai
problème quand on la met en perspective avec la « société de défiance »
qui caractérise la France et a été finement analysée par Pierre Cahuc et
Yann Algan dans
un livre paru il y a cinq ans.
Les Français se méfient les uns des autres, s’en remettent à l’Etat
pour gérer les intérêts corporatistes et en viennent rapidement à se
défier du gouvernement lui-même qui ne saurait être neutre.
Dans
cette situation, un président devrait chercher à dénouer par son allant
les crispations sociales et économiques, à montrer avec rapidité qu’il y
a des gains à bousculer les conservatismes. Or, que voit-on
depuis plus de trois mois ? On cadenasse, on contraint, on limite, on
réduit, on verrouille. Le président méfiant n’est certes pas la solution
pour une France de la défiance.
3 - Europe : le conseil constitutionnel invente la règle de plaqué-or
La
légitimité du Conseil constitutionnel n’étant plus contestée par
personne, il est temps pour ce glorieux aréopage d’en profiter pour
rendre des décisions déterminées par ses préférences politiques.
Soucieux
d’éviter au « traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire » l’épreuve
cruelle d’un vote du Congrès à la majorité des trois-cinquièmes ou,
quelle horreur, la confrontation avec le suffrage universel sous forme
de referendum, il a jugé, à la satisfaction au moins apparente de notre
modeste président, qu’une loi organique suffisait. En matière de droit
constitutionnel, il est d’usage médiatique de dire que la question est
technique et complexe pour s’épargner l’analyse. En réalité, les choses
ne sont pas si difficiles à comprendre et nos lecteurs nous pardonneront
l’épreuve estivale à laquelle nous les convions pour dissiper l’écran
de fumée qui sera répandu sur la vie politique française dans les
semaines qui viennent.
Le traité en question prévoit deux méthodes alternatives pour incorporer ses stipulations dans le droit français :
1 - soit « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles »
2
- soit au moyen de dispositions « dont le plein respect et la stricte
observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont
garantis de quelque autre façon. ».
Pourquoi
ces deux possibilités ? D’abord parce que certains pays n’ont pas de
constitution, comme la Grande-Bretagne, qui n’a pas signé le traité mais
pourrait un jour revoir sa position, sait on jamais. Surtout, parce que
la situation politique d’autres Etats leur interdit d’envisager une
révision constitutionnelle quelconque, comme en Belgique par exemple.
Mais, après tout, si d’autres méthodes existent, comme confier le
contrôle du budget à un organisme juridictionnel indépendant capable de
décider de coupes dans les dépenses en cas de déficit excessif, pourquoi
s’en priver ?
Cette seconde méthode vaut donc bien une proclamation constitutionnelle. En réalité, dans le traité en question, peu importe le flacon, pourvu qu’il y ait la rigueur.
Les expressions « dispositions contraignantes et permanentes » et
« strict observance tout au long des processus budgétaires » sont
conçues pour avoir des portées et des effets équivalents. L’important
est que la discipline soit « garantie ».
Pourtant,
qu’écrit notre Conseil constitutionnel ? « Dans la seconde branche de
l'alternative … le respect des règles … n'est pas garanti par des
dispositions « contraignantes » … d'une part, il revient aux
États de déterminer, aux fins de respecter leur engagement, les
dispositions ayant l'effet imposé par le paragraphe 2 … d'autre part, le
traité prévoit que le respect des règles … n'est alors pas garanti dans
le droit national au moyen d'une norme d'une autorité supérieure à
celle des lois. »
Ainsi, pour le Conseil
constitutionnel, peu effrayé par les tautologies, dès lors que la France
n’a pas choisi la règle de vraie contrainte, elle n’a pas à modifier sa
constitution. Là où le traité laissait le choix des moyens,
pourvu que la fin soit garantie, la juridiction française considère que
ce choix modifie la fin.
Là où le
sophisme prend son envol, c’est quand il s’agit d’interpréter l’article 8
de ce fameux traité, qui prévoit qu’en cas de déficit excessif, à la
suite d'un rapport de la Commission européenne, la Cour de justice de
l'Union européenne peut être saisie par une ou plusieurs parties au
traité et qu’elle prend alors un arrêt « contraignant à l'égard des
parties à la procédure … ; en cas de méconnaissance des prescriptions de
la Cour, celle-ci peut encore être saisie par une partie au traité afin
de prononcer des sanctions financières contre cet État ».
Bref,
une instance où la France n’a pas de droit de veto peut imposer à notre
pays des coupes budgétaires claires sous peine de sanctions
financières.
Qu’en dit le Conseil constitutionnel ? Il s’appuie sur sa précédente pirouette pour se lancer dans un double salto.
« Le paragraphe 2 de l'article 3 n'imposant pas qu'il soit procédé à
une révision de la Constitution, les stipulations de l'article 8 n'ont
pas pour effet d'habiliter la Cour de justice de l'Union européenne à
apprécier, dans ce cadre, la conformité de dispositions de la
Constitution aux stipulations du présent traité ; par suite, si
la France décide de faire prendre effet aux règles énoncées au
paragraphe 1 de l'article 3 du traité selon les modalités fixées à la
seconde branche de l'alternative de la première phrase du paragraphe 2
de l'article 3, l'article 8 ne porte pas atteinte aux conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. »
Étrange
formule qui permettra le cas échéant à la loi et aux autorités
françaises, dès lors que le traité n’aura pas valeur constitutionnelle,
de s’abriter derrière cette absence pour plaider que ses obligations ne
peuvent s’imposer au législateur national. Celui-ci ne sera en effet
confronté qu’à la seconde branche de l’alternative, celle qui n’est pas
contraignante.
Quelle conclusion en
tirer ? Que la bataille politique qui s’annonce autour de la règle d’or
sera une opérette puisqu’il s’agit de plaqué or. La France continuera à
faire des moulinets dans l’air en proclamant ses fortes intentions. Mais
la récession en cours rendra impossible le respect des règles que l’on
fait semblant de s’imposer.
A contrario,
tous ceux qui s’inquiètent de la réalité de l’adhésion française à la
discipline européenne, qui pourtant justifierait que la Banque centrale
européenne rachète des obligations d’Etat, vont pouvoir continuer à se
poser des questions. Le Tribunal constitutionnel allemand, s’il
examine la décision de son homologue français pour juger de la rigueur
de l’engagement de ses partenaires, aura de quoi tousser.
On
est ici au cœur du problème européen. Depuis 1957 et jusqu’à l’an
dernier, ce projet politique n’a jamais été légitimé par de vrais
sacrifices d’un quelconque pays membre. La participation à l’Europe se
faisait toujours sous contreparties sonnantes et trébuchantes et contre
des avantages : des montagnes d’aide, des taux d’intérêt plus bas, des
soutiens politiques. On était dans la recherche permanente de bénéfices
individuels et, pour certains pays, notamment ceux du Sud de l’Europe,
ces récompenses étaient nombreuses.
L’ambiguïté
régnait : les contraintes acceptées en échange de ces prodigalités
étaient toujours assouplies puis contournées. Pas un des pays européens
concernés n’a vraiment respecté les fameux critères du précédent « Pacte
européen de croissance et de stabilité » issu des traités de Maastricht
et Amsterdam. L’Union européenne était comme un mariage de conte de
fées : rien que le meilleur, jamais le pire.
Aujourd’hui, on entre dans le « dur ». Du fait des
résistances allemandes, l’aide est conditionnée à des efforts et des
sacrifices réels. Certains pays en acceptent les prémices, avec beaucoup
de réticences toutefois, comme la Grèce ou l’Espagne où les vraies
coupes dans les budgets publics ne font que commencer. En France, et la
décision du Conseil constitutionnel s’inscrit dans cette tradition, on
est encore à jouer sur les mots et accepter une règle pourvu qu’on
puisse s’en dispenser.
François Hollande peut-ils être satisfait de cette échappatoire ? Elle
lui épargne la désagréable et immédiate nécessité de s’appuyer sur la
droite pour faire réviser la constitution. Et elle renvoie à plus tard
l’heure de vérité sur les efforts nécessaires pour faire vivre l’Union
européenne dans la durée. Bref, le président de l’ambiguïté a trouvé au
Palais-Royal plus ambigu que lui. Le problème est qu’il lui
appartiendra, quand les déficits se creuseront du fait de la situation
économique, de sortir de ladite ambiguïté, chose qu’on ne fait qu’à son
détriment, comme le lui ont enseigné des maîtres en la matière, du
cardinal de Retz à François Mitterrand. Mais, bah, il a gagné du temps
et pour lui c’est l’essentiel.
4 - France, capitale Vichy
Au
lendemain du discours de Grenoble, réaction sarkozienne un brin
démagogique il est vrai à une sombre histoire d’attaque par des Gitans
d’une gendarmerie et au saccage de commerces à Saint-Aignan, après qu’un
des leurs ait été tué par un Pandore, ce fut un concert
d’admonestations à gauche. C’était le retour de la France de Vichy, la
fin des libertés publiques, tous les étrangers et les droits de l’homme
étaient menacés. Le charter vers la Roumanie avec 300 euros en poche était ni plus ni moins assimilé à un train vers Auschwitz. Par extension, toute expulsion devenait suspecte.
Un
des aspects les plus déplaisants de cette rhétorique est la confusion
entre la mise en œuvre d’une politique de renvoi d’étrangers en
situation irrégulière vers leur pays d’origine et la déportation et la
mise à mort de communautés racialement définies.
On
ne peut s’empêcher de penser que ceux qui usent et abusent de cette
assimilation et se donnent à bon compte des frissons rétrospectifs de
résistance à un pouvoir oppresseur ne seraient pas les premiers à
s’opposer à une véritable dictature. Leur mauvaise conscience
collaborationniste, qui parfois joue à saute-mouton d’une génération à
la troisième, a trouvé un exutoire commode.
En
tout cas, voilà désormais Manuel Valls menacé des mêmes anathèmes. Il
va pourtant falloir que ces esprits généreux se fassent une raison : plus
le gouvernement socialiste rencontrera de difficultés économiques, plus
il cherchera à flatter les sentiments majoritaires en France sur les
sujets de société et moins il sera enclin à l’indulgence vis-à-vis des
sans-papiers. Qu’ils réclament donc immédiatement le transfert
de notre capitale à Vichy : dans leur monde de fantasmes, elle s’y
trouve déjà.