PORTRAIT Pour grimper, l'ex-Premier ministre de Sarkozy n’a pas hésité à changer d’alliés, au risque de sembler sans convictions. Aujourd’hui, il doit convaincre les militants de l’UMP qu’il a bien l’étoffe d’un chef. Avant le 18 novembre.
Enfin, la possibilité de devenir premier de cordée, lui qui a
toujours été numéro deux sous la coupe de fortes personnalités, de
Philippe Séguin à Nicolas Sarkozy en passant par Edouard Balladur ou Jacques Chirac.
Parfois humilié, abaissé. Le voilà champion de la droite. Et même
l’homme politique le plus populaire de France, selon le dernier
baromètre Ipsos ! L’Elysée n’est plus un mirage. La voie est libre.
Il n’en fut pas toujours ainsi. Une telle -ambition était réservée
aux poids lourds de son camp, aux énarques appartenant aux grands corps.
Philippe Séguin, Alain Juppé, Dominique de Villepin… François Fillon, qui a débuté comme simple assistant parlementaire, un diplôme de droit en poche ? On le regardait de haut.
Un grand orgueilleux
Désormais, il ne cache plus son appétit. Ses proches sont persuadés
qu’il y pense depuis toujours. Parce qu’il a un immense orgueil. Parce
que ce serait l’aboutissement d’un
cursus honorum des plus
classiques et des plus complets : conseiller municipal, député,
président de conseil général, de conseil régional, ministre, Premier
ministre… "Oui, comme tout le monde, j’ai envie de gravir les marches",
avouait-il en 2003, du temps où il s’aguerrissait au ministère des
Affaires sociales. "En cas de victoire, je sais exactement ce qu’il
faudrait faire, confiait-il, à quelques semaines de la présidentielle de
2012. Au lendemain de l’élection, il faudrait un énorme tour de vis.
Cela crierait pendant quelques semaines et après, plus rien."
Commander, il y pense depuis longtemps. Il s’en sent l’étoffe.
Retraites, universités, recherche, technologies, flexibilité, 35 heures,
dialogue social… Tous les fondamentaux de son programme pour la
présidence de l’
UMP
étaient déjà dans son livre La France peut supporter la vérité, publié
en 2006. "Ce qui a changé chez François Fillon, c’est le sentiment
d’urgence, explique son fidèle collaborateur et ami Igor Mitrofanoff. Et
la dimension européenne, devenue centrale." Un ancien conseiller, haut
fonctionnaire, témoigne : "Il est habité par la conviction qu’il faut
réformer, que la France est au bord du décrochage."
"Le charisme d'une huître"
Adversaires, concurrents, ténors passés de mode s’esclaffent.
"Fillon ? Ce n’est pas un dominant !". "Il a le charisme d’une huître."
"C’est la perfidie incarnée. Il est sournois." Nombre de ses petits
camarades de l’UMP ont la dent dure. Ils le décrivent fermé,
opportuniste. Il est vrai que sa carrière démontre une indéniable
habileté. Et pas mal d’élasticité intellectuelle. Quand il entre en
politique auprès de Joël Le Theule au début des années 1980, François
Fillon est barriste et soutient VGE en raison de l’inimitié que voue son
mentor à Jacques Chirac. En 1986, à la recherche d’une autre option que
Chirac, il s’allie, aux côtés de Philippe Séguin, aux jeunes
rénovateurs de la droite Michel Noir, Michel Barnier, François Bayrou…
Aventure sans lendemain.
Dans les années 1990, il rejoint le duo Séguin-Pasqua qui tente de
ravir le leadership de Jacques Chirac. En vain. En 1992, alors que le
chef du RPR fait campagne pour le oui à Maastricht, François Fillon
milite pour le non au côté de Philippe Séguin. En dépit de cet
engagement, l’année suivante, il entre au gouvernement d’Edouard
Balladur, libéral et européen ! Et il tombe sous le charme.
Cette politesse exquise, cette façon de se maîtriser ! Quand il
accédera à son tour à Matignon, l’élu de Sablé adoptera son style,
allant même jusqu’à arborer les mêmes chaussettes rouges de cardinal. De
cette époque date sa conversion au libéralisme, à la rigueur
budgétaire.
Un manœuvrier aguerri
En 1995, nouvelle chicane qu’en excellent pilote, il va négocier avec
doigté. Alors que Philippe Séguin soutient Jacques Chirac, lui fait
campagne pour son nouveau mentor, Edouard Balladur. Mauvaise pioche !
C’est Chirac, l’homme qu’il a toujours combattu, qui l’emporte. Fillon
réussit encore à se tirer de ce mauvais pas. Et entre dans le
gouvernement Juppé. Hier, il était la caution souverainiste, cette fois,
il sera l’adjuvant balladurien.
En 2000, il poursuit sa mue et entame un rapprochement avec Jacques
Chirac par l’intermédiaire de Jérôme Monod. Il participe à la rédaction
du programme de 2002, et fait figure de premier ministrable. Jusqu’au
jour où Jacques Chirac le vire du gouvernement sans ménagement. Et sans
motif. Cette fois, Fillon se révolte, critique ouvertement le
conservatisme du président, et se met au service de Nicolas Sarkozy.
"J’ai su saisir les opportunités", dit-il avec un grand sens de
l’understatement. "Sa carrière s’est déroulée tranquillement, sans
grandes trahisons, avec des petits virages", commente un de ses amis.
Pactes et alliances se font et se défont, c’est la vie politique.
François Fillon a su se faufiler habilement, mais ce parcours laisse
planer un doute sur l’homme et la solidité de ses convictions. D’autant
que, durant ses cinq ans à Matignon, il n’a cessé de composer. Certes,
il a eu cette saillie historique sur l’"Etat -en faillite", mais c’était
une gaffe. Aux réunions hebdomadaires des dirigeants de la majorité, en
face de Nicolas Sarkozy, le Premier ministre ne s’est jamais opposé.
Nombre de ministres se sont plaints de ne pas avoir été soutenus. En
septembre dernier, Jean-Marc Ayrault a dit tout haut ce que beaucoup ont
pensé à droite : "Il y a cinq ans, il avait dit : “Je suis à la tête
d’un Etat en faillite.” Et qu’est-ce qu’il a fait ?"
Le dévoué soldat de Sarko
Pourquoi est-il resté cinq ans ? Pourquoi n’a-t-il pas tiré la
sonnette d’alarme ? "Une démission, c’est un one shot. On se fait
plaisir, et puis rien !" commente son ami Jean de Boishue. Ce qui compte
en politique, c’est durer. "Une rupture aurait été un acte fondateur,
admet son ancienne conseillère en communication, Myriam Lévy. Mais ce
n’est pas sa façon de faire de la politique." François Fillon n’est pas
homme à provoquer des bras de fer. "En réalité, sur le fond, il n’y
avait pas de grandes divergences. Sur la forme, le rythme, le dosage,
les points de vue divergeaient, mais pas sur l’orientation, explique
Igor Mitrofanoff. François Fillon a toujours su se rappeler quel était
son statut : Premier ministre !" Et puis lui et Sarkozy entretenaient,
malgré tout, des relations d’estime. En -dépit des agacements. Rien à
voir avec la haine Chirac-Giscard.
Enfin, François Fillon estime avoir contribué à accomplir un certain
nombre de réformes. "Sur de nombreux sujets, il a laissé son empreinte,
affirme Myriam Lévy. L’autonomie des universités, la RGPP, la réforme
des retraites. Il s’est aussi battu sur la limitation des dépenses en
valeur, et plus seulement en volume. Avec des alliés comme
Eric Woerth
ou Xavier Musca." Un constat qui fait hurler certains de ses rivaux,
comme Bruno Le Maire : "Il a réussi une vraie prouesse : faire croire
qu’il était le réformateur et que c’était Nicolas Sarkozy qui
bloquait !" Mais certains proches de l’ex-président confirment. Le
Premier ministre a bien instillé une petite -musique à lui. Igor
Mitrofanoff rappelle le contexte : "En 2009, il y avait encore des
débats très vifs sur la relance. Les efforts de rigueur, c’est en grande
partie lui."
Si en public, dans les réunions, il s’est toujours gardé d’affronter
le chef de l’Etat, François Fillon affirme que c’était pour ne pas
déstabiliser son camp, ne pas alimenter les rumeurs sur sa démission.
Pas par manque de courage ? René Ricol raconte : "C’est Nicolas Sarkozy
qui me l’a présenté. On a beaucoup travaillé ensemble sur le grand
emprunt. Il a été nickel. Il m’a toujours soutenu. Et en petit comité,
avec le président, il a souvent fait prévaloir son point de vue." Un
proche précise : "Il n’est pas hypocrite. Il ne soutient que les causes
gagnables."
A la fois progressiste, conservateur et libéral
En première ligne, saurait-il résister ? Qui triompherait, le
gaulliste social ou le libéral ? "François Fillon n’aime pas trop les
mots en “isme”, assure Igor Mitrofanoff. Il est pragmatique." Jean de
Boishue précise : "C’est un progressiste. Un conservateur libéral." Pas
clair ! "Mais les étiquettes, les filiations, cela n’a plus aucun sens,
s’insurge Dominique Reynié, du think tank de droite Fondapol. Tous les
leaders politiques sont propulsés par la mondialisation. Ce qui compte,
c’est la capacité à adapter la France à cet enjeu." Et si François
Fillon est un vrai conservateur sur le plan sociétal, il est plutôt
réformateur sur le plan économique. Tentative de réforme des universités
– censurée par le
Conseil constitutionnel –
en 1993, au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
-Libéralisation de France Télécom en 1995, au ministère de la Poste et
des Télécommunications. Assouplissement des 35 heures et première
réforme des retraites en 2002, quand il est aux Affaires sociales.
"Si François Fillon demeure une énigme, c’est parce qu’il ne
verbalise pas", explique Myriam Lévy. Jamais de confidences, de tapage.
Il est lisse, discret, ennuyeux. Quand Chirac, comme tant d’autres,
arrosait de témoignages affidés et électeurs à l’occasion des
anniversaires, naissances ou décès, lui, rien. Ou très rarement. D’où sa
réputation d’égoïste autocentré et suffisant. "Il s’y met", tempère
Igor Mitrofanoff. "Oui, il est orgueilleux, solitaire, reconnaît sa
grande amie Roselyne Bachelot. Mais ce qui explique sa résilience, sa
capacité à tout supporter stoïquement, c’est l’absence d’affect dans le
domaine politique. Avec, en appui, une vie privée très riche. Sa
famille, c’est un phalan-stère ! Il vit en autarcie affective." Ses cinq
enfants, sa femme, ses frères, constituent sa véritable tribu.
Un énorme déficit affectif
Aujourd’hui, François Fillon recueille les fruits de sa constance. Sa
longévité à ce poste, son sang-froid lui ont permis de se forger une
stature d’homme d’Etat. Le voilà donc présidentiable. Avec ce principal
atout : la capacité à rassembler son camp et à grignoter le camp
adverse. "Il incarne une droite -sereine. La face sympathique du
sarkozysme", avance Jean de Boishue. "C’est quelqu’un de sérieux. Et par
les temps qui courent, les Français vont avoir besoin de sérieux",
ajoute Myriam Lévy. Mais il a aussi un sacré handicap : un énorme
déficit affectif. Ses proches le reconnaissent : "Il devra fendre
l’armure, créer un lien avec les Français, s’engager plus." C’est
d’ailleurs son point faible dans la campagne qui l’oppose à
Jean-François Copé pour la présidence de l’UMP.
Il a une image de sage, raisonnable, mais pas celle d’un meneur
d’hommes. Or l’élection à la tête du parti est cruciale. Quasiment un
passage obligé. D’abord, une défaite entamerait son crédit. Ensuite,
tenir l’appareil est un atout majeur, dans la perspective de la primaire
de 2017. Enfin, c’est le seul moyen de disposer des moyens nécessaires
pour bâtir un programme, constituer des équipes, voyager, entretenir un
réseau international. Bref, préparer la présidentielle.
Prêt à affronter Sarkozy ?
Or, en dépit des apparences, rien n’est joué. Certes, les sondages
lui donnent une large avance, et la plupart des barons de l’UMP lui ont
apporté leur soutien. Mais la lutte est âpre, et le vote des militants
peut réserver des surprises. D’ailleurs, François Fillon a créé une
société de conseil, 2F Conseil, juste avant son élection au Parlement,
en juin dernier, afin de pouvoir exercer une activité privée. Au cas où.
Et si Nicolas Sarkozy revenait ? Saurait-il l’affronter ? Sans doute.
Mais l’ancien Premier ministre refuse d’évoquer une telle hypothèse. La
politique des petits pas, toujours.