"On est largement plus nombreux qu'on ne l'était le 24 juin", a estimé Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, au sujet de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites.
Le ministère de l'Intérieur a annoncé 450.000 manifestants contre la réforme des retraites à la mi-journée, soit l'équivalent de la mobilisation du 24 juin. Pour leur part, les syndicats affirment avoir remporté leur pari de rassembler plus de protestataires qu'en juin dernier, soit plus 2 millions de personnes.
"On est largement plus nombreux qu'on ne l'était le 24 juin. C'était l'objectif et le gouvernement ne pourra pas faire comme s'il ne s'était rien passé aujourd'hui", a déclaré le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, au départ du défilé parisien. Pour François Chérèque, le leader de la CFDT, il s'agit "de la plus grosse mobilisation de ces dernières années". La manifestation parisienne s'est scindée en deux, en raison de la forte affluence (de 80.000 à 270.000 selon les sources), a expliqué la CGT.
A Marseille, 200.000 personnes ont manifesté selon les syndicats, contre 120.000 en juin, et à Lyon ils étaient 30.000 contre 25.000 il y a deux mois et demi. A Bordeaux, de 40.000 à 100.000 manifestants ont défilé selon les sources, contre une fourchette de 25.000 à 70.000 en juin. A Caen, la police en a décompté 24.500 (18.000 en juin).
Grève générale ?
Le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, a affirmé n'exclure "aucun type d'action" pour faire plier le gouvernement sur la réforme des retraites, mais a refusé d'évoquer une grève générale. Bernard Thibault a également exprimé des réserves sur cette option. "Ce n'est pas quelque chose que l'on décrète je commence à avoir une longue expérience des mouvements de mobilisation, je sais par expérience qu'on ne décrete pas ce genre de choses, y compris dans de mouvements de très forte mobilisation", a-t-il dit.
Les députés examinent à partir de cet après-midi le projet de loi qui vise à juguler les déficits des régimes de retraites et à rétablir l'équilibre financier en 2018. La mesure la plus critiquée du projet - présentée comme non négociable par le gouvernement - consiste à reporter de 60 à 62 ans le départ de l'âge légal du départ à la retraite.
Le président de la Commission européenne n'a pas hésité mardi à intervenir dans le débat français sur les retraites. "Il faut avoir le courage de dire que si l'Europe veut gagner la bataille de la compétitivité face à certains pays émergents, il faut travailler plus, il faut travailler plus longtemps", a-t-il dit devant le Parlement européen.
Les taux de grévistes par secteur
La grève, démarrée lundi à 19 heures, est prévue pour durer jusqu'à mercredi 8 heures du matin.
La SNCF a annoncé ce matin 42,9% de cheminots grévistes (39,8%, le 24 juin à la même heure). L'entreprise a prévu deux TGV sur cinq en moyenne en circulation (un sur deux pour les liaisons entre Paris et le nord et l'est de la France, un sur cinq pour les liaisons province-province), un Corail sur quatre, un trafic normal sur les Eurostar Paris-Londres, huit trains sur dix pour le Thalys Paris-Bruxelles, un train TER sur deux, deux trains Transilien sur cinq.
A la RATP , vers 11h00, le trafic était normal sur les lignes du métro parisien 1, 6, 7, 11 et 14 et on comptait au moins un train sur deux sur les autres lignes. Le "trafic est un peu meilleur que prévu [dans le métro] et 80% du trafic est assuré en moyenne", a déclaré mardi matin une porte-parole de la RATP.
En revanche, le trafic est quasi nul sur la ligne B du RER, la plus touchée ; un train sur deux circule sur la ligne A, le trafic est normal sur les lignes 2 et 3 du tramway et la ligne 1 compte trois rames sur quatre. Il faut par ailleurs compter trois bus sur quatre sur toutes les lignes.
La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) dit avoir demandé aux compagnies aériennes de réduire leurs programmes de vols de 25% sur les aéroports parisiens d'Orly et de Roissy. Air France prévoit d'assurer 100% des long-courriers, 90% des court et moyen-courriers à Paris-Roissy, et 50% à Paris-Orly. "Il y a quelques retards mais on est dans la conformité avec les prévisions qui avaient été faites", a déclaré ce matin un porte-parole de la DGAC.
Dans l'Education nationale, 30% des enseignants, selon le syndicat Snes-FSU (5,6% selon le ministère), étaient en grève dans les collèges et lycées dès lundi. Ce mardi matin, les enseignants sont 29,4% à faire grève, dont 33,6% en primaire et 25,8% dans le secondaire, selon le ministère de l'Education nationale, les syndicats de la FSU chiffrant les grévistes à 60% dans le primaire et à 55% dans le secondaire, soit davantage que le 24 juin, et même plus du double en collèges et lycées.
Dans la capitale, la ville de Paris pourra appliquer le service minimum d'accueil (SMA) "dans une centaine d'écoles" sur les 417 où au moins 25% de grèvistes sont prévus (seuil de déclenchement du SMA).
Selon le ministère du Travail, la grève est suivie par 24,7% des fonctionnaires d'Etat, contre 18,71% lors du 24 juin. Le taux de mobilisation est de 16,2% pour la fonction publique territoriale et de 17,76 % pour la fonction publique hospitalière, précise-t-il dans un communiqué.
A la Poste, 22,07% de postiers étaient en grève à 10 heures, contre 19,86% le 24 juin. "La Poste a mis tout en œuvre pour assurer l'accueil de ses clients et la continuité de service, que ce soit dans les domaines du courrier, du colis et de la Banque Postale", écrit-elle dans un communiqué.
A Pôle Emploi, 16,93% des agents étaient en grève à midi, selon la direction, et près de 25%, selon le principal syndicat, le Snu-FSU, soit plus que le 24 juin (12,26% et 22% respectivement).
A France Télécom, 30,84% des 100.000 salariés étaient en grève, contre 29,29% le 24 juin, a indiqué la direction, les syndicats parlant de chiffres "supérieurs" sans donner de précisions.
Les six raffineries Total en France étaient en débit minimum en raison de la grève, a indiqué la direction du groupe pétrolier à l'AFP.
Chez EDF, la direction a relevé 21,3% de grévistes à la mi-journée, contre 15,9% le 24 juin, mais ce chiffre est "susceptible d'augmenter dans l'après-midi", selon la CGT qui précise que la grève a fait perdre 8.000 megawatt à EDF du fait des baisses de charge causées par les grévistes.
En matière de justice, l'Union syndicale de la magistrature, majoritaire, appelle au renvoi de toutes les audiences de mardi.
mardi 7 septembre 2010
Grèves contre la réforme des retraites : forte mobilisation, les syndicats crient victoire
Unité de façade au PS
« Il y a moyen de faire reculer le gouvernement », affirmait hier le porte-parole du PS, Benoît Hamon. Le mot d'ordre est simple : tous les socialistes doivent suivre l'exemple de Martine Aubry, qui défilera à Paris, et se joindre aux manifestations contre cette « politique du passage en force ».
Ségolène Royal en sera, chez elle. Pour la présidente de Poitou-Charentes, le gouvernement « devra tenir compte (de la mobilisation) et retirer cette mauvaise réforme ».
Mais cette unité est factice, l'opposition frontale à la réforme ne fait pas l'unanimité à gauche. « Je ne pense pas qu'il faille y avoir de dogme » sur la retraite à 60 ans, déclarait Dominique Strauss-Kahn en mai dernier, après Gérard Collomb.
« Se focaliser sur l'âge légal n'a aucun sens », écrit Manuel Valls dans son dernier livre, expliquant : « Si nous restons bloqués sur l'acquis des 60 ans, nous perdrons toute crédibilité ».
Martine Aubry elle-même a hésité, on s'en souvient. En janvier, elle envisageait de repousser l'âge légal « à 61 ou 62 ans ». Une déclaration aussitôt saluée par Gérard Collomb, mais aussi les Verts, tandis que la gauche du PS hurlait son désaccord avec Benoît Hamon. Pour des raisons de tactique interne, mais aussi de bonne entente avec les syndicats, la première secrétaire a ensuite fait volte-face, et fait inscrire le maintien de l'âge légal à 60 ans dans le programme du PS. Elle est ainsi entrée avec le PS dans le clivage binaire gauche-droite que souhaitait Nicolas Sarkozy. La suite dira si c'était le bon choix.
Francis Brochet
RETRAITES – Que veulent les syndicats ?
C’est une journée de grève massive qui s’annonce aujourd'hui, pour le lancement du débat parlementaire sur la réforme des retraites. Les syndicats, opposés à la réforme, font l'union sacrée face à un exécutif fragilisé. Ils estiment qu'une très forte mobilisation est "la seule chance de faire changer la réforme"
Manifestation contre la réforme des retraites (photo AFP)
En ce mardi 7 septembre, l'objectif des syndicats CFDT, CGT, CFTC, CFE-CGC, FSU, Solidaires et Unsa est clair : faire mieux que la dernière journée d’action nationale, qui avait rassemblé le 24 juin entre 800.000 et deux millions de personnes. Réunies en intersyndicale, les organisations sont vent debout contre le projet du gouvernement. Si Force ouvrière s'est abstenue de signer le communiqué commun, le jugeant trop timoré, la centrale appelle les salariés à participer à la journée d’action. La mobilisation pourrait être d'autant plus forte que tous les partis politiques de gauche, plusieurs dizaines d'associations et les principaux syndicats d'étudiants et de lycéens appellent à s'y joindre.
Des mesures phares non négociables ?
Le texte présenté au Parlement par un ministre - Eric Woerth- fragilisé, vise à juguler les déficits croissants des régimes de retraite pour parvenir à l'équilibre financier en 2018. Il comprend deux mesures principales : la remise en cause des 60 ans et le passage de la retraite à taux plein de 65 à 67 ans.
- "Passer de 60 à 62 ans, ça rapporte 28 milliards d’euros, voilà !", a résumé le président de la République. Un argument auquel est sensible la CFE-CGC, mais pas la CFDT : "la fin de la retraite à 60 ans est inacceptable car elle va aboutir à faire travailler ceux qui ont commencé tôt, souvent les plus modestes, plus longtemps que les cadres".
- Entre 2016 et 2023, l’âge où on peut obtenir un taux plein, quel que soit le nombre de trimestres cotisés, passera de 65 à 67 ans. Une mesure qui génère le tiers des économies attendues par la réforme, selon le gouvernement. Tollé chez les syndicats, pour qui cela revient à s’en prendre aux plus fragiles, et notamment aux femmes, loin d'avoir toutes leurs annuités.
Les syndicats estiment qu'en l'état, l'essentiel de l'effort de cette réforme pèse sur les salariés, sans résoudre le problème des déficits à long terme. Alors chaque syndicat propose sa recette pour trouver de nouvelles sources de financement pour les retraites: hausse de la CSG, taxation de la valeur ajoutée des entreprises, élargissement de l’assiette de ces cotisations à l’intéressement, à la participation, aux stock-options ou aux bonus… L'enjeu est "d'obtenir un autre contenu pour une autre réforme des retraites", pour la CFDT.
Quelques évolutions possibles
Pour le moment, le gouvernement semble inflexible sur le principal, mais il laisse la porte ouverte à des évolutions, notamment sur la "pénibilité" et le dispositif de départs anticipés pour ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans. De même pour les polypensionnés, ces 40 % d’actifs qui ont cotisé dans plusieurs caisses et dont la retraite est calculée au prorata du temps cotisé dans chaque régime, même si leurs 25 meilleures années se sont déroulées dans un seul d’entre eux. La CFDT fait de cette question une priorité.
Pour le leader de FO Jean-Claude Mailly, négocier seulement sur ces points revient à ne parler que "des décimales après les virgules". Estimant que rien n'est encore joué, et forts de l'approbation de 70% des Français*, les syndicats veulent frapper fort et se faire entendre, changer le rapport de force. Quelle que soit l’issue de cette journée d’action, ils ont d’ores et déjà convenu de se retrouver demain 8 septembre pour décider des suites de leur action. Le texte doit être ausculté par les députés pendant une semaine, le vote sera organisé mardi 14 ou mercredi 15 septembre.
Pour Nicolas Sarkozy, voici la mère de toutes les batailles, le temps décisif de son quinquennat. Un échec à réformer nos retraites l’obligerait sans doute à prendre la sienne prématurément. Dès 2012, par exemple.
Le staff élyséen, de Guéant en Guaino, suit l’affaire d’un œil préoccupé. Parce qu’être majoritaire au Parlement ne suffit pas toujours à faire la loi. Alain Juppé, lors de l’hiver 1995, l’a appris à ses dépens. Ou Alain Savary, en 1984, s’agissant de l’école privée. Et combien d’autres, que la rue poussa à reculer ?
La mobilisation syndicale d’aujourd’hui inquiète donc le pouvoir. Si les protestataires venaient à se compter par millions, si le mouvement menaçait de durer, il faudra bien lâcher du lest. L’intransigeance gouvernementale, tenue au nom de “l’intérêt public”, sera alors soumise à rude épreuve.
Sur la “pénibilité du travail”, un des rares points encore négociable, Eric Woerth peut causer. À deux doigts du surmenage, il doit à la fois défendre son honneur... et la réforme. Le ministre, depuis des semaines, traîne les casseroles dorées de la “maison Bettencourt”. Victime ou pas d’un acharnement, il se trouve suspecté de “rapports incestueux” avec l’argent. Et c’est lui, tandis que défilera le peuple, qui va se lever devant l’Assemblée nationale. Pour demander des sacrifices aux Français !
Gilles DEBERNARDI
L’instabilité fiscale est un mal français. Ces temps-ci, il ne se passe guère de jour sans qu’une éventuelle modification du système d’imposition soit annoncée. La semaine dernière, il y a eu la remise en cause de certains avantages fiscaux liés à l’assurance. Au cours de ces dernières heures, on parlait par exemple d’une réduction du crédit d’impôt sur les installations photovoltaïques et d’un hypothétique aménagement du bouclier fiscal : le bénéfice pourrait en être réservé aux contribuables ayant investi dans le capital de petites et moyennes entreprises, a laissé entrevoir le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant.
Cette mutation permanente de la fiscalité est déstabilisante pour le contribuable. Mais, au fond, elle arrange beaucoup de monde. Sa mise en œuvre requiert une importante administration, fait vivre de nombreux conseillers fiscaux et permet sans cesse à de nombreux groupes de pression, relayés par de nombreux parlementaires, de négocier tel ou tel dispositif spécifique. Au final, on se trouve avec un système illisible où chacun a le sentiment de se faire avoir. Depuis quelques années, la complexité des tarifs proposés par les opérateurs téléphoniques a été à juste titre dénoncée. En regardant le code général des impôts, on se dit qu’ils n’ont rien inventé…
Il est temps de se souvenir que la fonction première des impôts est tout simplement de financer les dépenses publiques. Plus ce système sera simple, plus il sera facile de veiller à son équité et moins il sera facile de frauder. Ajoutons un autre argument. L’énergie que toutes les parties prenantes dépensent aujourd’hui pour bricoler la fiscalité au jour le jour serait bien plus utile pour veiller à ce que l’argent du contribuable soit dépensé intelligemment. Si les Français avaient la conviction que leurs impôts sont bien utilisés, ils consentiraient plus volontiers à les acquitter. Simplicité, efficacité : voilà les mots d’ordre qui pourraient fonder un beau débat sur les impôts et leur usage dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012.
Et même si les manifestations ne peuvent plus rien contre le recul de l'âge légal de la retraite, comme semblent le prétendre quelques augures adeptes de la méthode Coué, la mobilisation d'aujourd'hui marquera un virage dans l'action sociale. Non seulement elle n'est pas la fin d'un cycle mais, motivée par le refus de la réforme, alimentée par l'affaire Woerth-Bettencourt et la pétaudière à droite, choquée par les trop brutales expulsions, la contestation va devenir le moyen de défense privilégié de tous ceux qui veulent que Nicolas Sarkozy s'aperçoive, à l'avenir, qu'il y a des grèves. Cette question des retraites est, on l'oublie trop souvent, l'affaire des jeunes. Leur niveau de participation sera un vrai baromètre de leur ras-le-bol de voir l'espérance de vie servir de cache-sexe à l'austérité et de leur détermination à ne pas céder face à ce qu'ils considèrent comme une régression sociale.
La méthode à la hussarde, qui prévaudrait sur la négociation, n'est pas sans risque. Si rien ne bouge sur le fond après un succès syndical, le sentiment d'échec se transformera en sentiment d'impuissance. Il accréditerait alors, chez les jeunes en particulier, la conviction que les structures intermédiaires du dialogue social, maîtrisé et organisé ont explosé.
S'il se combine à une surdité politique face à la mobilisation, ce sentiment d'impuissance peut ouvrir la porte à la rue et à toutes les formes d'actions moins institutionnelles. Les oppositions entre secteurs privé et public, entre régime général et régimes spéciaux ne marchent plus malgré la multiplication des tentatives de division. Preuve, s'il en fallait une, que le mouvement s'est unifié, et que tout le monde se sent concerné par le maintien de la protection sociale, pour lui ou pour ses enfants.
La bataille des chiffres aura bien lieu demain soir encore et il se trouvera sans doute un factotum pour dire la déception des syndicats à la place des syndicats. Qu'importent les exagérations des uns et des autres et les discours catastrophistes, derrière cette réforme pas toujours facile à lire on cherche à accréditer l'image du retraité inactif qui coûte cher aux actifs. La véritable attaque contre la répartition est dans cette affirmation insidieuse.
DANIEL RUIZ
C'est assez drôle, quand même. « Écouter », « écouter », « écouter »... La majorité a promis « d'écouter » la rue. Qu'elle prépare ses tympans car elle sera servie. Ce sera bruyant. Très. Assourdissant. La première sortie de la vuvuzela dans une manifestation française tiendra toutes ses promesses. Elle donnera à l'ampleur des cortèges une puissance supplémentaire qui compensera une météo défaillante.
L'Élysée et Matignon préfèrent envisager le pire. Plus de deux millions de personnes dans la rue. Une mobilisation « massive », emblématique d'une contestation que le pouvoir assume par avance : il l'a même déjà intégrée à sa stratégie. A la limite, Nicolas Sarkozy souhaite cette épreuve de force. S'il triomphe, alors il aura apporté la preuve qu'une réforme peut s'imposer en dépassant l'incompréhension sociale. Que le courage et l'obstination peuvent avoir raison des résistances au changement. Que le volontarisme politique est capable de braver l'impopularité quand il avance au nom de l'avenir du pays. Le président de la République a finalement beaucoup plus à gagner qu'à perdre dans ce mardi « de tous les dangers ». Le souffle de la vuvuzela finira bien par s'éteindre. A l'usure.A la manœuvre, le général Sarkozy a un coup d'avance, en effet. Tel un rouleau compresseur la machine législative est lancée, et elle est déjà sur les talons des manifestants. Un blitzkrieg. Seulement 50 heures de débats programmées à l'Assemblée, une procédure accélérée avec une seule lecture dans chaque chambre : tout ira si vite que les mécanismes de blocage n'auront même pas le temps de pétrifier l'opinion. Tout sera voté avant que la révolte ne soit irréversible.
C'est un pari et, comme tous les paris, il est forcément risqué. D'autant plus qu'il a été fait au moment où la France semblait adhérer de plus en plus largement à l'idée qu'il faudra travailler plus longtemps, au moins jusqu'à 62 ans, pour sauver le régime des retraites. L'argument démographique a pesé, et l'opposition, sans dispositif de rechange, a montré ses limites. Mais voilà que les derniers sondages montrent que les Français soutiennent aussi, à 70%, et sans état d'âme, ce mardi de grève. Dans cette ambivalence très française, laquelle des deux attitudes apparemment contradictoires va dominer l'autre ?
Le sentiment d'injustice sera décisif. Le gouvernement l'a anticipé, prêt à sortir de sa manche des options pour la pénibilité ou les longues carrières. Mais en retardant le tour de passe-passe jusqu'à l'ultime moment, il en a déjà amoindri l'efficacité. Tout le monde a bien vu que le lapin est dans le chapeau... Et surtout, l'artiste - en l'occurrence, le ministre du Travail - a épuisé son crédit auprès du public. La confiance, impalpable, s'est dissoute dans l'ombre de l'argent.
Nouveaux compteurs électriques à plus de 100 euros : UFC Que Choisir proteste
Pour l'association de consommateurs, "la publication du décret du 2 septembre est une fuite en avant qui montre que l'expérimentation et la concertation organisées au sein de la Commission de Régulation de l'Energie n'étaient que simulacre.
La polémique est en train de monter sur le coût pour les Français d'installation de nouveaux compteurs électriques dits "intelligents". Ce lundi, dans un communiqué, l'association de consommateurs UFC Que Choisir pousse un coup de gueule.
Elle souligne que "à l'heure où l'expérimentation des nouveaux compteurs Linky rencontre de nombreux retards et difficultés techniques, l'Etat passe par-dessus les critiques avec un rouleau compresseur et publie en catimini un décret pour raccourcir l'expérimentation et pour généraliser ces compteurs communicants. Pourtant, les objectifs assignés à l'expérimentation en cours sont loin d'être atteints : il s'agissait de tester le processus de déploiement, de dresser un bilan technique et de vérifier l'impact éventuel de Linky sur la maîtrise de la consommation d'électricité au 31 mars 20111. Or, le planning de pose dérape, les compteurs disjonctent un peu trop facilement et la transmission des données ne se fait pas. Comment réaliser un bilan complet au 31 décembre 2010, c'est-à-dire trois mois plus tôt que prévu, avant la pose de l'ensemble des compteurs expérimentaux et sans même les tester pendant la période hivernale ?"
Pour l'UFC Que Choisir, "la publication du décret du 2 septembre est une fuite en avant qui montre que l'expérimentation et la concertation organisées au sein de la Commission de Régulation de l'Energie n'étaient que simulacre. D'autre part, sans revenir sur les réserves de la CNIL sur le traçage des usagers, l'UFC-Que Choisir, dès le départ, a critiqué les fonctionnalités du compteur Linky, pensé par et pour le distributeur ERDF et pas du tout au bénéfice du consommateur. Certes, il évite les surestimations de facture mais il ne présente pas d'avantages décisifs pour les consommateurs.
Contrairement à l'engagement pris dans la loi Grenelle 1, il ne leur permet pas de « mieux connaître leur consommation d'énergie en temps
réel et ainsi de la maîtriser ». Et surtout, son coût élevé (entre 120 euros et 240 euros par compteur contre 80 euros en Italie, financé par le fournisseur Enel) est laissé à la seule charge du consommateur."
Selon l'association de consommateurs, "au final, les avantages du compteur sont avant tout pour le distributeur ERDF et pour les fournisseurs, qui vont ainsi pouvoir proposer des services payants au consommateur pour suivre sa consommation électrique et de nouvelles offres tarifaires." L'UFC-Que Choisir annonce avoir écrit à Jean-Louis Borloo, ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer pour lui demander un décret modificatif prévoyant "un prolongement de l'expérimentation des compteurs Linky jusqu'au 30 juin 2011, un bilan économique et technique complet et transparent avant une éventuelle décision de généralisation et un financement partagé entre ERDF, les fournisseurs et le consommateur".
Herman Van Rompuy
Depuis sa nomination il y a près d'un an, le premier président permanent du Conseil européen fait preuve sur la scène publique d'un effacement qui n'a eu d'égal que son activisme en coulisses. Tout en veillant à ne jamais faire d'ombre aux dirigeants des grands pays, auxquels il doit sa promotion, l'ancien Premier ministre belge a su marquer des points dans la rivalité d'influence qui l'oppose au président de la Commission, José Manuel Barroso. L'actuelle vacance gouvernementale à Bruxelles, alors même que le Royaume est supposé présider l'Union, a également joué en faveur de l'ex-professeur d'économie. Longtemps militant du Parti chrétien-démocrate flamand, cet amateur de poésie qui se détend en composant des haïkus à la japonaise est marié à une biologiste réputée avoir des sympathies pour l'autonomisme flamingant. L'allure terne de ce catholique pratiquant, qui aime promener lui-même le chien qu'il a recueilli et refuse toutes les interviews télévisées, lui a valu d'être aimablement comparé à « une serpillière humide » par l'eurodéputé britannique Nigel Farage. L'aptitude du matois négociateur à faire avancer ses pions dans l'ombre devrait, pourtant, inciter ses opposants à se tenir à carreau.
Malade, l'économie chinoise ? Cet été, l'hypothèse d'un brusque ralentissement du principal moteur de l'économie mondiale a été prise au sérieux. Dans un contexte d'inquiétude sur la reprise américaine, plusieurs indicateurs ont démontré que l'industrie chinoise traversait une mauvaise passe. Entre une inexorable baisse de la demande en Occident et une tendance de plus en plus patente à la hausse des salaires, la machine exportatrice semble en danger. Sans compter que les exportateurs ont vu disparaître des dispositifs fiscaux qui les avaient aidés depuis le début de la crise internationale.
Pour ne rien arranger, les autorités se retrouvent, au même moment, obligées d'appuyer sur la pédale de frein. Car, dans un pays où les dépôts bancaires sont délibérément rémunérés à des niveaux ridiculement bas - afin que, par ricochet, les banques puissent prêter généreusement aux entreprises -, les ménages se sont rués vers l'immobilier pour placer leur argent. Le résultat est une bulle immobilière doublement explosive : non seulement sur le plan purement économique, mais aussi d'un point de vue social et politique, puisqu'elle se traduit par des coûts de logement presque insoutenables pour la classe moyenne. Ce qui a poussé Pékin à prendre des mesures drastiques pour limiter le crédit. Au lieu d'agir sur les fonds propres des banques, comme à leur habitude, les autorités ont ciblé l'activité spéculative, en relevant le pourcentage d'apport personnel pour l'achat d'une deuxième propriété. Et en bloquant quasiment le crédit pour une troisième. Pour la première fois depuis longtemps, l'équation que doit résoudre Pékin s'apparente donc à un vrai casse-tête : comment diminuer l'activité de crédit au moment où le principal moteur de l'économie, l'export, semble en danger ? Autant vouloir freiner tout en accélérant… Pour les Cassandre, le régime chinois, dont la légitimité a découlé, jusqu'à présent, de sa capacité à garantir une vigoureuse croissance économique, risque d'être confronté sous peu à un difficile test politique.
On peut pourtant émettre des doutes devant cette hypothèse. Complexe, le pilotage de l'économie chinoise l'est certainement. Mais Pékin dispose encore d'une grande marge de manoeuvre pour empêcher une catastrophe.
Il est incontestable que, en matière de crédit, Pékin a « grillé ses cartouches », selon Hervé Liévore, stratégiste chez AXA IM. Non seulement stimuler le crédit serait contraire au projet de freiner la hausse du marché immobilier, mais, en plus, cette arme a été largement utilisée en 2009. Au point que les banques s'inquiètent aujourd'hui de la quantité de prêts « pourris » qu'elles ont accordés. En revanche, Pékin dispose plus que jamais de l'arme budgétaire. Avec une dette publique qui n'excède pas 30 % du PIB, l'Etat central n'aura aucun mal à investir, notamment dans la construction de logements pour soulager le marché de l'immobilier. Contrairement aux pays développés, la Chine a les moyens de pratiquer un « keynésianisme pur et dur », comme le dit Hervé Liévore. Même en tenant compte de l'endettement substantiel des collectivités locales, elle dispose là d'une incontestable réserve de croissance.
Deuxième point : la compétitivité des produits chinois est-elle profondément menacée ? Rien n'est moins sûr. D'abord parce que, contrairement à ce que certains ont trop vite espéré en juin dernier, Pékin garde la main sur l'évolution de son taux de change et maintient depuis lors un yuan faible. Mais aussi parce que, au-delà de l'effet de loupe médiatique que les grèves de ces derniers mois ont déclenché, la hausse des salaires est à l'oeuvre depuis longtemps, si bien que les faibles coûts de main-d'oeuvre ne sont plus le seul atout d'un pays qui s'est construit une force de frappe industrielle sans égal. Même dans un secteur comme le textile, fabriquer des petits lots peut être pertinent au Bangladesh ou en Inde, mais la Chine reste imbattable pour les productions de masse qui plaisent tant à la grande distribution occidentale.
Enfin, tout porte à penser que la dépendance de l'économie chinoise vis-à-vis des exportations a commencé à décroître, de manière certes encore discrète. Il semble logique que la consommation des ménages augmente lorsque les salaires font de même et que les zones industrielles, qui sont aussi celles de consommation, ne se cantonnent plus à la côte. Mais plusieurs signaux corroborent cette hypothèse. Sur douze mois, les crédits à la consommation semblent avoir explosé de plus de 40 %. En Bourse, ce sont les secteurs des biens de consommation ou des services aux consommateurs qui se portent le mieux. Et le dernier indice en provenance de Chine confirme que la demande interne aux entreprises connaît une hausse vigoureuse.
La crise obligeait la Chine à se réinventer. C'est ce qu'elle semble commencer à faire. Sauf rechute de l'économie mondiale, elle devrait donc maintenir une croissance solide en 2011. Ce qui épargnerait au régime les sueurs froides que certains, en Occident, lui prédisent.
Nos voisins européens, qui ont pour la plupart réformé leurs régimes de retraite dans le consensus, regarderont sans doute avec incrédulité les images des défilés qui vont sillonner la France et la paralysie des transports publics qui les accompagne. De leur côté, le gouvernement et les syndicats vont passer la journée un compteur de manifestants à la main pour déterminer l'ampleur de la protestation et, comme des entomologistes, la comparer aux exercices précédents. Enfin, dès ce soir, les commentateurs se livreront à l'exercice bien connu et rituel de l'évaluation du rapport de forces…
Il est en réalité peut-être temps de rappeler, à ce stade, trois vérités essentielles. On ose à peine citer les deux premières. L'âge de départ à la retraite est dans notre pays un des plus bas d'Europe (59,3 ans contre 61,4 en moyenne), ce qui nous permet de bénéficier d'un temps de repos parmi les plus longs au monde. Il y aurait bien sûr lieu de s'en réjouir si nos régimes collectifs n'accusaient pas un déficit insupportable et qui va le devenir de plus en plus.
Comment la France peut-elle croire qu'elle seule aurait le remède miracle qui ne serait douloureux pour personne et bénéfique à tous ?
La troisième vérité est plus brutale. Cette réforme constitue probablement la dernière chance du système de répartition bâti après la Seconde Guerre mondiale. Dans cinq à dix ans, si les déficits sont abyssaux et les pensions toujours plus faibles, il n'y aura plus grand monde pour le défendre. Comment ceux qui contestent toute mesure d'âge ne voient-ils pas que le statu quo est un encouragement à toujours épargner davantage pour financer ses vieux jours, sous forme d'assurance-vie ou de tout autre produit d'épargne ? En rejetant tout en bloc, les syndicats devront assumer une lourde responsabilité devant l'histoire alors qu'il y a fort à parier que cette réforme apparaîtra insuffisante d'ici quelques années si la croissance reste faible dans les pays développés.
Reste une question : Nicolas Sarkozy doit-il entrer dans un processus de négociation ? Il est clair que reculer sur les 62 ans n'est pas envisageable - sauf à accepter un suicide politique (y compris vis-à-vis de nos partenaires européens) et financier. En revanche, tel ou tel point peuvent probablement être améliorés. Mais là encore, attention ! Chacun se souvient que les contreparties négociées en coulisses avec les syndicats au moment de la réforme des régimes spéciaux de retraite (SNCF, RATP) l'ont réduite à pas grand-chose.
DOMINIQUE SEUX