La croissance, décidément, n’arrive pas, et tout indique qu’elle ne viendra pas. Mais, aussi incroyable que cela puisse paraître, la situation française, économiquement désastreuse, pourrait constituer une réelle opportunité pour le nouveau gouvernement.
En effet, ce dernier n’a, à l’évidence, plus franchement de marges de manœuvre, ni en matière de recettes, ni en matière de dépenses. Augmenter les impôts semble impossible, d’autant que l’écart entre les recettes prévues et celles effectivement perçues grossit, et pas dans le bon sens. Effet Laffer, déflation, évasion fiscale massive, marasme économique, chatons mignons pas correctement alignés avec les planètes, peu importe la raison profonde : l’argent ne rentre plus aussi facilement dans les caisses. Flûte.
Pour les dépenses, elles augmentent autant du côté des comptes sociaux (le nombre de chômeurs refusant toujours aussi méchamment de baisser et les étés pas assez chauds ne moissonnent pas leur nombre de retraités) que des autres comptes publics, les vieilles habitudes de dépense étant les plus dures à calmer. Zut.
Quant à la dette, y recourir de façon trop visible, même si les taux sont au plus bas, comporte à la fois un risque politique (auprès des partenaires européens) et un risque économique (parce qu’il faut bien trouver des prêteurs, hein). Crotte.
Des réformes parce qu’il n’y a plus rien à perdre ?
D’un autre côté, dans cette situation, et avec une opinion publique extrêmement défavorable, le gouvernement n’a plus rien à perdre non plus. On peut même imaginer que, foutus pour foutus et ayant déjà frotté leurs fesses sur le crépi blessant du mur de la réalité, les membres du gouvernement ravalent leur fierté et leurs idées socialistes pourries et se mettent, réellement, à réformer pour de bon, en profondeur et structurellement. Dans cette hypothèse, l’arrivée d’un Macron prétendument libéral constituerait ainsi la première pierre d’un édifice de « refondation française ».
Certes, quand on voit les performances actuelles du bâtiment, on peut pouffer, mais admettons cette hypothèse hardie et admettons que la situation actuelle représente bien une opportunité. Quels sont alors les risques qu’on peut poser en face de celle-ci ?
Le premier d’entre eux se situe dans l’hémicycle. Potentiellement, les députés pourraient refuser de suivre Valls et Hollande dans leur « course folle vers le turbolibéralisme ». Après tout, correctement coachés par une presse qui a déjà décidé que le nouveau gouvernement est honteusement de droite, imaginer les députés fermer leurs petits poings et s’offusquer n’est pas difficile.
Cela entraînerait à terme la dissolution de l’Assemblée … Ce qui mettrait un paquet de députés en difficulté. Et comme la soupe est (très) bonne, cette dissolution apparaît donc peu probable (en tout cas, dans l’état actuel des choses). La Vème République peut soutenir assez longtemps un marasme politique et l’hypothèse de députés renonçant finalement à grogner trop fort n’est pas non plus si invraisemblable. Après tout, des mouvements de députés inquiets à l’idée de ne pas soutenir Hollande se font déjà entendre. De ce point de vue, il existe donc un chemin étroit qui permet à l’exécutif de ménager la chèvre et le chou, d’établir des compromis mollasson en demi-teintes dans lesquels Hollande excelle. C’est un chemin très étroit, qui donne à la fois des billes rhétoriques aux députés qui voient leur base gronder, mais qui permet d’avancer dans des réformes, aussi modestes soient-elles.
Évidemment, cela demande un doigté extrêmement subtil. Peut-on réellement estimer que Valls ou Sapin en auront suffisamment ? Ou le petit Macron ? En tout cas, il faudra faire preuve d’une extraordinaire discrétion, soit exactement le contraire de ce que, de l’autre côté, les clowns à gauche à la sauce Montebourg peuvent se permettre. Autrement dit, d’un côté, l’exécutif doit se faire aussi discret que possible, alors que de l’autre, les frondeurs et les dogmatiques ont tout intérêt à se faire aussi bruyants qu’ils le peuvent. C’est fort problématique parce que le soutien du peuple s’obtient d’autant plus facilement qu’on n’est pas au pouvoir et qu’on peut y promettre une prochaine distribution de bonbons. À cet aune, et si l’on factorise le soutien putassier de la presse, Montebourg, Mélenchon et les autres débris dogmatiques du socialisme poussiéreux des années 80 auront toujours un soutien plus franc que le pauvre gouvernement Valls.
En outre, un autre risque évident est le temps mis aux réformes pour porter. Plus elles prendront de temps, moins les effets se feront sentir, plus la France paraîtra ralentir ou reporter sa mutation et son adaptation à un contexte macro-économique défavorable. Qu’il n’y ait pas de croissance n’est, en soi, pas gênant. Le Japon s’est accommodé de plusieurs décennies d’immobilisme. En revanche, les créanciers de la France, qui sont majoritairement étrangers, risquent bien de trouver le temps long. Oui, le chemin, dans cette hypothèse, est très étroit, et en plus, il impose que les éventuelles réformes ne soient pas trop timides.
En définitive, si Hollande veut réformer, il va lui falloir le faire de façon discrète et profonde, visible mais pas trop, en dépit de la presse et de son propre camp. Peut-on réellement croire qu’il a l’étoffe pour cette tâche ?
L’immobilisme parce que c’est jouable ?
L’autre hypothèse, bien plus cynique, est que le nouveau gouvernement n’est pas un gouvernement de combat, mais un gouvernement de négociateurs, dont le but ne sera que d’adoucir le choc lorsque les taux d’emprunts remonteront et que la dette française deviendra insoutenable. Dans cette hypothèse cynique, le recrutement d’un individu qui connait le monde de la finance, ses rouages et ses personnes influentes, constitue donc plutôt une carte qui se jouera pour, essentiellement, gagner un maximum de temps.
Parce qu’après tout, rien n’interdit d’imaginer que Hollande ait parfaitement compris l’ampleur de la crise. Et le brave François a, enfin, compris pourquoi Sarkozy lui a quasiment laissé les clefs de la boutique, pourquoi son prédécesseur a eu cette courtoisie troublante, lors du débat d’entre-deux tours, de lui laisser terminer sa fameuse tirade qu’il aurait pu interrompre à n’importe quel moment, faisant perdre à l’énarque en pleine récitation ses maigres moyens de piètre orateur. Peut-être François vient-il de comprendre, avec les perspectives économiques catastrophiques qui s’empilent sur lui, que les jeux étaient même faits bien avant mai 2012, et que ses pitreries socialistes n’ont fait qu’accélérer la cadence vers la déroute. Et peut-être Hollande a-t-il profité des saillies ridicules (et diplomatiquement dangereuses) de Montebourg pour faire constituer un gouvernement qui, tout simplement, permettrait de négocier, temporiser et ralentir l’inévitable, juste assez pour sauver ses propres miches ? Parce qu’enfin, rien ne sert de froisser ouvertement la Troïka BCE-EU-FMI si, plus tard (bientôt ?), on sait qu’on devra réclamer son aide.
Après tout, il ne reste qu’un peu plus de deux ans à tirer pour l’actuel président, et si l’effondrement économique, la cessation de paiement ou la mise sous tutelle pouvait intervenir après mai 2017, il aura tout gagné, ou, au moins, évité le pire pour sa petite personne.
Oh, c’est une hypothèse hardie, et qui impose évidemment que certains, à la tête de l’État, aient bien pris la mesure de la catastrophe à venir. Mais elle n’est pas, rigoureusement, impossible. D’ailleurs, les récentes demandes de Hollande pour obtenir un peu de mou de la part de la Commission rentrent bien dans ce cadre. Du reste, peu importe ce qui se passe en France : le tigre européen, aux dents et aux griffes limées, ne risque pas de poser des problèmes sérieux au pays. Merkel ronchonnera un peu, puis pliera, comme d’habitude.
Immobilisme ou pas, deux années décisives
Restent, bien sûr, les facteurs extérieurs, allant d’un krach boursier ou monétaire, à des tensions nationales (terrorisme, conflits sociaux violents) ou un ou plusieurs conflits ouverts, armés ou commerciaux, qui accroîtront évidemment la pression sur l’Exécutif français. Dans ce contexte, que Hollande opte pour l’hypothèse d’une réforme, même timide, des structures sociales et administratives françaises, ou qu’il préfère l’immobilisme, on se rend compte que le quinquennat vient, avec ce remaniement, d’entrer dans une phase décisive.
Mener une réforme de l’ampleur nécessaire pour redresser le pays, en deux ans, paraît herculéen, et les personnages pour la mener, lilliputiens. Le mot « impossible » vient à l’esprit. Quant à l’immobilisme, si terriblement dans les cordes de ces clowns, il apparaît en contraste si possible et si douillet qu’on a bien du mal à l’écarter aussi.