dimanche 3 juin 2012
L’euro est une aventure qui risque de s’achever tragiquement
Quand l’euro a commencé à être mis en
circulation sous sa forme fiduciaire, en janvier 2002, nous étions de
ceux qui étaient très sceptiques sur ses chances de survie.
Nous n’étions pas seuls : de nombreux
économistes partageaient ce diagnostic. Pourquoi ? Parce que la zone
euro regroupait des pays qui avaient des cultures différentes, des
systèmes politiques différents, des systèmes sociaux divergents et des
structures économiques très distinctes les uns des autres. Ce qui
séparait les pays de la zone euro les uns des autres ne nous semblait
pas susceptible d’être comblé. Les écarts nous paraissaient à même de se
creuser. La seule possibilité éventuelle d’éviter que les écarts se
creusent aurait été un renforcement du fédéralisme européen, et la mise
en place d’une forme d’union politique qui n’était pas à l’ordre du
jour, et que les peuples européens refusaient.
Ce qui devait se produire s’est produit.
Certains pays de la zone euro ont fait des gains de productivité
considérables, d’autres pas. Certains pays de la zone euro ont
restructuré leurs systèmes sociaux et leur appareil administratif de
façon à rendre le travail moins coûteux et le poids de l’Etat moins
lourd, d’autres ont stagné sur ces plans ou sont allés carrément dans le
direction inverse. Certains pays disposaient d’atouts industriels et
entrepreneuriaux importants et les ont fait fructifier, d’autres pays,
qui ne disposaient pas des mêmes atouts ont décroché, lentement d’abord,
puis de plus en plus vite.
Quand des disparités de ce genre
prennent place entre divers pays, la variable d’ajustement est en
général le taux de la monnaie, qui se réévalue quand un pays est très
dynamique, et se dévalue quand le pays est moins dynamique. L’euro
impliquant par définition un taux fixe, puisqu’il est la monnaie unique
de la zone euro, d’autres variables d’ajustement ont joué : les déficits
budgétaires et commerciaux, l’endettement, puis le chômage et
l’essoufflement de la croissance dans les pays prenant du retard.
Nous sommes arrivés au moment où
plusieurs de ces pays en retard sont confrontés à des difficultés de
paiement, en raison d’un endettement trop important, d’erreurs
d’investissement massives, de déficits suscitant l’inquiétude des
marchés financiers. Les pays concernés ont reçu des aides d’urgence et
se sont vus demander d’opérer des réformes drastiques. Celles-ci ont été
définis comme des « plans de rigueur ». La rigueur en question équivaut
à exiger d’eux qu’ils retrouvent des budgets en équilibre, ce qui passe
par des hausses d’impôts et de taxes et par une diminution des dépenses
publiques. Elle entraîne un chômage plus élevé encore, une croissance
nulle ou négative. A terme, la dévaluation qui n’a pu s’opérer par la
dévaluation de la monnaie est censé s’opérer par la baisse du pouvoir
d’achat et des salaires. Des spirales déflationnistes se trouvent
enclenchées qui ont conduit l’Irlande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne
et l’Italie au bord du gouffre.
Malgré la « rigueur » extrême, la Grèce
ne semble pas près de se relever et paraît plutôt s’approcher de la
banqueroute. L’Espagne paraît suivre le même chemin. On saura le 17 juin
si la Grèce prend le chemin d’un sortie de la zone euro : cette sortie
paraît difficilement évitable. Si la Grèce sort de la zone euro,
d’autres pays pourraient suivre. Un effet domino pourrait se trouver
enclenché, et la France elle-même pourrait être touchée.
Faut-il en déduire que l’euro va s’effondrer ?
La zone euro telle qu’elle fonctionne
aujourd’hui n’est pas viable. Les plans de rigueur requis pour tenter de
la rendre viable à nouveau impliqueraient des années de chômage élevé
et de croissance nulle ou négative dans tous les pays du sud de
l’Europe. Et, au vu des disparités qui se sont creusées, on peut même se
demander si les plans de rigueur pourraient finir par la rendre
effectivement viable.
Peut-on penser que les mesures de «
croissance » proposées par le nouveau gouvernement français sont
susceptibles de constituer un remède et pourraient être adoptées ? La
réponse est non dans les deux cas. Mutualiser les dettes par le biais d’
« eurobonds » équivaudrait à demander à l’Allemagne de payer
l’endettement supplémentaire de pays déjà surendettés. Demander à la
Banque Centrale Européenne de monétiser directement la dette des pays
les plus endettés, et de prendre des mesures inflationnistes, sera
refusé par les pays les mieux gérés, qui n’entendent pas payer par
l’inflation généralisée les sinistres subis par les pays moins bien
gérés et moins productifs.
Des mesures telles celles suggérées par
l’Allemagne et la Banque Centrale Européenne, en l’occurrence davantage
de flexibilité, et, de fait, davantage de rigueur encore, sont-elles
susceptibles d’être acceptées par les pays moins bien gérés et moins
productifs ? On peut en douter. Tout comme on peut douter que ces
mesures seraient suffisantes.
Dès lors ? Deux issues sont possibles.
Soit une union politique est imposée
quasiment de force aux pays de la zone euro, et les pays mieux gérés et
plus productifs acceptent quand même de se sacrifier, de payer et de
changer le statut de la Banque Centrale Européenne aux fins qu’elle
puisse faire de l’inflation. Et la zone euro survivra encore quelques
années, rongée de l’intérieur par ses dysfonctionnements.
Soit la zone euro éclatera. Plusieurs
pays retrouveront leur monnaie et devront la dévaluer. Ce qui aura des
répercussions sur toute l’économie de la planète et produira l’effet
domino tant redouté. Un euro pourra subsister qui sera la monnaie
commune des pays les mieux gérés et les plus productifs, avec
l’Allemagne comme puissance dominante. La France aura beaucoup de mal à
se maintenir dans la nouvelle zone euro, et, pour y parvenir, devrait de
toute urgence prendre des orientations très différentes de celles
énoncées par le nouveau gouvernement français. L’effet domino
pourrait-il faire qu’un banqueroute de la Grèce, puis de l’Espagne
conduise à une banqueroute de la France ? Ce n’est pas impossible. Cela
aurait alors des conséquences sur l’épargne, sur les pensions, sur les
salaires, sur les entreprises en France.
Des mouvements de l’épargne et des capitaux ont lieu depuis des semaines.
Des centaines de millions d’euros ont
quitté la Grèce et quittent l’Espagne en direction de l’Allemagne, des
Pays Bas, du Royaume Uni. Des mouvements du même type ne s’observent pas
en France aujourd’hui, ou pas au même degré. Ils pourraient venir.
Nous étions, voici dix ans, sceptiques
sur les chances de survie de l’euro. Nous nous attendions à ce que
l’euro soit une aventure qui tourne à la tragédie. Peut-on espérer
encore que le pire sera évité ? Nous aimerions pouvoir répondre
positivement.
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