On pourrait décider de laisser tomber, ne pas être otage de toutes les vulgarités. Mais quand un électeur sur cinq regarde vers ça, a-t-on le choix? Donc Marine Le Pen veut envoyer la flotte repousser les migrants clandestins hors de nos eaux territoriales. Elle l’a dit au Salon de l’agriculture, avec l’aplomb qui accompagne chacune de ses agressions. La Tunisie s’ébroue, la Libye brûle, des Africains ont faim, ils nous menacent! Gare à l’envahisseur loqueteux, qu’on l’arraisonne, qu’on l’envoie par le fond!
Au-delà du ridicule, ce sont des mots politiques et ils font sens. L’extrême droite a une histoire de traîtrise et de veulerie. Capitularde en 1940, sabordant la Royale en 1942 faute de l’avoir laissée combattre, putschiste en 1961, flattant Saddam Hussein en 1990… Mais revendiquant les valeurs militaires et navales pour couler ces Arabes ou ces Africains crève-la-misère, dont ne voulons pas. Il y a trente ans, Michel Rocard avait fait rire en proposant d’envoyer la flotte repêcher, dans la Baltique, les Polonais qui fuiraient le coup d’Etat de Jaruzeslki. Au moins Rocard avait la naïveté généreuse, quand Marine Le Pen invite au cynisme des brutes.
C’est un sentiment qui monte, ces temps-ci, sondage après sondage. Le FN n’invente rien et sa patronne manque d’imagination, se contentant de libérer le pire. L’héritière Le Pen abolit la décence et érode les scrupules. Elle transmute la laïcité en invite au racisme, malaxe la peur des autres, le dégoût de l’islam, et désormais l’illusion minable d’échapper aux brûlures du monde. Au moins nous sort-elle de l’hypocrisie : tout cela est en nous, dans nos conforts et nos oublis. La bataille navale lepéniste fait écho aux glapissements de l’Italie sur les migrants qui la submergent ; elle rappelle que la brute Kadhafi était le garde-chiourme de l’Europe, auxiliaire stipendié de la lutte contre l’immigration…
Cela existe. Notre logique. Le FN n’est pas hors la vie. On parle ces jours-ci d’un responsable CGT de Moselle suspendu par sa centrale pour cause de militantisme au FN. Le jeune homme, passé du NPA de Besancenot au frontisme au prétexte de la laïcité, intente un procès et se targue du soutien de sa base. Dans le même temps, les ultralibéraux de l’UMP font d’Eric Zemmour, condamné pour incitation à la discrimination, un parangon de la liberté d’expression, et la vedette d’un colloque, caractères gras sur l’invitation, vu à la télé… Zemmour fait de son verbe un pont entre l’UMP et le FN; il est politique et populaire, soutenu et suivi mais moins pour son intelligence que pour ses démagogies. Le fronto-cégétiste Fabien Engelmann n’est qu’un fils du peuple dévoyé parmi tant d’autres, et on imagine le désarroi de la CGT sur ce que révèle ce méchant camarade… Rien n’est idéal, ni l’épuration politique dans un syndicat, ni les procès qu’on intente aux journalistes. Mais il faut bien rappeler les principes, et qu’une vilenie reste, même amplement partagée ; et si les paroles sont libres, toutes ne se valent pas.
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