TOUT EST DIT

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dimanche 29 janvier 2012

Ô finance! Ô visages ennemis

Il fut un temps où la finance était utile. Aujourd'hui, cet «adversaire» aux multiples facettes est décrié. Un débat sérieux sur ce sujet sérieux est nécessaire.

La finance représentait 2% du PIB des Etats-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale, aujourd'hui, le chiffre est monté à 8%. Au Royaume-Uni, la City pèse 9% du PIB, contre 5% dans les années 1970. Concernant les profits, la progression est encore plus vive: le secteur financier est passé de 1,5% de l'ensemble des profits des firmes américaines en 1945, à 15% dans les années récentes. Multiplication par dix.
Est-ce justifié? La finance a-t-elle pris une place exagérée? Etouffe-t-elle l'économie réelle?
François Hollande a fait une réponse brutalement politique en désignant cette finance «sans nom et sans visage» comme son «véritable adversaire». Mais il n'est pas le seul. Nicolas Sarkozy a expliqué avant lui qu'elle «pervertissait» l'économie. Barack Obama a soutenu les Indignés de Wall Street; David Cameron limite les bonus et installe une régulation parmi les plus serrées au monde.
Jusqu'à la chute de Lehman Brothers, le principe de Schumpeter était communément admis: une bonne finance est favorable à la croissance. Elle permet les paiements, les transactions, elle transforme les dépôts courts des ménages en financements longs pour les entreprises, elle protège contre les fluctuations des cours et les aléas de la vie.

Pschitt Schumpeter

Dans l'univers d'après-guerre, quelques grandes banques suffisaient à alimenter les grandes firmes. Dans le monde innovant et mouvant d'aujourd'hui, il faut des marchés ouverts et réactifs et des couvertures plus élaborées des risques. La déréglementation a répondu à ce besoin: elle permet un vaste et complexe mouvement des capitaux dans le monde, l'épargne se mobilise au mieux. Les meilleurs marchés financiers américains étaient présentés comme une raison de l'avance des Etats-Unis sur l'Europe, en matière de productivité et d'innovation. Bref, grande finance égale grande croissance.
La crise a remis en cause ce paradigme libéral. Beaucoup d'auteurs contestent aujourd'hui l'utilité réelle d'un monde financier surdimentionné et instable (1). La finance couvre certes les risques, mais elle en crée d'autres qui sont, au bout du compte, plus importants.
Les crises financières se répètent depuis vingt ans et, à chaque fois, il a fallu que les contribuables viennent au secours des banques. D'abord en Amérique latine, puis en Asie, puis aujourd'hui dans le monde développé. Avec des coûts immenses dont la finance s'exonère. Elle bénéficie d'une garantie publique qui, en temps normal, lui offre des refinancements pas chers et qui, à intervalles accélérés, la pousse au crime.

Comment revenir à une finance utile?

D'autre part, ses mécanismes de couverture des risques n'ont pas permis de lisser les cycles, tout au contraire: la finance amplifie les fluctuations, comme on l'observe pour les matières premières. La finance, enfin, travaille pour elle-même en prélevant une part de la valeur toujours croissante, pour s'octroyer des bonus «outrageants», dixit Obama.
Comment revenir à une finance utile? La France se pose la question avec retard. Ailleurs, elle a déjà trouvé sa réponse. Le secteur a perdu depuis un an 120.000 emplois aux Etats-Unis et en Europe. Les revenus des traders sont cette année divisés sans doute par quatre et personne dans les salles de marchés n'entrevoit de retour aux années Ferrari.
La taille de la finance n'a pas encore été réduite de 2 points de PIB, comme le propose l'économiste Thierry Philippon, mais on en a pris le chemin. Etats-Unis et Grande-Bretagne ont adopté des lois de régulation (Dodd-Frank dès l'été 2010 et rapport Vickers en septembre 2011) qui visent précisément à répondre à toutes les critiques, à éviter de nouvelles crises mais à maintenir en même temps une innovation surveillée qui préserve les aspects positifs de la finance moderne.
On est loin de revenir à la banque «ennuyeuse» des années 1960, certes, mais les nouvelles régulations séparant banques d'investissement et banques de détail ne sont pas négligeables. Est-ce assez? Peut-être pas, mais la question est rendue difficile par la compétition mondiale: la City craint beaucoup de voir ses activités partir pour Singapour ou Hong Kong.
Et la France? Les banques françaises, qui estiment n'avoir pas fait de faute grave, voudraient ne pas avoir à payer pour les faillites des anglo-saxonnes. Les découper en deux leur ferait perdre leurs avantages compétitifs, disent-elles. Autrement dit, l'ennemi sans visage emploie beaucoup de personnes qui en ont un. Puisse donc un débat sérieux sur ce sujet sérieux s'ouvrir en France, sans complaisance mais sans effet de bouc-émissaire.



(1) «Why do we need a financial sector?» Wouter den Haan. Voxeu.org

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