Franchement, ce furent dix minutes d'épreuve. Un spectacle gênant pour le téléspectateur et dégradant pour le journalisme télévisé. Comment qualifier d'information digne et respectable l'interview laborieuse d'une femme de 87 ans dont l'œil brille encore des éclairs d'une intelligence sporadique mais dont l'esprit ne parvient manifestement plus à soutenir une réflexion continue ? Les coupes à la hache opérées au montage pour le 20 heures de TF1 ont peiné à masquer les évasions de la lucidité en fuite de Liliane Bettencourt. Ne restèrent derrière elles que les cailloux égarés d'une destinée évaporée dans les brumes impudiques de la vieillesse. Ce triste épisode d'un feuilleton d'État fait monter d'un degré supplémentaire la pression des médias sur une affaire que le pouvoir n'a cessé de minimiser. Le résultat de ce déni, c'est le triomphe de l'émotion sur l'information, de l'intuition sur l'investigation, du doute sur la vérité, et au final du soupçon sur toute autre analyse rationnelle. De là à mettre en accusation les réquisitoires prématurés d'une presse qui se prendrait pour la justice, il n'y a qu'un pas, franchi allègrement par les collègues défenseurs d'Éric Woerth. Les jours passent, en effet, et aucune preuve ne vient étayer l'hypothèse d'une corruption du ministre, fût-elle par omission. Le jeu de massacre des révélations distillées au compte-gouttes est peu ragoûtant, mais l'amalgame prospère sur une vraie culpabilité de celui qui s'amusait il n'y a pas si longtemps d'avoir une mine d'expert-comptable. Le voilà qui doit payer pour les mauvais calculs d'une communication gouvernementale dépassée par une étonnante candeur. Comment continuer d'affirmer avec aplomb que le cumul des fonctions de ministre du budget et de trésorier du parti majoritaire ne pose aucun problème, quand l'ambiguïté relève du bon sens le plus élémentaire ? Comment invoquer sérieusement la liberté des femmes pour continuer de justifier le droit de Florence Woerth à gérer les biens de la femme la plus fortunée de France, quand un tel choix professionnel fait naturellement désordre quand on est l'épouse d'un ministre du budget ? Si le scandale prend une telle ampleur, c'est parce qu'il dénonce l'arrogance d'un début de quinquennat où ces petits détails pouvaient apparaître bien dérisoires aux yeux d'une équipe triomphante. Négliger la valeur que ces peccadilles avaient prise avec la crise a été une erreur lourde de conséquence. L'attentisme du président de la République et du premier ministre qui peinent à en tirer les conséquences - sereinement, simplement, mais immédiatement - pourrait en être une autre. On ne parie pas sans danger sur la lassitude d'une opinion définitivement passionnelle.
Olivier Picard
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