Après l'Allemagne, c'est au tour de la France d'instaurer une taxe bancaire visant à prévenir le risque d'une éventuelle faillite. Quels sont ses contours ?
Les banques vont être mises à contribution à hauteur de 1 milliard d'euros. Il y a d'abord la taxe bancaire qui s'appliquera à compter de l'année prochaine à une vingtaine de banques, établissements de crédits et entreprises d'investissement. Elle abondera le budget de l'Etat, à hauteur de 504 millions d'euros l'an prochain, de 555 millions en 2012 et de 810 millions dès 2013. Assise sur les actifs risqués, elle gonflera à mesure que s'accroissent les exigences en fonds propres prévues par le comité de Bâle. Elle frappera les banques françaises, au titre de leur activité internationale, mais aussi les banques étrangères, au titre de leur activité française. Le principe est clair : plus une banque prendra de risques, plus elle sera taxée. Des accords sont en cours de négociation pour éviter la double imposition d'entreprises qui seraient frappées à Paris et à Londres, au titre des mêmes actifs.
C'est une bonne nouvelle pour le budget de l'Etat puisqu'il récupérera le produit de la taxe…
Ne nous trompons pas sur l'objectif : ce n'est pas une mesure de rendement, mais un projet pour inciter les établissements financiers à contrôler leur prise de risque. Ce n'est pas une mesure punitive.
La taxe sera-t-elle déductible de l'impôt sur les sociétés ?
Comme toutes les charges, elle sera effectivement déductible.
Le montant de la taxe peut sembler modeste au regard de la fourchette évoquée au printemps (entre 300 et 1 milliard d'euros)…
Il faut avoir une vision globale : outre la taxe bancaire, j'ai décidé d'accroître la participation des établissements financiers au fond de garantie des dépôts, à hauteur de 90 millions d'euros supplémentaires en 2011, 2012, puis 2013, soit 270 millions en tout. Un arrêté sera publié en ce sens dans les jours qui viennent. Objectif : financer le relèvement de 70.000 à 100.000 euros du montant garanti pour chaque déposant à compter du 1er janvier 2011. A cette occasion, j'ai décidé de réduire de 2 mois à 20 jours le délai entre la demande de prise en charge d'un déposant et le versement d'argent effectif par le fonds de garantie. Par ailleurs, la contribution pour frais de contrôle, qui contraint les banques à assumer les frais de leur propre supervision, représentera un prélèvement supplémentaire de 125 millions d'euros. En 2013, c'est donc plus d'1 milliard d'euros de recettes supplémentaires qui seront prélevés auprès des banques. Ce n'est pas rien ! Mais le but n'est pas non plus d'étrangler les banques.
Comment justifier le fait que la taxe française rapporte moins que l'allemande ?
Le gouvernement allemand anticipe un produit de l'ordre de 1,5 milliard d'euros à l'horizon 2013. Nous tablons sur 1 milliard d'euros en comptabilisant les trois taxes précitées. Or, l'industrie bancaire allemande pèse 1,5 fois plus que la nôtre. L'effort est donc proportionnellement le même. J'ajoute que l'Allemagne a consacré l'équivalent de 5% de son PIB à son plan de sauvetage des banques pendant la crise, contre 1,1% de PIB pour la France. Et que les banques allemandes n'ont à ce stade remboursé qu'une faible part, alors que leurs homologues françaises en ont remboursé les trois quarts.
Le rendement de la taxe britannique serait de 2 milliards de livres…
Par rapport au poids du secteur financier, nous sommes là encore largement en ligne.
La taxe bancaire frappera-t-elle les hedge funds ?
Non et d'ailleurs ni les Anglais ni les Allemands ne les soumettent à la taxe. La régulation des hedge funds est un sujet épineux en soi puisque la directive AIFM (alternative investment fund managers) qui était bien partie pour être adoptée au printemps sur la proposition espagnole est pour l'instant bloquée. Les Britanniques ont plaidé pour que les fonds off-shore bénéficient du passeport européen, ce à quoi nous étions opposés avec une large majorité de pays européens. Maintenant, le texte proposé par les Belges accepte le passeport européen pour les fonds off-shore. La situation est donc délicate mais nous espérons encore faire valoir nos vues pour une adoption de la directive _ absolument nécessaire par ailleurs _ avant la fin de l'année.
Nicolas Sarkozy est favorable à une taxe sur les transactions financières pour financer le développement. Comment est-elle censée s'articuler avec les nouveaux prélèvements que vous venez d'évoquer ?
C'est une problématique tout à fait différente. Avec l'Allemagne, nous plaidons pour des financements innovants visant à soutenir le développement et l'écologie. Les Britanniques et les Américains sont plus réticents. J'espère avancer à l'occasion du G20 de Séoul.
Parmi les sujets bancaires encore en suspens figure la question des établissements systémiques. Etes-vous favorable à une surcharge en fonds propres pour les banques reconnues systémiques ?
Il faut considérer toutes les options possibles sur ce dossier. Mais par principe, il me semble qu'ajouter une nouvelle couche de fonds propres à certains établissements n'est pas la panacée absolue. Une autre option consiste à mettre en place des mécanismes de résolution des crises qui permettent de gérer les difficultés d'un établissement de grande taille sans mettre en péril tout le système bancaire. C'est une voie qui n'est pas encore défrichée et à propos de laquelle j'ai demandé à Jean-François Lepetit un rapport dans la perspective du G20 de Séoul. Une troisième piste enfin est de renforcer d'une manière très rigoureuse voire inquisitoriale les pouvoirs des régulateurs en matière de supervision des établissements considérés comme systémiques. Je pencherais plutôt pour ces deux dernières options.
En matière de bonus, quels sont les enseignements du rapport que vous avez commandé à Michel Camdessus l'an dernier ?
Le rapport en tant que tel n'est pas terminé car Michel Camdessus souhaite encore évaluer l'impact des mesures déjà prises sur l'éventuelle mobilité des équipes de traders dans les banques. Mais il a déjà dressé une série de recommandations qui seront utiles dans le cadre du futur G20 et des travaux du Conseil de stabilité financière. Cela m'a déjà conduit à prendre deux mesures. D'abord, je vais intégrer un nouvel amendement au projet de loi régulation bancaire et financière qui doit passer en deuxième lecture au sénat la semaine prochaine : pour prolonger l'action de Michel Camdessus, je vais confier à l'Autorité de contrôle prudentiel la mission de surveiller la bonne application des règles liées à la rémunération dans les banques. Par ailleurs, j'ai demandé au Conseil de stabilité financière de nous remettre un rapport chaque année au premier semestre faisant le point sur les pratiques dans les différents pays et facilitant la comparaison. Celui d'avril dernier concluait à une application plus stricte des règles sur les bonus dans les pays d'Europe continentale que dans les pays anglo-saxons. Il sera intéressant de voir comment les choses évoluent.
Compte tenu du calendrier d'application de Bâle 3, croyez-vous toujours au risque de ralentissement du financement de l'économie par les banques ?
Avec un ratio de fonds propres de base de 7 % à l'horizon 2019, les banques ne devraient plus utiliser cet argument contre la réforme prudentielle.
Craignez-vous toujours que les Américains n'appliquent pas Bâle 3 ?
Avec toute la pression que nous exerçons, je doute qu'ils aient le choix.
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