Longeant
l’autre soir la Seine à hauteur des Invalides, je tournai comme
d’habitude mon regard vers ce joyau du classicisme français. Trois
objets volumineux d’une laideur ostentatoire s’exhibaient devant
l’esplanade : une sorte de King Kong d’un rouge agressif, un bouquet
d’asperges aux pointes barbouillées de fluo et une voiture dont la clé,
plus grande que le véhicule, s’étalait à même le sol.
Les mânes de Napoléon ont dû trouver la plaisanterie saumâtre. Il
s’agissait de cet “art contemporain” qui s’expose à la Fiac et dont se
gargarisent les gogos branchés. Qu’est-ce que l’“art contemporain” ? La
mise en forme d’une notion, d’une provocation, d’une dérision, d’une
malice, d’un paradoxe. Les objets ainsi “créés” relèvent d’une
subjectivité totale, n’ont entre eux aucune parenté et n’entretiennent
pas le moindre lien avec l’histoire de l’art occidental, fût-ce avec
ses ultimes avatars, Pollock, De Kooning, Niemeyer, Rothko, de Staël,
Brancusi. Des objets isolés donc, arbitraires et improbables, qui
peuvent faire sourire ou grincer des dents, mais ne rendent aucun écho à
l’héritage fastueux qui a modelé les contours de notre esthétique. Ce
n’est pas forcément méprisable, ça reflète sûrement un état de la
psyché contemporaine.
On a le droit de la trouver mal en point, et de préférer aller voir
Hopper au Grand Palais ou l’expo de Raphaël au Louvre. On a le droit de
récuser le mythe “moderne” selon lequel toute expression artistique
est acte de rupture.
Les grands créateurs occidentaux ont inscrit leur indéniable dissidence sur une trame esthétique.
Tous, même Van Gogh ou Gauguin. Même Picasso. La remarque vaut pour
les poètes (Hölderlin, Whitman, Rimbaud), les philosophes (Nietzsche,
Lichtenberg, Heidegger), les musiciens (Wagner, Mahler). La rupture n’a
de sens qu’en référence à ce qu’elle désavoue, partiellement ou
radicalement. Or, tout ayant été broyé dans la matrice d’une course à
l’audace de plus en plus infanile et insignifiante, la notion même
d’acte esthétique agonise. Rideau sur l’histoire de l’art. Reste un
marché, florissant, semble-t-il. Tant mieux pour les spéculateurs,
exemptés de l’ISF par les socialistes. Reste aussi, grâce au ciel, un
patrimoine qui ne demande qu’à réenchanter les âmes orphelines.
Il faut un comble de maladresse pour blesser conjointement les gaullistes et les pieds-noirs. Ce
comble, Hollande l’a dépassé avec cet accès de repentance vis-à-vis
des Algériens qui, sur le sol français, en pleine guerre et en toute
illégalité, ont manifesté à l’injonction du FLN. Quoi qu’on pense de
cette guerre, et sans nier la violence de la répression policière, on
n’a pas le droit d’oublier que des appelés français étaient alors au feu
face aux soldats du FLN. Cette seule circonstance aurait justifié que
Hollande s’abstînt d’un mea culpa sur le dos de la France. Mitterrand,
dont il revendique l’héritage, ne s’y serait pas risqué. Il est vrai
qu’en matière de répression anti-FLN, son bilan de ministre de
l’Intérieur fut éloquent. Soyons équitables : Hollande n’a pas inventé
cette manie de débusquer dans notre histoire nationale de quoi nous
disqualifier moralement. Il ne fait qu’en rajouter une couche. Une de
trop. Avec quoi riment ces postures peccamineuses ? Pourquoi cette pente
à rabâcher aux Français que leur pays fut esclavagiste au XVIIIe
siècle, colonialiste au XIXe, collabo en 1940 et tortionnaire en Algérie
?
Aucun peuple ne peut tolérer longtemps d’être ainsi dévalué par ses
élites politiques ou intellectuelles. De ces salissures infligées à la
mémoire collective, il ne peut résulter au mieux qu’un dégoût, au pire
une colère dont feront les frais les fourriers d’un nihilisme
insupportable. On ne voit pas d’autre mot pour qualifier cette
entreprise de démoralisation au long cours, en une période où le
patriotisme aurait besoin de bon grain à moudre et non d’ivraie. En tant
que Français “normal”, coupable de rien et banalement amoureux de mon
pays, j’en ai ma claque des repentances publiques, des lois dites
mémorielles, des surenchères dans la victimisation. Du temps où la
gauche avait du coeur au ventre, ses “hussards noirs” exaltaient la
fierté d’être français et forgeaient une mythologie ad hoc. Avec sa
façon sado-maso d’entretenir la honte de soi, la gauche contemporaine
envoie par le fond le meilleur de son propre héritage.
jeudi 25 octobre 2012
Rompre pour rompre
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire