vendredi 17 août 2012
Liban : La Syrie lance son plan B
Beyrouth, le 16 août 2012, 9 h 30. – L’arrestation de l’agent
syrien, l’ancien ministre et ancien député Michel Samaha n’a pas fait
imploser la scène libanaise. Au contraire. Pendant quelques jours nous
avons eu comme une union sacrée (!) autour de la stabilité et de la
sécurité nationale. Dans son édition datée du 15 août, notre confrère de
l’Orient-Le Jour révélait que Damas avait donné ordre à ses
troupes de libérer Samaha « à n’importe quel prix ». Mais l’ordre était
double. Samaha n’ayant pas réussi à mettre le pays à feu et à sang en
créant des heurts intercommunautaires, on passe au plan B.
Les prémices de ce plan nous ont été servies par un uléma salafiste
de Tripoli (nord) qui a directement attaqué le Saint-Père. Cheikh Bakri a
exigé du pape des « excuses », sans quoi il pouvait faire son deuil de
sa visite au Liban. Nous n’avons pas compris pourquoi il exige des
excuses, et encore moins à quel propos. Peu importe : l’information qui
est très vite passée à la trappe des actualités n’a retenu l’attention
de personne. Nous étions occupés ailleurs et nous savons tous que Bakri,
cheikh sunnite salafiste de Tripoli, est la voix de son maître. Et son
maître est le Hezbollah dont il est l’homme des basses œuvres au
nord-Liban. N’empêche : cela prouve une chose, que Damas et ses inféodés
n’ont pas renoncé à vouloir empêcher la visite de Benoit XVI au Liban comme ils n’ont pas renoncé à allumer une guerre confessionnelle au Liban.
Nous étions occupés ailleurs par une autre milice du Hezbollah.
D’abord les faits. Un certain Hassan Moqdad est fait prisonnier par l’Armée Syrienne Libre (ASL) en Syrie les armes à la main, alors qu’il se battait au sein des milices gouvernementales. L’ASL
découvre très vite que Moqdad est une grosse huile du Hezbollah.
Pendant 48 heures rien ne bouge à Beyrouth, hormis un communiqué du
Hezbollah affirmant que Moqdad n’est pas membre du parti. Soudain, au
milieu du calme plat du 15 août, le « bras armé » du clan des Moqdad
enlève dans la Banlieue-Sud de Beyrouth près de trente Syriens dont des
membres de l’ALS qu’ils sont allés arracher de leurs lits d’hôpitaux dans diverses régions du pays. Et le grand jeu nous est servi.
Route de l’aéroport coupée dans les deux sens, les vols à l’arrivée
ont été détournés sur Chypre et la Jordanie, conférence de presse avec
la mise en scène de rigueur : prisonniers reconnaissants tout ce que
leurs geôliers leur dictaient… Jusqu’à ce que le porte-parole du clan
annonce qu’un ultimatum de 48 heures est donné à l’ALS
pour qu’elle libère Hassan Moqdad et qu’au terme du délai des
ressortissants turcs, qataris, émiratis et saoudiens seront enlevés.
Nous étions encore bien loin des 48 heures quand un Turc a été
effectivement enlevé.
L’Arabie Saoudite, le Koweit, les Emirats-Arabes-Unis, le Qatar et
Bahreïn ont appelé leurs ressortissants à quitter « immédiatement » le
pays. Mais comment ? La route de l’aéroport était bloquée. On ne pouvait
hier passer qu’à pied avec ses valises en traversant le mur de pneus en
feu. Mais il y a pour ces ressortissants un autre problème.
Il y a quelques semaines nous avions rapporté l’enlèvement de 11
Chiites libanais « en pèlerinage » aux lieux saints chiites en Syrie.
Ils n’ont toujours pas été rendus à leurs familles malgré tous les
efforts de la Turquie, de Saad Hariri en personne et des Saoudiens. Ils
ont été localisés dans la ville de Azaz entre Alep et la frontière avec
la Turquie. Azaz est depuis quelques jours un quartier général de l’ALS
et tient pour la révolution la route de la Turquie. Les forces du
régime semblaient jusqu’à hier avoir pris acte de cette situation et
nous n’avions plus noté d’accrochages ou de combats autour de Azaz ou
pour la reprise de Azaz.
Mercredi, l’aviation syrienne bombarde Azaz avec une violence
méthodique qui ne laisse aucune chance à la population. Bilan : des
dizaines de morts (80 ?) et des dizaines de blessés. Immédiatement les
médias qui gravitent autour du régime syrien ou qui lui sont acquis
annoncent la mort des 11 Chiites libanais. Et c’est l’embrasement.
Les familles vont rejoindre le clan Moqdad pour couper la route de
l’aéroport et d’autres au passage et menacent dans chacun de leurs
communiqués : la personne de Saad Hariri, la communauté sunnite
libanaise, la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite ? Ces derniers pays
conseillent vivement à leurs ressortissants d’éviter à tout moment la
route de l’aéroport.
Les annonces – preuve à l’appui – affirmant dans un premier temps
que seuls 4 otages sont portés disparus, puis jeudi matin, que les 11
sont en sécurité en Turquie n’y ont rien fait. La tension demeure et
l’unique exigence des familles est le retour des onze. Les « preuves de
vie » ne suffisant plus à calmer leur colère. Preuve que le Hezbollah a
changé de tactique.
Qui est le clan Moqtad ? Pilier du Hezbollah, il regroupe 17 000
personnes et un bras armé – il faut les avoir vus ! – à la mesure de
leur nombre. Si on compte parmi eux quelques familles sunnites ou même
grecques orthodoxes, ils sont presque tous Chiites et Hezbollah.
Il est 10 heures à Beyrouth ce jeudi matin où j’écris, et la route
de l’aéroport est « momentanément » ouverte comme nous ont prévenus et
les Moqtad et les familles des pèlerins. Les vols d’Air France détournés
mercredi étaient attendus en début d’après-midi à Beyrouth. Mais nul ne
savait si à ce moment-là la route serait toujours ouverte.
Dans la Békaa, le principal axe routier qui commande l’axe au
Liban-sud (chiite) était coupé par des familles sunnites ripostant à la
fermeture de la route de l’aéroport.
Tout cela nous promet de beaux jours. Mercredi soir j’ai trouvé un supermarché ouvert et j’ai fait le plein. Comme mon voisin.
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