vendredi 17 août 2012
L’Église se mêle de ce qui la regarde
L'appel à la prière du cardinal André
Vingt-Trois à l'occasion de l'Assomption contre l'ouverture du mariage
civil à tous les couples a créé une polémique. Les opposants à cette
prière pensent que l'Église n'a pas à prendre position dans les débats
publics. L’Église serait-elle la seule institution en France à laquelle
on puisse dénier le droit de s’exprimer ?
C’est certes répondre par un titre facile à un autre indigent mais, si le Huffington Post et Caroline Mécary
ont choisi de placer ainsi le débat au ras des pâquerettes, c’est à
n’en pas douter par crainte de perdre l’attention des lecteurs. Je m’en
voudrais de faire l’inverse. « De quoi l’Eglise se mêle-t-elle ? », voilà qui dit abruptement ce que d’autres sous-entendent.
Et
Caroline Mécary ne hausse pas non plus le niveau dans l’opposition à
l’Eglise et à sa liberté d’opinion et de parole. Il n’y a guère plus de
quatre ans, Yves de Kerdrel, éditorialiste au Figaro, tenait un discours approchant
et relevait lui-même, pour s’en féliciter que, trente ans plus tôt,
l’amiral de Joybert avait vigoureusement renvoyé les évêques à leurs
sacristies, alors qu’ils avaient eu le front de s’élever contre la
prolifération nucléaire. Qu’ils s’occupent plutôt de remplir leurs
églises au lieu de se mêler des choses de la Cité !
La
contributrice du Huffington Post n’a donc pas eu à chercher bien loin
pour nous gratifier de ce développement indigent. Avant, pour faire
bonne mesure, de rappeler la complicité de l’Eglise avec les crimes de
l’esclavage, son silence face au nazisme et, to top it all, la capote,
voilà qu’elle fulmine :
« nous ne sommes plus
au XIXème siècle et l’Eglise devrait davantage s’occuper de la crise de
confiance qu’elle traverse, plutôt que d’entériner des choix d’un autre
âge ».
On notera en passant qu’une fois encore l’argument du temps est central : l’Eglise devrait se conformer à l’opinion du moment. Voilà qui lui assurerait la popularité. Seulement, l’Eglise
est comme ça, amoureuse de l’intemporel et probablement la dernière à
ne pas laisser aller ses positions au gré des enquêtes d’opinion.
Mais
ne nous attardons pas trop sur Caroline Mécary. On le sait : tout ce
qui est excessif est insignifiant. Et la violence du propos traduit
suffisamment l’allergie de la dame à la contradiction, tout comme son
souci de mettre à bas l’autorité morale que, finalement, elle reconnaît
en creux à l’Eglise (puisqu’elle ne se consacrerait pas à l’abattre,
dans le cas contraire). Cette violence contraste d’ailleurs vivement
avec la mesure avec laquelle ont été composées les intentions de prière concernées. Chacun jugera :
1.
En ces temps de crise économique, beaucoup de nos concitoyens sont
victimes de restrictions diverses et voient l’avenir avec inquiétude ;
prions pour celles et ceux qui ont des pouvoirs de décision dans ce
domaine et demandons à Dieu qu’il nous rende plus généreux encore dans
la solidarité avec nos semblables. 2. Pour celles et ceux qui
on été récemment élus pour légiférer et gouverner ; que leur sens du
bien commun de la société l’emporte sur les requêtes particulières et
qu’ils aient la force de suivre les indications de leur conscience. 3.
Pour les familles ; que leur attente légitime d’un soutien de la
société ne soit pas déçue ; que leurs membres se soutiennent avec
fidélité et tendresse tout au long de leur existence, particulièrement
dans les moments douloureux. Que l’engagement des époux l’un envers
l’autre et envers leurs enfants soient un signe de la fidélité de
l’amour. 4. Pour les enfants et les jeunes ; que tous nous
aidions chacun à découvrir son propre chemin pour progresser vers le
bonheur ; qu’ils cessent d’être les objets des désirs et des conflits
des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une
mère.
Non, le plus instructif est bien la permanence du
propos, de l’amiral de Joybert à Caroline Mécary, en passant, à un degré
moindre, par Yves de Kerdrel.
Une fois encore, on constate que l’Eglise
est la seule institution et même la seule personne (morale) en France à
laquelle on puisse dénier le droit de s’exprimer : elle devrait gérer l’affluence à ses messes et se cantonner au Salut de ses fidèles. Point barre.
D’autres
le disent plus posément mais, en rappelant le caractère laïc de la
République française, ou en composant une prière républicaine, ils
signifient d’une certaine manière que la parole de l’Eglise serait
illégitime.
Prolifération nucléaire, travail dominical, roms, mariage et adoption homosexuels… L’Eglise ne devrait pas s’en soucier.
C’est passer à côté du christianisme, et de la foi en général.
Que serait donc la foi si elle ne se traduisait pas au quotidien ? Que
serait un croyant qui se contenterait d’assister à la messe le dimanche
sans que sa foi n’ait la moindre incidence sur son quotidien ?
Combien de fois Jésus fustige-t-il ceux qui se bornent au respect
formel de la Loi et croient s’être acquittés de leur devoir par quelques
ablutions (quelques Notre Père, aujourd’hui) ? Je crois entendre
Jacques Brel fustiger les bourgeois qui se pressent à l’église pour
oublier aussitôt toute charité. Et, Brel mis à part, combien en ai-je
entendu critiquer ces catholiques hypocrites qui, sortant de la messe,
seraient les plus belles vipères ?! « Ah, ça se dit catho et puis… »
On
ne peut pas être catholique et indifférent au sort de l’autre. On ne
peut pas être catholique et considérer que, tant que cela ne nous touche
pas nous-même et notre famille, nous ne sommes pas concernés. Oui, un
catholique et l’Eglise en général sont solidaires des hommes et femmes
avec lesquels ils vivent. Ils sont solidaires de la société et du pays
dans lequel ils sont établis, dont ils sont citoyens (même si, soit dit
en passant, leur fidélité dernière va à Dieu et non aux lois temporelles
– et temporaires : quand bien même la laïcité interdirait aux
catholiques de s’exprimer en tant que tels, ce qui n’est heureusement
pas le cas, ils seraient fichus de ne pas s’y tenir). Alors ils se
préoccupent de la marche du monde et leur foi irrigue leurs positions de
citoyens, comme leurs convictions philosophiques et morales irriguent
les positions des autres citoyens. De la même manière, et aussi
légitimement.
C’est aussi ce qui conduit l’Eglise,
après s’être efforcée de discerner la position conforme, à intervenir
pour la paix, pour les pauvres, pour les faibles. Cela fait d’ailleurs
généralement consensus (on en veut pour preuve l’absence de réaction aux
autres intentions de la même prière universelle, alors qu’ils ne sont
pas moins intrusifs dans la vie de nos concitoyens), mais que le propos
se fasse plus concret et, au lieu d’en débattre, on intimera aux
catholiques de se taire. Il ne paraît pourtant pas objectivement
insoutenable de penser qu’il est de l’intérêt des plus faibles d’entre
nous, les enfants, d’être préservés des expérimentations sociales des
adultes, et de bénéficier d’un père et d’une mère.
De cela, on peut débattre – n’en déplaise à ceux qui
voudraient faire passer ce choix fondamental sans discussion. Il se
trouve d’ailleurs que l’Eglise semble être la dernière à ne pas céder
sous la terrible menace de la « ringardisation » (elle est certainement
immunisée). Mais, de grâce, que l’on ne nous sorte plus l’argument
sournois de la crise de l’Eglise, ni même la laïcité, pour tenter de
museler les catholiques.
Au final, puisque de
Joybert à Mécary, pour les sujets les plus divers, on utilise le même
argument, on aura bien compris la réalité du problème : des divergences de fond et non une question de laïcité.
Que les adversaires ou contradicteurs de l’Eglise aient donc le courage
et l’honnêteté de se porter sur le terrain des idées au lieu de lui
dénier le droit de s’exprimer.
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