TOUT EST DIT

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mardi 15 mai 2012

Passation de pouvoir : ce protocole républicain qui organise un sacre très monarchique du Président élu

François Hollande recevra ce mardi de la part de Nicolas Sarkozy les attributs du pouvoir. Sans le savoir, en traversant la cour de l'Elysée, il renouera avec l’antique tradition des souverains qui traversaient la bonne ville de Reims dans le précieux carrosse du sacre. Car le protocole de la passation de pouvoir fait la part belle aux symboles, qui renvoient aussi loin que Clovis.
Constitué d’un ensemble de règles normatives consacrées par l’usage ou par les convenances diplomatiques, le protocole favorise l’exercice harmonieux des mœurs observés dans la société, et plus encore dans ceux de la sphère du pouvoir, en introduisant, dans la manière de paraître ou de s’exprimer, par une habile palette de nuances, une commode et objective reconnaissance dans l’appréciation d’autrui.
En ce domaine, l’étiquette de l’Ancien régime était arrivée à un degré de perfection comme aime à le souligner, dans une formule admirable, Madame de Genlis, sollicitée en cela par Napoléon Ier lui-même : L’esprit social du temps où j’ai vécu dans le monde n’était nullement de confondre dans la société les rangs et les personnes, mais de ne faire ces distinctions que par des nuances délicates et par des moyens ingénieux, qui, par conséquent, n’eussent rien de tranchant et de choquant pour qui que ce fut.
A l’aune de cette grande tradition française, accorder sans dissonance les droits étendus de la souveraineté du nouveau chef d’Etat, François Hollande, avec la dignité du président sortant, Nicolas Sarkozy, telle apparaît la visée recherchée dans la cérémonie de passation des pouvoirs organisée ce matin au palais de l’Elysée.
Toutefois convient-il, avant d’examiner le déroulement et le sens des événements prévus, de rappeler que l’exercice de la souveraineté, appartenant au peuple en démocratie, s’exprime selon une double distinction héritée de la pensée hellénistique (à laquelle l’Occident sera toujours redevable indépendamment de l’actuelle crise économique) dissociant l’autorité du pouvoir : l’autorité, faculté déléguée dans notre cas par la voie élective à son titulaire ; le pouvoir, capacité gagnée par ce dernier à l’issue de son combat victorieux dans l’arène politique.
Dans le langage des symboles et des signes, cette double acception est traduite par deux postures différentes : le titulaire de l’autorité est depuis toujours et dans toutes les civilisations un personnage assis manifestant une stabilité propre à cette fonction, tandis que le titulaire du pouvoir adopte une stature levée, plus chancelante, propre à celle du vainqueur ayant terrassé son ennemi.
Quelles qu’en soient les formes et la nature, le siège est donc l’attribut de l’autorité, tandis que la couronne ou le sceptre sont réservés au pouvoir.
En arrivant ce matin dans la cour de l’Elysée, seul et sans vis à vis, assis dans sa limousine présidentielle du côté droit, François Hollande renoue sans le savoir avec l’antique tradition des souverains qui traversaient la bonne ville de Reims dans le précieux carrosse du sacre manifestant de la sorte l’autorité dont les successeurs de Clovis allaient être investis par l’onction qu’ils y venaient recevoir. Dans quelques instants, Nicolas Sarkozy quittera l’Elysée dans le même appareil emprunt du même symbolisme.
L’accueil puis la reconduction du président sortant sur le perron de l’Elysée réunit, sans qu’il puisse en être autrement, des personnages debout. Cependant on notera que le protagoniste le plus important reste, au moins théoriquement, toujours au-dessus des marches de la terrasse. Aller à la rencontre de l’arrivant ou accompagner le visiteur sortant serait un geste de courtoisie qui ne serait pas à exclure de la part du personnage principal. Mais cette « entorse » au protocole devrait alors être comprise comme une marque supplémentaire de déférence envers la personnalité de rang inférieur. Le privilège d’une telle occupation de l’espace est une prérogative du détenteur de l’autorité remontant aux temps les plus immémoriaux. Elle se rattache aux autres distinctions accordées à son titulaire dont le siège (trône, chaire, fauteuil présidentiel), toujours surélevé du niveau du sol, trouve place sur un gradin constitué de plusieurs marches, voire au sommet d’une colonne, symbolisant le pivot autour duquel l’univers gravite, comme en Inde ou en Afrique noire. Cette référence explique également la présence du grand tapis rouge déroulé sur le gravier devant les portes du palais.
La couleur rouge étant l’apanage des empereurs porphyrogénètes, l’existence de cet élément protocolaire cherche à matérialiser un principe de transcendance dans le mode de dévolution de l’autorité. Cette forme, observée tant chez les Incas ou encore dans certains royaumes d’Afrique centrale, est respectée aussi en Occident comme le montre, par exemple, l’épisode de l’entrée du Christ à Jérusalem le jour des Rameaux. Investi par une puissance céleste, le titulaire de l’autorité ne peut s’affranchir de cette lourde réalité. Certains interdits s’imposent à lui. Il ne saurait s’y soustraire sans déroger. Parmi ceux-ci, l’un des plus répandus ne permet pas au représentant des forces du ciel de fouler directement le sol dans la mesure où, en public, il doit toujours apparaître placé au-dessus de ses semblables. Lors de ses déplacements, lorsqu’il est contraint de descendre de son siège portatif, des nattes, de précieuses étoffes, des tapis sont alors déployés devant ses pas pour prévenir tout contact avec la glèbe sur laquelle évolue le reste des humains. Descendant de sa voiture, François Hollande foulera donc seul le tapis rouge qui l’attend pour aller à la rencontre de Nicolas Sarkozy, le chef du protocole de la présidence avançant à sa droite et légèrement en avant, mais marchant à l’extérieur du tapis.
Le discours d’investiture qui se tient ensuite dans la vaste Salle des Fêtes témoigne quant à elle d’une profonde rupture avec les usages monarchiques puisque le président s’exprime debout. Par bonheur, l’évolution protocolaire n’a pas encore totalement ruiné, dans cette circonstance, toute référence à l’autorité du nouveau chef de l’Etat puisque son auditoire se trouve dans la même posture. Ainsi chacun de ces deux groupes (orateur et auditoire) se montre à égalité, … égalité toutefois un peu atténuée puisque le pupitre qui supporte le micro est placé sur un léger podium qui surélève l’orateur apparaissant dès lors comme un Primus inter pares.
Un rituel chevaleresque vient ensuite atténuer cette première impression par la remise du grand collier de la Légion d’honneur (qu’il ne portera sans doute pas comme ses derniers prédécesseurs) par le grand Chancelier. Le geste est des plus emblématiques et consacre en quelque sorte l’adoubement du chef de l’Etat qui devient à cet instant également chanoine honoraire du Latran et co-prince de la principauté d’Andorre. François Hollande a probablement saisi tout le sens et la signification de cette cérémonie divisée en deux temps puisque ce « rituel de passage » se tiendra en l’absence des membres de sa famille, comme le veut l’antique tradition médiévale, et seulement en présence d’un parterre de hautes personnalités de l’Etat, du monde politique et diplomatique… ses anciens pairs.
Avec la remontée des Champs-Elysées, les fastes d’antan sont retrouvés. La Garde républicaine et l’escadron motorisé de gendarmerie encadrent le « siège tracté » par des chevaux moteurs de l’autorité présidentielle. Comment ne pas voir dans cette parade républicaine la reprise des Joyeuses entrées des souverains dans leur capitale, effectuées primitivement par la rue Saint-Denis, puis au début du XVIIIe siècle… par l’avenue même des Champs-Elysées. Notons cependant une notable divergence : alors que les badauds d’aujourd’hui sont tenus à distance par un impressionnant cordon de sécurité, sous l’Ancien régime, la foule se presse à la porte du carrosse royal dont les glaces son baissées pour permettre de remettre au souverain placets et requêtes ; les plus éloignés des spectateurs ayant suspendu leur pétition au bout d’un bâton, d’où l’expression tendre la perche !
Mais la réelle « intronisation » de François Hollande aura lieu seulement le 14 juillet prochain.
Chef des Armées, le représentant du pouvoir descendra alors, debout dans une jeep, l’avenue qu’il avait remontée le 15 mai. Ayant ainsi passé les troupes en revue, arrivé place de la Concorde, il gravira un vaste gradin de plusieurs marches et prendra place, sous un large dais tricolore, dans le fauteuil présidentiel créé spécialement par l’ébéniste Christophe Pillet vers 2005. 
Ainsi, la présence de ce siège, aux dimensions plus grandes que ceux qui l’entourent, isolé sur le devant de l’estrade, perpétuera une fois encore l’ancienne étiquette bourbonienne relative au siège royal et à ses occupants !
La modestie revendiquée par François Hollande pour apparaître comme « le président normal » que les Français attendraient, pourra-t-elle s’accommoder des fastes dont, bon gré mal gré, il est aujourd’hui héritier ?



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