Les Français peuvent choisir. Se débarrasser de leur souverain ou le conforter sur son trône. Les options qui s’offrent à eux sont nombreuses, du régime parlementaire à la monarchie constitutionnelle.
Pour Alain Laquièze, professeur de droit public à l’université Sorbonne nouvelle, l’élection présidentielle de 2012 donne l’occasion de revenir à un exercice plus modéré de la présidence:
«La pratique du pouvoir est liée à la personnalité et à la pratique des individus qui occupent des fonctions importantes. La Constitution permet des dérives monarchiques, tout comme elle autorise une pratique plus parlementaire, plus modeste, de la présidence. C’est ce que François Hollande a annoncé en assurant que le Premier ministre conduirait la politique de la nation ».Le chercheur, auteur de la note «La Ve République, une monarchie élective en question», pense que pour rééquilibrer les pouvoirs, il n’est nul besoin de réformer la constitution, considérant que le cadre actuel est assez large pour permettre des ajustements:
«La France n’a pas la culture anglo-saxonne de l’équilibre et de la balance des pouvoirs. Changer d’institutions peut conduire d’un extrême à l’autre, c’est un risque. Je ne veux pas dire que les institutions actuelles sont excellentes, mais c’est sans doute les moins mauvaises qu’on puisse avoir pour notre pays, surtout qu’elles ont suffisamment de souplesse pour être amendées en fonction des personnes au pouvoir», estime-t-il. Avant de reconnaître que, «mises à part les périodes de cohabitation, la Ve République a un caractère intrinsèquement monarchique».Il faudrait donc espérer que le président élu décide de ne pas abuser de ses pouvoirs et/ou que le parti présidentiel soit minoritaire à l’Assemblée pour que le chef de l’Etat se cantonne à son rôle d’arbitre.
Vers une VIe République ?
Mais pour certains responsables politiques, compter sur le bon vouloir du Président et sur le résultat des élections législatives n’est pas suffisant. Afin d’empêcher toute dérive monarchique, ils préconisent donc de réécrire la Constitution. C’est ce que proposait Europe Écologie-Les Verts, ou encore le Front de gauche, qui a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes à la Bastille le 18 mars pour sa «marche pour la VIe République».Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de Gauche, déplore la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul, inhérente au régime actuel et qui ne garantit pas pour autant la stabilité de l’exécutif. «Cette instabilité est masquée par la permanence d’un seul. En réalité, 80% du gouvernement a changé depuis le début du quinquennat», rappelait-il sur BFMTV le jour de son rassemblement.
Pendant la primaire socialiste — et avant—, Arnaud Montebourg prônait également le passage à une VIe République, moins présidentielle, plus parlementaire. Il proposait notamment d’introduire une dose de proportionnelle aux élections législatives, ce qui mettrait à mal le bipartisme actuel. «La proportionnelle réduit la probabilité de majorité homogène», confirme Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire et membre du comité de campagne de François Bayrou.
Ce mode de scrutin favorise en effet la présence de petits partis à l’Assemblée nationale et diminue la possibilité pour le Président de bénéficier d’une majorité parlementaire. Et sans contrôle sur le Parlement, les marges de manœuvre présidentielles sont drastiquement réduites.
Pour autant, introduire une part de proportionnelle ne suffira pas à débarrasser le régime de ses atours monarchiques. «Nous sommes dans une monarchie élective car le président a une légitimité populaire issue du suffrage universel direct, qui lui donne un grand nombre de prérogatives. C’est la culture politique française qui veut ça. Le génie du général de Gaulle est d’avoir acclimaté des institutions monarchiques dans un système républicain, et cela correspond sans doute assez bien à l’esprit français», juge Alain Laquièze.
«La fascination des Français pour le Grand Homme», le sauveur ultime, serait à l’origine du «rapport ambigu des Français avec la démocratie», considère Sudhir Hazareesingh, politologue à l’université Oxford. Pour lui, l’année 2008 a marqué «un retour en force du bonapartisme dans la culture politique française, avec notamment un président de la République qui ne cesse de rappeler la tradition napoléonienne par sa conception et sa pratique du pouvoir».
Et c’est l’élection présidentielle qui permet au président de revêtir les habits de l’empereur. Toute modification de la Constitution serait donc inutile sans suppression de ce scrutin. «Je n’ai rien contre l’idée d’une VIe République en soi, mais si elle n’est pas accompagnée de la suppression de l’élection présidentielle, il n'y a aucune chance sérieuse de passer à un régime parlementaire classique», juge Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’université de Nanterre.
Supprimer l’élection présidentielle pour rendre le régime plus démocratique? L’idée peut surprendre, et les défenseurs actuels de la VIe République se gardent bien de la proclamer ouvertement. En effet, il paraît compliqué de faire accepter aux Français une suppression du scrutin qui suscite le plus d’engouement et qu’ils considèrent comme la pierre angulaire de notre démocratie.
«On peut regretter les dérives monarchiques de la Ve République, estime Alain Laquièze, mais elles existent et il faut prendre en compte ce qui fait l’originalité de notre pays. Je vois mal les Français ne plus élire leur président. C’est toujours compliqué de retirer au peuple une prérogative qu’on lui a accordé, ce serait supprimer un élément de démocratie».
Pourtant, le seul moyen de décapiter le président-monarque est de lui retirer ce qui fait l’essentiel de son pouvoir : l’élection présidentielle.
Faire du Président un roi
Mais les réformes constitutionnelles peuvent aussi déboucher sur un régime encore plus monarchique. Dans un rapport remis à Nicolas Sarkozy en vue de la réforme constitutionnelle de 2008, Édouard Balladur, ancien Premier ministre de François Mitterrand, préconisait de renforcer les pouvoirs actuels du Président. Il proposait d’officialiser sa toute-puissance. Cette mesure aurait eu le mérite de conformer la loi aux faits, à défaut du contraire.Pourtant, Nicolas Sarkozy n’a pas retenu cette proposition dans la réforme finale. Paradoxale pour celui qui a poussé l’hyperprésidence à son paroxysme. Plutôt que de légitimer son statut par la Constitution, il a préféré entretenir l’illusion démocratique qui entoure la pratique présidentielle actuelle.
Pourtant, Balladur aurait pu aller plus loin. Au vu de la nostalgie française pour la royauté, faire de notre pays une monarchie constitutionnelle n’est pas une option si loufoque qu’il n’y paraît, bien qu’elle soit hautement improbable au vu du peu de popularité des royalistes dans les urnes.
Un retour à la monarchie est d’ailleurs envisagé par certains, au premier titre desquels Jean-Pierre Chauvin, surnommé la «rock star» du royalisme. Il explique que «dans le cadre de la démocratie représentative actuelle, plusieurs voies sont possibles pour l’instauration royale ». Et le site royaliste, royaumedefrance.fr, de s’étonner: «140 millions d’européens vivent en monarchie, pourquoi pas nous ?»!
D’ailleurs, deux descendants au trône de France (Louis de Bourbon et Henry d’Orléans) bataillent pour accéder au trône, au cas où la monarchie reviendrait au goût du jour. Mais la royauté n’est pas forcément absolue, ni héréditaire, et les Français peuvent décider –par voie référendaire ou via une réforme constitutionnelle- d’instaurer une monarchie constitutionnelle, élective avec un souverain élu à vie ou pour une période déterminée. Cette option permettrait d’accéder une certaine stabilité à la tête de l’exécutif.
Pour Jean-Pierre Chauvin, elle s’inscrirait dans «la continuité, l’aboutissement logique de la Cinquième République». Le rêve du général de Gaulle, qui voulait un chef d’État au dessus des partis, se réaliserait, sauf que ce chef d’État ne serait pas un président, mais un roi.
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