dimanche 6 mai 2012
Exorcismes
La gauche détient majoritairement le pouvoir dans les conseils généraux, et,
si l’on excepte l’Alsace, totalement dans les conseils régionaux. Elle
s’enracine dans le monde rural, où, de plus en plus souvent, les maires
sont des retraités de la fonction publique.
Donc de son bord. Par le fait de cette mainmise sur les collectivités
territoriales, elle contrôle désormais le Sénat. Elle règne à peu près
sans partage sur l’école (y compris la conception des manuels),
l’Université, les médias (y compris les écoles de journalisme), la
magistrature et les syndicats, comme en témoignent les prises de
position explicites (CGT) ou implicites (CFDT, FO) des patrons des
centrales. Les milieux intellos et artistiques lui sont acquis et elle a
soigneusement noyauté les grands corps de l’État. C’est elle qui
décrète les modes, impose les termes des débats publics et décerne les
brevets de respectabilité. Son influence est également dominante dans le
maillage associatif. Si, dimanche, Sarkozy est battu par Hollande, elle
siégera à l’Élysée, avec en prime vraisemblable une copieuse majorité à
l’Assemblée nationale. Ça fera beaucoup de pouvoirs pour un nombre
somme toute restreint de partisans, dans un pays où l’on ne s’encarte
guère.
Son emprise sur la société française ne sera certes pas de facture totalitaire ni même dictatoriale : n’imitons
pas ses sectateurs dans le registre outré des diabolisations. Ses
pulsions idéologiques et sa pente à édicter la loi morale promettent
toutefois une chape de béton bien armé sur l’esprit gouailleur et
frondeur qui reste un de nos apanages culturels. La police du langage va
sévir. Le cosmopolitisme, le multiculturalisme et l’androgynat vont
accéder à la majesté d’articles de la foi “progressiste”. Le sens de
l’altérité, de l’altitude, de la gratuité, de la fantaisie, de
l’harmonie, du panache, de la mé moire, voire le sens de l’humour, ne
seront pas à la noce. On va énormément s’ennuyer sous la férule d’un
cléricalisme rosâtre et verdâtre, avec des reflets rou geoyants pour
complaire au robespierrisme de Mélenchon. La gauche va nous ruiner sous
la morphine de l’assistanat et nous sermonner de surcroît : il va
falloir se planquer pour rigoler à son aise. Son omnipotence sera
d’autant plus paradoxale que son dogme a du plomb dans l’aile ; jamais
peut-être depuis la Libération, en tout cas depuis Mai 68, le pays n’a
autant aspiré dans ses profondeurs à le répudier.
Son manichéisme se focalise exclusivement sur la personne de Sarkozy. Peu
d’électeurs de Hollande désirent une vraie dose de socialisme à la
Aubry ou d’écologie à la Joly. Ce scrutin n’est pas un choix politique
mais une manière de catharsis dont Sarkozy fait les frais. Le cocu ?
C’est Sarko qui lui a filouté son épouse. Le bossu ? C’est Sarko qui lui
a planté sa bosse sur le dos. Le chômeur ? C’est Sarko qui lui a
subtilisé son job. Le dépressif ? Le laissé-pour-compte ? Le malade ?
L’alcoolo ? C’est Sarko, ce diable à mille fourches sans les maléfices
duquel nous serions tous jeunes, beaux, cousus d’or et fringants. Pour
un peu, on nous ferait gober qu’il a embusqué une servante africaine
dans un Sofitel de New York aux fins inavouables d’éreinter un
concurrent potentiel. Pour un peu, on nous convaincrait qu’au Fouquet’s,
seuls ses copains vont se sustenter. Ses copains ? Tous des coquins
dorés sur tranche. Exutoire d’une crise que l’on s’évertue à minimiser,
bouc émissaire d’un malaise à la fois mental, moral et social qui
remonte aux années Mitterrand, Sarko n’est plus un politique passible de
critiques raisonnées mais l’incarnation du Malin. Sacrifions-le avec
l’antique rituel rouge et noir – et nous serons sauvés !
Il y a quelque chose de puéril, et quelque chose de barbare aussi,
dans cette entreprise d’exorcisme collectif. Personne n’y croit
vraiment, mais on fait semblant, ça soulage. Si Sarkozy est battu
dimanche, l’euphorie sera brève, car ce diable de circonstance n’est pas
le revers d’un quelconque bon Dieu : sans lui, toute la théologie
“progressiste” s’effondrera et ses clercs démaquillés avéreront leur
tartufferie. Peut-on encore espérer que les électeurs de Marine Le Pen,
de Bayrou et de Dupont-Aignan, relayés par des abstentionnistes,
s’aviseront qu’en refilant à la gauche le peu de pouvoir qui lui
manquait encore, ils se préparent des lendemains pour le moins
tristounets ? L’espérance étant une vertu théologale, j’ai envie de
faire crédit à leur lucidité.
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