dimanche 6 mai 2012
Quand la gauche croit régler les maux de la société française avec des mots
Le triomphe de capitalisme sur le fond
d’idéologies de gauche : comment ne pas comparer notre situation avec
celle de la Chine dite "populaire" ? Dans les deux cas, les mots ont été
entièrement vidés de leur sens : au temps de Mao Tsé-toung, le pouvoir
ouvrier ne signifiait pas nécessairement celui des vrais ouvriers,
c’était plutôt celui des cadres du parti, mais sûrement pas celui des
capitalistes que l’on avait fusillés ou envoyés en camp de rééducation.
Aujourd’hui, le pouvoir chinois se dit toujours ouvrier et revendique
toujours le marxisme léninisme ; il a gardé, quoi qu’on dise, plusieurs
traits du communisme : monopole du parti, hostilité au fait religieux ,
militarisation par exemple, mais nous savons que ce pouvoir est en fait
celui du grand capital chinois, que, sous le couvert d’une idéologie
d’extrême-gauche, il organise une exploitation éhontée des travailleurs
laissant loin derrière elle le Manchester du XIXe siècle.
Cette évolution explique l’éloignement de la gauche et du peuple. Du
temps où le socialisme représentait vraiment un contre-pouvoir
populaire, il amenait avec lui, quand il était aux affaires, des
avancées sociales qui étaient des réalités, pas de chimères.
Les congés payés, les assurances sociales étaient des réalités. Quand
Guy Mollet, peut-être le dernier socialiste français authentique,
instaure le minimum vieillesse ou prend des mesures décisives pour
démocratiser l’enseignent secondaire et supérieur (IPES, bourses) ou, il
ne joue pas avec les symboles mais il traite des réalités : vingt ans
après, cette démocratisation a considérablement avancé. Les mots lui
sont si indifférents qu’il remplace en 1956 l’"allocation de salaire
unique", conçue par le régime de Vichy, par une "allocation de la mère
au foyer" à l’assise plus large (oui, nous avons bien dit Pétain : salaire unique ; Mollet : mère au foyer, une évolution sémantique impensable aujourd’hui) [1].
La mise en place en 1983 de l’allocation parentale d’éducation est sans
doute la dernière mesure de cette veine : une mesure utile hors de
toute considération idéologique ; elle se trouve aujourd’hui, qui s’en
étonnera, contestée par le mouvement féministe qui y voit, à tort, un
encouragement au maintien de la mère au foyer.
Le mondialisme interdisant tout projet social
d’envergure, les socialistes en sont dramatiquement réduits à jouer
avec les symboles. Il y a dans les sections socialistes, des
mots chargés positivement, d’autres négativement. Plus rien de réfléchi
là, seulement des réflexes pavloviens issus d’une idéologie fatiguée.
Ces charges sont bien connues : banlieues : + ; homosexualité : + ;
famille : -, monde rural : -, méthodes pédagogiques +, immigration : +,
armée : -, police : -, catholicisme : -, islam + , nucléaire : -,
nouvelles énergies : +, bio : + ; formation : +, apprentissage : - etc. La valeur de certains mots a changé au cours du temps : la défense des langues régionales était portée au début du XXe siècle
par les "Félibriges", proches de l’Action française, l’homosexualité au
temps de Proust paraissait l’apanage d’une aristocratie décadente, ce
sont aujourd’hui des "marqueurs" de gauche particulièrement forts !
Le travail fut longtemps la valeur de gauche, la valeur ouvrière par
excellence ; dans la gauche bobo qui rêve de la fin du travail, le mot
est devenu suspect. La laïcité était à gauche autant qu’il s’agissait de
combattre l’Église catholique ; elle vire à droite dès lors qu’elle
s’oppose aux prétentions de l’islam.
Quelles
peuvent être les réalités derrière ces mots ? Cela n’a aucune
importance. Il y a longtemps qu’au parti socialiste on a cessé de penser
aux problèmes réels. Celui qui maîtrisera les mots n’aura aucun mal à faire son chemin dans le parti.
Dès lors que le programme socialiste est l’œuvre de comités, d’un
travail collectif - et dans toute démarche collective, c’est le
conformisme qui prévaut -, il n’est pas difficile de deviner ce qui en
sortira : une combinatoire de symboles sans rapport avec les vrais
problèmes.
Cette situation explique le caractère
affligeant du programme de François Hollande : que ses arêtes saillantes
soient une augmentation, sans doute irréalisable, des postes
d’enseignants, le mariage homosexuel, les emplois-jeunes (association de
mots magique, pur produit de communication dont il ne sort généralement
rien), la remise en cause du quotient familial – pourtant voté par
toute la gauche à la Libération mais déjà écorné en 1981, l’intégration
de la charte des langues régionales à la constitution, tout cela
n’étonnera personne. Une fois la charge des mots entrée dans la machine,
un ordinateur aurait pu bâtir le programme socialiste !
Et
malheur aux membres de ce parti qui rompraient avec cette sémantique !
Quand Ségolène Royal (un des rares esprits libres qui y subsiste)
proposa d’impliquer l’armée dans les banlieues, elle jouait certes elle
aussi sur les symboles : l’armée est symbole de discipline mais tout à
fait inadaptée à ce genre de mission ; elle désignait cependant un vrai
problème, connu du vrai peuple : il y a bien un problème de banlieues et
c’est largement une affaire de discipline, scolaire pour commencer.
Évoquant un vrai problème et utilisant les mauvais mots, elle s’est
trouvée assez vite marginalisée par le parti socialiste. Se rattraper en
distribuant un kit contraception dans les lycées de Poitou-Charentes
(là aussi la valeur des symboles !) ne suffit pas à la réhabiliter.
L’empire que les mots ont pris au parti
socialiste explique que presque toutes les réformes qu’il a engagées au
cours des trente dernières années aient été mauvaises ou aient eu des
effets pervers. La vraie politique consiste à résoudre les
problèmes qui se posent et, si possible, à ne pas toucher à ce qui
marche. La politique idéologique, qui se paye de mots, crée des
problèmes là où il n’y en avait pas. Problèmes : les réformes purement
idéologiques, comme la volonté de fusionner des communes, l’application
de principes absolus comme la médecine gratuite (génératrice d’abus et
de frustrations dès lors que les petits salariés n’en bénéficient pas),
la concurrence pure et parfaite, y compris dans les services publics, ou
la libre circulation des hommes (idées venues de Bruxelles et pas
particulièrement socialistes à l’origine, certes, mais où le socialiste
Jacques Delors joua un rôle clef), le maintien du tronc commun au
collège, demain une euthanasie que l’on imposera au corps médical
pourtant très satisfait du juste équilibre trouvé avec la loi Léonetti.
Que
le programme socialiste ne prenne en compte pratiquement aucune des
préoccupations profondes des Français, telles que nous les évoquions en
commençant, qui s’en étonnerait ?
Au lieu
d’emboîter le pas de cette pensée mythologique, la droite ferait bien
entendu mieux de prendre résolument le parti des réalités. Et si ces
réalités, comme il arrive parfois, échappent à toute réforme, qu’elle
n’en fasse pas ! Il vaut mieux ne rien faire qu’aggraver le mal. Primum non nocere - d’abord ne pas nuire – était la première règle d’Hippocrate.
On
dira que dans la lutte entre les mythes et les réalités, c’est souvent
le mythe qui l’emporte, mais ceux du parti socialiste sont aujourd’hui
si éculés que de moins en moins de Français, heureusement, y croient
encore. Ils devraient le montrer bientôt.
[1]
On peut aussi noter que, à la différence de ses successeurs
socialistes, Guy Mollet entreprit, de concert avec Anthony Eden, sn
homologue britannique, l’Angleterre, une guerre au Proche-Orient, la
guerre de Suez, sans l’aval des États-Unis. Même si cette guerre tourna
court, elle contraste singulièrement avec la situation actuelle où les
gouvernements européens n’oseraient même pas envoyer un émissaire dans
cette région sans l’aval de Washington.
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