dimanche 6 mai 2012
Un président normal ?
La définition du normal dans le domaine
de la psychologie se décline selon plusieurs axes, aucun d’entre eux ne
donnant satisfaction. On est normal parce qu’ordinaire, commun, usuel :
c’est la définition statistique qui ramène la normalité à la moyenne au
risque de la médiocrité...
Normal, François Hollande ? Et en face : fou, tout-fou… ou simplement moins hypocrite ?
« L’idée
d’un homme normal est un mythe semblable au mythe nazi » affirmait
Merleau-Ponty. La question de la normalité est restée jusqu’à présent à
l’écart des débats présidentiels. Mais puisque le sujet est à la mode,
qu’on me permette d’en souligner les risques. Les professionnels de la
santé mentale font preuve d’une grande prudence vis à vis de cette
notion – qu’ils évitent, soit dit en passant, d’aborder dans les
manuels. Mieux vaut laisser planer un doute et donner à chacun la
liberté de créer ses propres normes plutôt que de fixer arbitrairement
les critères d’une « normalité » contraignante. Au fond, n’est-ce pas
s’interrogeant sur soi-même et sur ses propres normes que l’on a le plus
de chance d’être « normal » ? Qui, d’ailleurs, se sent vraiment
normal ? Lorsque j’ai posé cette question à un amphithéâtre d’une
centaine d’étudiants, seuls trois doigts se sont levés…
La
normalité est aussi insaisissable que le mouvement de la vie. Tout
organisme vit en créant un milieu qui lui convient : du simple
protozoaire à l’être humain, la vie se manifeste comme cette aptitude à
transformer son monde de façon créative pour parvenir à y survivre et
s’y développer. Cela suppose d’échapper aux normes imposées par le
milieu – d’être ainsi, en quelque sorte, « anormal », c’est à dire
capable d’élaborer ses propres normes. C’est pourquoi celui qui croit
détenir la normalité est dangereux. Il risque d’imposer sans recul
critique sa conception personnelle de la norme. D’où la mise en garde de
Merleau-Ponty.
En pratique, la définition
du normal dans le domaine de la psychologie se décline selon plusieurs
axes, aucun d’entre eux ne donnant satisfaction. On est normal
parce qu’ordinaire, commun, usuel : c’est la définition statistique qui
ramène la normalité à la moyenne au risque de la médiocrité. On peut
aussi être normal par rapport à un fonctionnement psychique optimum :
gare en ce cas à l’idéalisation. Freud lui-même signalait le danger de
vouloir à tout prix faire un enfant « normal ». On peut enfin être
normal parce qu’on n’est pas fou : reste alors à définir la folie. Les
batailles d’experts autour des tribunaux démontrent combien ce point,
quand il n’est pas flagrant, demeure sujet à caution.
Nul
doute que si l’on fait aujourd’hui de la normalité une vertu, c’est
parce qu’on y voit le contraire d’une certaine folie. Le monde est
devenu fou : il a perdu ses règles d’autrefois, il est « déréglé ».
Malheureusement, face à ce dérèglement, rien de pire que le repli sur
une prétendue normalité protectrice. C’est précisément le moment où il
faut inventer de nouvelles normes, prendre le risque de l’anormalité.
Car être normal, au fond, c’est ne pas avoir peur de l’anormal : c’est
être capable d’affronter la folie en gardant confiance dans ses
ressources. C’est ne pas craindre d’être un peu fou.
Quelque
soit son président, la France devrait vite retrouver le goût de cette
normalité-là, celle qui se nourrit du mouvement et du changement, sans
se laisser griser par le sourire bienveillant d’un chef. Un bon sourire
n’est pas synonyme de normalité mais d’heureuse adaptation sociale. Et
quelques tics ne sont pas davantage synonymes de folie.
Peut-on
d’ailleurs être « normal » quand on veut être président ? Au sens
statistique du terme, la réponse est clairement négative : qu’on nous
préserve d’un chef ordinaire, surtout par temps de crise !
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