Près d’un Français sur trois s’apprêterait à bouder les urnes le 22 avril. Pourquoi ? Avec quelles conséquences ?
« Si l’abstention est forte, tous les sondages seront démentis. Je ne sais pas alors quel sera l’ordre d’arrivée…
» Cette confidence, lâchée par François Hollande à La Réunion, aurait
tout aussi bien pu sortir de la bouche de Nicolas Sarkozy. Mais aussi de
Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou François Bayrou. Après les
épisodes “Marine Le Pen assurée d’être au second tour” (printemps 2011),
“Hollande le déjà élu” (hiver 2011-2012), “Bayrou 2, le remake de 2007”
(janvier 2012), “Sarkozy le ressuscité” (depuis un mois) et “Mélenchon
jusqu’où ? ” (lire notre dossier page 10), voici venir une
nouvelle séquence concernant, cette fois, tous les candidats : la
crainte d’une non-participation record à un premier tour de
présidentielle. À moins de vingt jours du scrutin, près d’un Français
sur trois (32 %) s’apprêterait en effet, selon l’Ifop, à bouder les
urnes : du jamais-vu sous la Ve République ! Et la promesse, redevenue
possible, d’un grand “chamboule-tout” le 22 avril…
Voilà plusieurs semaines que divers indicateurs l’annonçaient. «
Au lieu de progresser dans la dernière ligne droite, comme c’est
toujours le cas, l’intérêt des Français pour cette campagne a au
contraire diminué », relève d’abord Jérôme Fourquet, directeur du
département opinion de l’Ifop. Autre signal : alors que Sarkozy et
Hollande pointent largement en tête des sondages de premier tour, les
électeurs ne sont que 43 %, selon le même institut, à souhaiter ce
face-à-face, contre 53 % – dix points de plus ! – qui préféreraient un
autre cas de figure (et 4 % qui ne se prononcent pas).
Il n’est pas jusqu’aux audiences des émissions politiques télévisées
(17,4 % en moyenne contre 25 % en 2007) qui ne témoignent du désintérêt
(relatif) des Français pour cette campagne. Il en va de même pour la
diffusion des quotidiens nationaux, qui – excepté le Figaro – ont vu leurs ventes régresser en ce début d’année alors qu’elles avaient augmenté il y a cinq ans.
Pourquoi cette désaffection ? Là encore, comme les signaux, les explications sont multiples. «
La présidentielle de 2007 (83,8 % de participation) n’a été qu’une
“parenthèse enchantée” dans un climat général de progression de
l’abstention, témoigne encore Jérôme Fourquet. Dès le mois
suivant, aux législatives, la participation avait déjà baissé de 20
points. Puis tous les autres scrutins du quinquennat (municipales,
européennes, régionales et cantonales) ont été mar qués par une
abstention record sous la Ve République. » Bref, le “sursaut
civique” tant célébré du précédent scrutin – avec une participation
équivalente à celle de… 1974 – n’était qu’un trompe-l’oeil ! Il y a cinq
ans, nous sortions d’un cycle (les douze années de présidence Chirac),
les deux principaux candidats se présentaient pour la première fois et
les Français, optimistes, avaient envie de croire aux promesses des
politiques : c’est tout le contraire aujourd’hui !
Circonstance aggravante : le peu d’enthousiasme suscité par les
candidats eux-mêmes. Aucun n’émerge réellement. Décryptage signé Pascal
Perrineau, le directeur du Cevipof (Centre d’étude de la vie politique
française, le centre de recherche de Sciences Po) : « À gauche, la
procédure des primaires puis la sélection claire de Hollande avaient
créé une grande attente. Elle est un peu déçue et laisse la place au
vote protestataire pour Mélenchon. À droite, Sarkozy est engoncé dans
son bilan de président sortant et Bayrou donne l’impression d’être seul
et un peu usé. » Quant à Marine Le Pen, ajoute Jérôme Fourquet, « elle pâtit notamment de son absence de dynamique dans les sondages, ce qui peut démobiliser une partie de ses électeurs ».
Alors que la plupart des candidats semblaient monter en puissance en
2007, ils apparaissent aujourd’hui essoufflés. Simplement répétitifs. Et
d’autant moins convaincants qu’avec la crise, les Français ne croient
plus guère dans leur capacité à changer les choses : quel que soit le
candidat élu, neuf sur dix s’attendent ainsi à une baisse de leur
pouvoir d’achat au cours des prochaines années !
Une campagne de chiffres, de petites phrases et de pronostics
Outre le calendrier (les deux tours tombent au milieu des
vacances de printemps), la campagne est enfin jugée décevante, très en
dessous de ses devancières, dans son déroulement et ses débats (ou
plutôt ses non-débats). Si encore elle était distrayante, mais ce n’est
même pas le cas ! Trop de forme, pas assez de fond ; successivement
bataille de chiffres, de petites phrases, puis de pronostics : cette
présidentielle, comme l’a crûment dit Daniel Cohn-Bendit « emm… » les Français. « C’est une campagne qui ressemble à une oeuvre de Jackson Pollock [peintre américain réputé incompréhensible, NDLR]. Quand on la regarde, on ne sait pas comment la saisir », commente drôlement Édouard Lecerf, le directeur général de TNS Sofres.
Mélange de colère (“Tous des nuls !”) et de résignation (“À quoi bon ?
”), l’abstention record prévue pour le 22 avril touche, comme
d’habitude, plus fortement les jeunes (41 % des moins de 35 ans) et les
catégories populaires (54 % des ouvriers). Est-ce à dire que le PS et le
Front national seront les premières victimes de ce phénomène ? C’est ce
que l’on espère à l’UMP, ultramajoritaire chez les plus âgés, qui sont
aussi les plus participatifs (25 % seulement d’abstention chez les 50-64
ans). Pas si simple pourtant. Certes, la gauche a été absente des deux
seconds tours des scrutins ayant connu les plus forts taux d’abstention
(1969 et 2002). Reste, comme le remarque Jérôme Fourquet, que «
lorsqu’on regarde notre étude dans le détail, les sympathisants UMP (27
%) sont encore plus nombreux que ceux du PS (23 %) à prévoir de
s’abstenir ». Parmi les grands partis, c’est bien chez les
sympathisants FN que l’on compte le plus d’électeurs tentés de bouder
les urnes (37 %). Pour autant, le précédent record d’abstention sous la
Ve République (28,4 %) est loin de l’avoir desservi : c’était le 21
avril 2002…
Si les instituts de sondage tentent de prendre en compte les
abstentionnistes, tous les états-majors le savent : une
“non-participation” a (presque) toujours des conséquences insoupçonnées.
Qu’une fraction de l’électorat, simplement, se déplace, et c’est
l’ensemble des lignes qui peut bouger. En 2002, seules 200 000 voix
séparaient Le Pen de Jospin. Les deux favoris ne l’ignorent pas : il n’y
a jamais loin entre attitude de résignation et vote de protestation –
en faveur du candidat du Front de gauche d’un côté, de la présidente du
FN de l’autre. Un signe qui ne trompe pas de l’inquiétude qui grandit :
le site de campagne de Hollande affiche depuis quelques jours une page
spéciale consacrée au vote par procuration. Celui de Sarkozy fera de
même dans quelques jours. Arnaud Folch
vendredi 6 avril 2012
Les pièges de l’abstention
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