Si Nicolas Sarkozy est battu au soir du 6 mai, la presse pourrait bien se trouver orpheline. Le président sortant a été une aubaine pour elle, tout particulièrement pour les journaux d'opposition.
En 2011, le quotidien Libération, qui a multiplié les "unes" militantes, a sans doute profité d'un effet Sarkozy. Sa diffusion a augmenté de 5,35% (OJD, diffusion France
payée) et ses ventes au numéro de 2,12%. De janvier à mars 2012, dans
un marché de la presse quotidienne nationale très déprimé (-7,6 % en
ventes au numéro), Libé a limité les dégâts avec une baisse de 5%.
Pendant la même période, Le Figaro, qui affiche un soutien
sans faille au président sortant, chute seulement de 3,7 %. Tout se
passe comme si la période électorale donnait une prime aux quotidiens
les plus engagés politiquement.
Une règle souvent évoquée dans la presse veut que rien ne vaut une cure d'opposition pour doper les ventes. Inversement, un soutien trop marqué au pouvoir en place ferait perdre des lecteurs. L'élection de François Hollande et l'arrivée de la gauche au pouvoir pourraient donc plonger
dans l'embarras de nombreux journaux ou sites d'information de gauche,
qui passeraient, du jour au lendemain, de l'opposition à la majorité.
"C'est toujours inconfortable d'être un journal proche du pouvoir, témoigne Maurice Szafran, directeur de Marianne.
Encore plus pour plus les journaux de gauche. Les journaux de droite
assument plus facilement leur proximité avec le gouvernement. "
De nombreux journalistes ont encore en mémoire la déconfiture du Matin de Paris, après l'élection de François Mitterrand en 1981. Fondé par Claude Perdriel en 1977, le journal affichait très nettement sa proximité avec le Parti socialiste. Sa bienveillance à l'égard du pouvoir,
y compris après le tournant de la rigueur en 1983, conduisit à une
érosion de ses ventes qui fut fatale. De 120 000 exemplaires en 1980, il
tomba à 80 000 en 1985 et déposa le bilan en mai 1987.
A la même époque, Le Monde vit sa diffusion baisser, dans une moindre mesure, ses lecteurs lui reprochant son soutien trop affirmé à François Mitterrand. Sa diffusion est passée de 430 000 exemplaires en 1981 à 335 000 en 1985. "Nos lecteurs de gauche nous ont quittés pour Libération, ceux de droite pour les journaux économiques comme Les Echos", se souvient Thomas Ferenczi, ancien journaliste au Monde. Les ventes sont remontées par la suite, sous l'effet des "affaires" comme celle du Rainbow Warrior, révélées par le quotidien du soir à partir de 1985.
A contrario, Le Figaro, journal d'opposition, a connu une hausse de ses ventes et gagné près de 100 000 acheteurs entre 1980 et 1990. Il est vrai qu'au cours de ces années, le journal de Robert Hersant a été dopé par la création de ses suppléments du week-end, Le Figaro magazine (1978), Madame Figaro (1980), TV Magazine (1987). Mais ceux-ci ne suffisent pas à expliquer un tel succès. Le quotidien conservateur a clairement bénéficié de son opposition au pouvoir socialiste.
Les rédacteurs en chef s'interrogent déjà sur la manière dont ils devront "couvrir" l'actualité politique en cas de victoire du candidat socialiste le 6 mai. "C'est une vraie question, déclare Pierre Haski, directeur du site Rue89. Ce sera évidemment plus difficile. Ce qui nous sauve, c'est que nous n'avons pas chez nous de journalistes politiques issus du sérail. Par conséquent, notre traitement est plus décalé."
Le Libération des années 1980 offre l'exemple de ce que pourrait être un journal de gauche manifestant un soutien critique au pouvoir en place, tout en développant ses ventes. Le quotidien dirigé à l'époque par Serge July a connu un âge d'or, culminant autour de 180 000 exemplaires en 1988, en plein mitterrandisme...
"Le décollage de Libé a eu lieu sous Mitterrand, parce que le journal correspondait à un mouvement de fond de la société française, se souvient Laurent Joffrin, ancien directeur de Libération, aujourd'hui au Nouvel Observateur. Il a conservé un ton acide qui a su faire la différence."
"Nous étions à la fois proches et critiques, insolents, pas totalement alignés, se souvient Marc Sémo, journaliste à Libé. Nous avons été le journal d'un certain mitterrandisme, sans être le journal du PS."
Aujourd'hui, le directeur de Libération, Nicolas Demorand, affirme qu'il ne se pose pas la question d'éventuelles répercussions d'une victoire de la gauche sur la diffusion de son journal. "Pour assurer de bonnes ventes à Libération, je dois faire un journal de qualité, ce qui n'a rien à voir avec la politique, mais tout à voir avec le journalisme", insiste-t-il.
L'EFFET "ÎLOT REFUGE"
Sur la période récente, Le Figaro semble faire mentir la règle selon laquelle une trop grande proximité avec le pouvoir en place fait baisser les ventes. Sous la direction d'Etienne Mougeotte, le quotidien conservateur a multiplié les manchettes favorables à Nicolas Sarkozy et celles critiques sur le PS. Le directeur des rédactions assume ce choix et ne cesse d'affirmer que ce positionnement n'a pas fait perdre de lecteurs au titre, bien au contraire.
Un examen des courbes sur la période 2007-2011 montre que la diffusion du Figaro a bien diminué, mais moins que celle de ses confrères : la baisse est de 6,82% pour le quotidien de droite, de 10,66% pour Le Monde et de 16,82% pour Libération (OJD, diffusion individuelle France payée).
Ces chiffres montrent deux choses. D'une part, la principale tendance est structurelle, et c'est celle du déclin du papier qui affecte tous les titres. D'autre part, selon un professionnel du secteur, "Le Figaro a bénéficié d'un effet "îlot refuge", dans la mesure où il est le seul quotidien qui se revendique "de droite" dans une presse française largement de gauche ou du centre".
L'EFFET SARKOZY
De son côté, la presse magazine a réalisé quelques-unes de ses plus belles ventes avec le président sortant. L'Express a vendu 200 000 exemplaires en kiosques avec l'interview de Carla Bruni en février 2008. Mais c'est surtout Marianne qui a profité de l'effet Sarkozy, avec 300 000 exemplaires en kiosques en avril 2007, juste avant l'élection, avec une couverture sur "le vrai Sarkozy", ou encore 220 000 exemplaires sur "le voyou de la République" en août 2010.
Renaud Dély, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, prévient par avance que son hebdomadaire "ne doit pas devenir le journal de François Hollande". "Nous devons être des vigies critiques, en aucun cas des supporters aveugles, insiste-t-il. Le Nouvel Obs est engagé, mais sur des idées, des propositions, pas sur un homme." Le magazine a tiré les leçons du passé. Lui aussi a connu une descente aux enfers entre 1981 et 1984, au point de frôler la faillite. Il faut dire qu'il affichait clairement sa proximité au pouvoir socialiste, en choisissant pour slogan "Bien placé pour savoir"...
Pour le directeur du Point, Franz-Olivier Giesbert, "la clé de tout, c'est l'indépendance. On ne doit pas être supposé proche du pouvoir. Cela fait partie du contrat de confiance passé avec le lecteur." "Sarkozy fait vendre non pas parce qu'il est de droite, mais parce que c'est un personnage de roman", tranche Laurent Joffrin. De ce point de vue, l'élection d'un "président normal", ainsi que se présente François Hollande, serait une mauvaise nouvelle pour les ventes. Elle marquerait la fin d'une certaine "peopolisation" du politique. "Si Hollande est élu, nous serons plus sur le fond que sur la forme, commente Christophe Barbier, directeur de L'Express. Nous confronterons les promesses du candidat aux réalités de sa politique."
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