(2) Courrier International, supplément Octobre 2000
lundi 30 avril 2012
L’ignorance de l’économie, le pire de nos maîtres
L’économie, cette « religiosité austère » selon Pascal Bruckner(1)
cache bien des turpitudes dont la pire n’est pas de se tromper mais de
nous tromper. Je veux dire qu’elle tend à faire croire qu’elle est
bourrée de vertus alors qu’elle n’est que la catin de maquereaux
spéculateurs qui ne sont même pas correctement encadrés par des règles
qui en limiteraient les effets prédateurs. Les petits bourgeois
investissent en ne rêvant que du grand soir, non celui de la révolution,
mais du coup boursier qui les rendra riches tout en jouant la façade de
père la vertu les jours de gains et les offusqués du jeu lorsque les
périls s’amassent. Comme le souligne James K. Galbraith ; « Si les
marchés imposaient vraiment une discipline, les personnes qui
travaillent durs ne seraient pas pauvres et les spéculateurs en général
ne seraient pas riches »(2). En 2005, l’épargne mondiale était
estimée par le FMI à 11 000 Milliards de dollars. Si cette épargne
s’était investie dans des projets de développement durable plutôt qu’à
servir d’instrument de spéculation notre destin serait sans doute
différent de ce qu’il est actuellement. Entre la sécurité de la
croissance à long terme, continue, pour tous, et les promesses d’une
richesse rapide pour quelques uns, nos actionnaires ont choisit la
spéculation, belle putain de l’économie dont les charmes sont souvent
frelatées et porteuses de pandémies socio-économiques.
Les économistes ne servent qu’à expliquer ce qui s’est passé. Oracles
qui n’y voient goûte. Psychologues à leurs heures, ils rassurent les
politiques qui suivent – parfois – leurs conseils. Ce qui faisait dire à
Clinton, non sans humour, qu’il disposait certes des meilleurs
économistes mondiaux mais qu’aucun ne lui conseillait la même chose. Son
problème étant de savoir à qui faire confiance. Je n’y vois que de
triviales concessions des économistes aux lois du plus fort, aux
pouvoirs en place. Qui les paient les plus souvent. Il suffit pour s’en
convaincre de relire l’histoire de l’économie en regard des évolutions
des mœurs de chaque époque. Sinon comment expliquer que des militaires,
des industriels, des commerçants, des syndicats, des gouvernements ce
soit mis d’accord pour normaliser leurs échanges économiques,
techniques, d’informations, de documents, sans que jamais, au Dieu grand
jamais, on les aient vu se mettre d’accord pour limiter les effets, les
dérives de la spéculation confondue désormais – tragique méprise – avec
la libéralisation de l’économie. Les économistes sont trop souvent
épargnés par la presse et les politiques. Savants des choses de
l’économie, enseignants des mécanismes qui fondent la récession ou la
croissance, vigies des dérives des systèmes économiques, les avez vous
vu faire autre chose que nous dire tel les grands prêtres d’autrefois,
courbez vous devant l’inéluctable, supportez votre peine, vos
souffrances, c’est l’économie qui passe accompagnée de la grande
faucheuse quelle fréquente, assurément, de plus en plus. La défaite du
communisme n’était pas la victoire du capitalisme comme on aura pu le
lire ici ou là. Premier vaincu plutôt. Reste à se faire le capitalisme
dans ce qu’il a de plus hideux et excessif. Car lui aussi, comme le
communisme des origines était d’abord l’expression d’un rêve ? Pour les
uns l’égalité devant la propriété et les possessions, pour les autres
l’égalité dans les chances de s’enrichir. On sait à quoi s’en tenir
aujourd’hui. Les pauvres restent pauvres dans tous les régimes. Les
sociétés restent aux régimes de la «déresponsabilité anonyme » ce qui
met en péril nos démocraties. Tout s’achète, oui, même un élu. Mais ce
sont les peuples qui paient. Des peuples tenus à l ‘écart de la
compréhension même sommaire de la chose économique. Elus, syndicats,
pouvoirs publics, patrons, tous alliés objectifs pour garder dans
l’ignorance de la chose économique chacun d’entre nous. Trop sérieuse
pour être laissé à la portée des petites gens. Cela facilite
l’embrigadement, le manque de sens critique, la manipulation
journalistique, l’utilisation de grands mots vides de sens que l’on
applaudit comme de bons zombies. La pédagogie est euthanasiée. Nous ne
sommes plus nourris que de l’outrance des arguments, la manipulation des
chiffres, les raccourcis conceptuels et la pauvreté d’arguments mille
fois ressassés. Le ridicule ne tue pas. Dommage, on aurait un peu moins
de zozos à l’antenne.
Les pays qui, comme la France, doivent faire face à une forte
contestation de leurs populations envers l’enrichissement lié à la
spéculation sur des actifs virtuels sont complètement démunis pour faire
venir chez eux les capitaux considérés comme indispensables à leurs
développements. En clair, les gains spéculatifs pour une minorité
apparaissent plus conséquents que l’investissement traditionnel dans la
création de richesses pour tous. Une dérive, un prétexte, qui permet aux
activistes antilibéraux de faire leur malheur et le nôtre. La sous
culture économique des «masses populaires et laborieuses » en fait des
proies rêvées pour des contestations irresponsables de tous bords. On
agite quelques mots fétiches dont pas le dixième ne comprend le sens, la
foule crie et voilà une usine qui part à l’étranger, un marché qui
s’ouvre ailleurs, un investisseur qui va placer son argent dans un lieu
où il se sent attendu et apprécié. La volatilité des investissements est
un facteur de l’économie moderne. Les réseaux ont facilité la
circulation des services, des idées, des biens numériques et des
transferts financiers : le capital reste plus mobile que le travail.
Mais au fond, peut être n’en voulons nous pas !? Après tout, comme le
raillait Coluche, « le salaire suffira ».
(1) Misère de la Prospérité (Grasset 2002) (page 27 du livre de Pascal Bruckner)(2) Courrier International, supplément Octobre 2000
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