jeudi 12 février 2015
De l’insignifiance à long terme du politique
Quelle est la place de la politique dans l’évolution de notre civilisation ?
Le politique joue apparemment un rôle majeur dans le cours de notre existence et dans l’histoire humaine. L’histoire du 20e siècle en fournit mille exemples. La révolution bolchevique a transformé de fond en comble la société russe, le fascisme et le nazisme ont conduit à la guerre et à l’extermination de six millions de juifs, la décolonisation a fait émerger un nombre important de nouveaux États. La vie individuelle d’un être humain peut ainsi rencontrer l’histoire et s’en trouver bouleversée. La littérature utilise abondamment ce thème : que l’on songe simplement au docteur Jivago de Boris Pasternak. On pourrait ainsi penser que le destin des hommes est configuré par le politique, que le pouvoir politique construit le devenir historique en fonction de ses projets. Mais il n’en est rien. Notre devenir historique résulte d’une multitude d’initiatives individuelles, certaines d’entre elles pouvant avoir un impact majeur car elles constituent des innovations de portée historique.
Le long terme historique et l’individu
Il suffit de changer d’échelle temporelle pour comprendre le caractère accessoire du facteur politique. Si, au lieu de se focaliser sur l’histoire d’un État ou même d’une civilisation, le regard s’éloigne et observe l’humanité depuis ses origines, il apparaît immédiatement que les péripéties politiques n’ont que peu d’impact sur notre devenir à long terme. Pourquoi les hommes passent-ils du paléolithique au néolithique entre –10 000 et –5 000 dans certaines zones géographiques ?
Parce que certains d’entre eux ont commencé à faire des expériences de culture des céréales ou d’élevage, que ces expériences ont suscité l’intérêt de leurs contemporains et qu’au fil des générations, un nouveau mode de vie est apparu. Cette révolution agricole n’a rien à voir avec le politique au sens très large, c’est-à-dire avec les individus dominants des groupes humains paléolithiques qui proposaient par exemple de migrer d’un lieu vers un autre, ou d’entrer en conflit avec un autre groupe. C’est l’intelligence de quelques individus, n’appartenant vraisemblablement pas au cercle des chefs, qui a permis les innovations déterminant le devenir historique. On peut en dire de même de l’évolution ultérieure pendant le néolithique, avec l’utilisation progressive des métaux (bronze, cuivre, fer) améliorant considérablement l’outillage agricole. Faire progresser les techniques agricoles, c’est permettre aux hommes de mieux se nourrir et d’éviter les famines, et cela est beaucoup plus important que de déclencher une guerre pour accaparer provisoirement un territoire.
La Renaissance est culturelle, pas politique
Une étape majeure de l’évolution historique occidentale se situe entre le 14e et le 16e siècle. Des hommes prennent alors conscience qu’ils n’appartiennent plus au Moyen Âge. Il s’agit d’intellectuels comme le poète italien Pétrarque qui prône la redécouverte des auteurs anciens en respectant le texte original grec ou latin. Ces hommes s’aperçoivent que la longue période qui commence au 5e siècle, lorsque s’effondre l’Empire romain d’Occident, arrive à son terme. On appellera Renaissance ce vaste mouvement culturel qui conduit à notre modernité. Mais qui joue un rôle majeur à cette époque ? Ce sont des philosophes, des humanistes (Érasme, Thomas More), des artistes (Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël), des scientifiques (Copernic, Galilée, Francis Bacon), des explorateurs (Vasco de Gama, Christophe Colomb). Sans doute, le pouvoir politique de l’époque peut parfois encourager ces initiatives individuelles. De nombreux membres de la famille Médicis commanditeront de grands artistes et encourageront des humanistes. Mais les Médicis représentent un des cas particuliers de grandes familles patriciennes italiennes ouvertes à la pensée et aux innovations artistiques et techniques. D’une manière générale, le pouvoir politique est surtout un frein à la créativité car il privilégie une vision traditionnelle de l’avenir.
La révolution industrielle ne doit rien à la politique
Lorsque débute la révolution industrielle, ce sont encore des individus créatifs et entreprenants qui imaginent l’avenir : les dirigeants des manufactures, les penseurs de l’économie, les chercheurs. En choisissant des exemples dans l’histoire de France, on peut se poser quelques questions iconoclastes. La révolution française de 1789 a-t-elle joué un rôle essentiel ? Les absurdes guerres de conquête napoléoniennes ont-elles eu la moindre importance durable ? Les réponses sont évidemment négatives car de nombreux autres pays ont connu des péripéties politiques radicalement différentes pour aboutir aujourd’hui à un mode de vie et à un niveau de vie similaires aux nôtres. Le siècle des lumières et ses philosophes ont préparé culturellement une évolution profonde de la société mais sa mise en œuvre est le fait d’innombrables initiatives individuelles qui se manifestent dans le système de production et la recherche scientifique. En France, les politiques n’ont fait que caricaturer une pensée orientée vers la liberté pour aboutir finalement à la dictature de Robespierre puis à celle de Napoléon Ier.
Sciences, techniques et économie déterminent l’avenir
Lénine, Staline, Hitler, Mussolini et tous les psychopathes assoiffés de pouvoir ont évidemment moins d’importance que Louis Pasteur, Alexander Flemming et même que mère Teresa ou que l’abbé Pierre. Les premiers auront exercé un temps leur capacité de nuisance en assassinant des millions d’hommes, mais il ne restera rien d’eux dans quelques siècles. Les seconds ont permis à des centaines de millions d’êtres humains de se soigner et de guérir ou sont venus donner un exemple d’élévation morale tout à fait hors du commun. Ils resteront dans nos mémoires car leur action se prolonge encore. Quant aux leaders politiques des démocraties, qui ont le bon goût – justice leur soit rendue — de nous éviter le goulag, ils sont très vite oubliés. Demandez à des français pris au hasard de vous citer un Président du Conseil de la Troisième République. Vous n’obtiendrez que très peu de réponses et la plupart de vos interlocuteurs ignoreront ce qu’est un Président du Conseil. Leur action est d’ailleurs un échec cuisant puisqu’elle aboutit au second conflit mondial. La gauche prétendra que l’instauration des congés payés et de la semaine de 40 heures en 1936 par Léon Blum est une avancée sociale considérable. Certes, mais tous les pays développés ont connu, à peu de choses près, la même évolution sociale. Celle-ci provient donc davantage de la croissance économique et du progrès technique, qui améliore la productivité, que du facteur politique. Autrement dit, en détournant le credo marxiste selon lequel les infrastructures économiques déterminent les superstructures juridiques, on pourrait affirmer que le progrès du capitalisme détermine le progrès social. Notons au passage que si la pensée marxiste dévalorise le politique par rapport à l’économique, la praxis marxiste lui accorde un rôle majeur. L’action ne s’embarrasse pas de subtilités doctrinales.
La révolution technologique actuelle et la réticence des politiques
La révolution technologique qui débute à la fin du 20e siècle (technologies de l’information et de la communication, biotechnologies, sciences cognitives et leur synthèse en NBIC) se diffuse dans la société par l’action d’entrepreneurs qui ont le sens de l’histoire et qui comprennent bien avant le monde politique les bouleversements que peuvent induire certaines innovations techniques. Ce sont bien les Bill Gates, Steve Jobs, Steve Wozniak, Larry Page, Sergueï Brin, Jeff Bezos qui ont créé les entreprises configurant la communication planétaire contemporaine. Mais ces grands noms ne représentent que les réussites économiques majeures. Ce sont en réalité des millions d’initiatives individuelles qui, en se concurrençant et en se conjuguant, ont fait émerger l’écosystème numérique dans lequel nous vivons. L’attitude des politiques a été suiviste, réticente ou normativiste. Que de sottises n’a-t-on pas entendu ces dernières années à propos du livre numérique ou de la presse en ligne ! C’est la peur de voir disparaître les secteurs traditionnels de l’édition ou de l’imprimerie qui domine chez les politiques, pas du tout une vision de l’avenir s’appuyant sur les fabuleuses potentialités de la révolution technologique en cours.
Les petits subterfuges des politiciens
En France, des ministres à l’esprit étriqué n’ont eu de cesse de chercher à s’opposer à Google ou Amazon par de petits subterfuges règlementaires sans avenir et facilement contournés. Aurélie Filippetti a été la risée du monde entier en interdisant la gratuité des frais d’expédition à Amazon par une acrobatie juridique. Elle a raté sa pirouette : Amazon a obtempéré avec des frais de… 1 centime. On pourrait en dire autant des ministres du budget en ce qui concerne l’optimisation fiscale, pratique tout à fait légale consistant à mettre les États en concurrence pour réduire la charge fiscale. La vision du futur semble déterminée chez ces politiques par une idéologie qui ne correspond en rien au monde actuel. Ils agissent donc, pitoyablement, en vue de construire une société conforme au dogme. En vain, bien entendu : tout ce monde de la politique à l’ancienne sera supplanté par les hommes libres et leur prodigieuse créativité. Ce sont les individus qui dessinent peu à peu l’avenir par leur capacité de réflexion, d’expérimentation et d’innovation. Le futur constitue toujours une surprise et ne se décrète pas. Il est absurde de prétendre construire la société de demain à partir d’une réflexion sur le présent conduisant à des prescriptions éthiques et politiques préétablies et intangibles. Car les hommes sont incorrigibles : ils feront toujours prévaloir leur liberté. L’intelligence, leur spécificité, ne se conçoit que dans la liberté. Le charme de la vie, c’est l’ouverture vers l’avenir conçu comme une aventure de la liberté individuelle.
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