mardi 4 juin 2013
Le bal des archaïques
Le bal des archaïques
Le déclin de notre Vieux Monde est-il inéluctable ? Rien ne permet de dire que nous sommes condamnés au sort de la société maya ou de la Grèce mycénienne, mortes sur pied.
Certes, nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Et depuis que le grand Paul Valéry a écrit cela, au début du siècle dernier, nous autres Français ne le savons que trop, nous ne cessons même de le ressasser.
Mais c'est ce savoir qui peut nous sauver, comme le note le grand analyste du déclin des civilisations Jared Diamond en conclusion de son impressionnante somme, Effondrement (1). Il mise sur notre "intelligence du temps et de l'espace" pour retourner les choses.
Ouvrir les yeux suffirait, selon lui, à nous sauver : en nous informant sans cesse de tout ce qui se déroule à l'autre bout de la planète, la mondialisation, en partie responsable de notre déclassement, devrait nous aider à remonter la pente. Encore faut-il avoir l'humilité de tirer les leçons des réformes qui réussissent et, apparemment, ça ne va pas de soi, du moins pour nous.
Il est heureux que certaines de nos éminences politiques, à commencer par le président de la République, aient enfin pris la mesure de ce qui se passe outre-Rhin et reconnaissent qu'il y a des leçons à tirer du train de réformes du chancelier social-démocrateGerhard Schröder, à l'origine de la résurrection économique allemande. C'est heureux, mais ce n'est pas suffisant.
Le mal est à l'intérieur de nos têtes, où règne un mélange d'aveuglement, d'ultraconservatisme et de pensée magique. À M. Sarkozy, qui avait décrété la croissance, a succédé M. Hollande, qui la promettait en attendant que, demain, la droite nous la fasse à nouveau miroiter, et c'est ainsi depuis 1981, avec les résultats que l'on sait.
Ce sont nos archaïsmes qui nous bouchent les oreilles et nous brouillent la vue. Ce sont eux qui font de la France cette nation à l'ouest, en perpétuelle dépression nerveuse, avec une fonction publique ventripotente et jamais rassasiée, et où les débats politiques sentent la naphtaline. Le dernier État communiste du monde, comme aiment dire les plaisantins.
Accusation certes polémique mais étayée par la ringardise qui se déploie dans tant de polémiques à la française. Ainsi les éructations d'une certaine gauche contre la réduction des dépenses publiques ou à propos de la prétendue "pénurie" de fonctionnaires. Ainsi les vitupérations d'une certaine droite contre les cours en langue étrangère, notamment en anglais, dans l'enseignement supérieur, dont la ministre, Mme Fioraso, a réussi à faire adopter le principe. Avec un cran et une niaque qu'elle a, hélas, dilapidés en s'attaquant à l'excellente réforme Pécresse instituant l'autonomie des universités.
Y aurait-il en France une fatalité archaïque ? Que la majorité au pouvoir veuille canaliser l'autonomie des universités est un mauvais signal. Pitié pour la loi Pécresse ! Au lieu de la raboter, il faudrait au contraire aller plus loin. Mais bon, c'était l'une des rares grandes réformes de ces dix dernières années et elle préparait nos étudiants au XXIe siècle. Alors, retournons vite nous pelotonner dans le XIXe et qu'on n'en parle plus !
Sans vouloir offenser les princes qui se la disputent, l'opposition, saisie par un prurit ultradroitier, ne brille pas non plus, ces temps-ci, par son modernisme. D'un côté, MM. Fillon et Juppé serrent les dents. De l'autre, le "président" autoproclamé de l'UMP, M. Copé, feint de croire que sa famille politique reviendra au pouvoir sur les questions de société, comme l'avait pensé le Tea Party, qui fut, aux États-Unis, le fossoyeur du Parti républicain.
Que la droite, tel le coucou, tente de récupérer sans tact la Manif pour tous, un grand mouvement populaire, c'est de bonne guerre, mais ça ne suffira pas à la ramener au pouvoir. Ne serait-il pas temps qu'elle se penche sur son passé et ses échecs ? N'a-t-elle vraiment rien à dire au pays en matière de désendettement, d'assistanat, de relance de l'emploi ou de réduction des dépenses publiques ?
Ne désespérons pas : l'archaïsme, comme le diable, n'a pas toujours l'avantage. Ainsi, de bonnes nouvelles nous viennent, ces jours-ci, de cette Commission de Bruxelles tant honnie. Le sénateur Jean Arthuis a relevé perfidement cette stupéfiante information qui, sans lui, serait passée inaperçue : pour réduire les frais de personnels, la France vient de décider avec ses vingt-six partenaires de l'Union européenne d'allonger la durée du travail (de 37,5 à 40 heures) pour les fonctionnaires de la Commission.
Grâce soit rendue à M. Arthuis d'avoir levé ce lièvre. Pourquoi, demande-t-il drôlement, notre gouvernement n'appliquerait-il pas aussi ce beau principe à la France en supprimant les 35 heures pour tous nos fonctionnaires, ce qui pourrait rapporter autour de 25 milliards au budget de l'État ?
À moins que les vérités au-delà de la frontière franco-belge ne deviennent des erreurs en deçà, où déclinisme et archaïsme font si bon ménage.
1. Folio essais.
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