mardi 4 juin 2013
La grande dépression
Les dirigeants européens semblent incapables de sortir du cercle de la récession et du chômage. Et cela, malgré les pressions des opinions pour abandonner le régime d'austérité auquel ils se sont engagés, sous l'influence de l'Allemagne. Pendant ce temps, l’importance de l'UE dans le monde décline.
Les dirigeants européens sont imbattables pour donner des ordres et édicter des interdictions mais depuis quelques années, ils restent totalement démunis face à l'effondrement économique. Les indicateurs économiques publiés récemment par Eurostat, l'Office statistique de l'Union européenne, sont formels : l'Europe fonce tout droit vers le précipice, munie de freins qui ne fonctionnent plus depuis longtemps.
Au cours du premier trimestre 2013, l'économie de la zone euro s'est contractée de 1%, et de l'Union européenne dans son ensemble de 0,7 % par rapport à la même période de l'année dernière. Quasiment partout, les indicateurs sont dans le rouge : les PIB des pays européens ont reculé, en rythme annuel, de 5.3 % en Grèce, 4.1 % à Chypre, 3,9 % au Portugal, 2,3 % en Italie et 2 % en Espagne. L'indicateur est également négatif en Finlande et aux Pays-Bas, il stagne en Autriche et la France est entrée officiellement en récession. Le PIB allemand a augmenté, mais seulement par rapport au trimestre précédent. Triste paysage.
Pendant que l'Europe serre les dents et pleure, d'autres quittent lentement la zone de danger ; par exemple les Etats-Unis, jugés sévèrement par les Européens en tant que berceau de la crise mondiale, à cause de ces banquiers qui, par irresponsabilité et cupidité, nous ont mis dans ce pétrin. Sans parler de leur ingratitude : aujourd'hui, leur croissance se déploie tandis que la nôtre se contracte. Au premier trimestre, l'économie américaine a bondi de 2,5 %, le taux de chômage enregistre son plus bas niveau depuis 4 ans et Wall Street est en hausse. L'Union européenne a toujours regardé les Etats-Unis de haut, comme un pays de capitalisme sauvage et d'injustice sociale. En Europe, c'est l'économie sociale de marché qui a toujours fait la loi, en protégeant les salariés et en leur accordant beaucoup de droits sympathiques.
Ces dernières années, les Européens donnaient des leçons aux Américains sur la manière de doper leur croissance. Aujourd'hui, les rôles sont inversés. Dans une interview accordée récemment au journal espagnol El Economista, un haut fonctionnaire du Trésor américain conseillait à l'Union européenne de s'inspirer des Etats-Unis pour stimuler le marché, plutôt que de s'accrocher au dogme de la réduction des dépenses et des déficits publics. Etrangement, de nombreux responsables politiques européens partagent la même conviction, sans que personne n'ose taper du poing sur la table et s'opposer fermement à la politique de Berlin, pour qui "l'augmentation de la demande" équivaut à plus d'inflation (le mot tabou depuis l'époque de la République de Weimar) et plus d'argent qui sortent des poches des contribuables allemands pour aller dans les poches des chômeurs grecs et espagnols.
Les pays du Sud doivent épargner davantage, un point c'est tout. Pas de discussions. L'écart entre l'Allemagne et le reste de l'UE, plongé dans la dette, est visible même au niveau linguistique. En Irlande, on parle d’"austerity", en Espagne d’"austeridad", en Italie d’"austerità" et en France, d’"austérité". En latin, "austerus" signifie "sévère, dure, hostile" – un mot qui évoque des sensations clairement désagréables. Alors qu'en Allemagne, le mot "Sparkurs" se traduit comme "cap sur la rigueur", un terme à connotation positive, comme quelque chose de bon, d'intelligent et de sain.
"La politique de Berlin ne repose pas uniquement sur le pragmatisme mais aussi sur des valeurs fondamentales", a expliqué dans une interview Ulrich Beck, un célèbre sociologue allemand. "L'opposition à l'égard des pays trop dépensiers est une question de morale. D'un point de vue sociologique, c'est une approche enracinée dans l'éthique protestante. Mais c'est aussi une question de rationalité économique. Le gouvernement allemand assume le rôle d'un professeur qui donne des leçons aux pays du sud, sur les réformes à faire", explique-t-il.
Seulement, ce professeur n'est guère apprécié. Il l'est même tellement peu, que lors du dernier Concours Eurovision [de la chanson], l'Allemagne a subi une écrasante défaite et la chanteuse Natalie Horler avec la chanson "Glorious" s'est placée à la 21ème place sur 26. Les commentateurs de la télévision ZDF ont une opinion bien arrêtée sur cette échec :"Personne ne nous aime en Europe". Il est fort probable qu'ils n'aient pas tort.
L'image d'Angela Merkel en uniforme SS à la une des tabloïd grecs est devenue tellement banale, que plus personne n'y prête attention. Ce qui devient en revanche plus tendance dans plusieurs pays, c'est l'activité épistolaire des hommes politiques qui écrivent des lettres à Mme Merkel, en lui demandant de lâcher un peu de pression et d'arrêter les interros surprises et autres tests. On la supplie d'être plus clémente et de réduire les punitions.
La chef du gouvernement allemand ne veut pas alléger le "Sparkurs" par peur d'être sanctionné par son électorat. Duarte Marques, député du Parti social-démocrate portugais, argumente dans une lettre à la chancelière : "L'Allemagne ne prend pas en considération l'impact réel des politiques d'austérité. C'est une expression d'opportunisme, jusque là plutôt inhabituelle de la part des élites allemandes. C'est indigne d'un pays, qui à l'époque d'Helmut Kohl a eu le courage d'assumer ses responsabilités pour l’Europe, parfois contre sa propre opinion publique. Kohl appartenait à une génération d'hommes d'Etat qui, aujourd'hui, manque décidément à l'Union."
"Ah d'accord, va penser Angela Merkel, non seulement je suis une garce, mais en plus je n'arrive pas aux chevilles de Kohl. C'est super !" Ce type de lettres ne pourra que l'irriter et la rendre plus rigide. La phrase : "L'Allemagne doit prendre ses responsabilités pour l'Europe" est invariablement traduite à Berlin par : "L'Allemagne devrait nous donner plus d'argent".
Ils n'en donneront pas. Ni au Portugal, ni à la Grèce, ni à personne d'autre. Seulement, ce qui pose problème, c'est que le "Sparkurs" tant glorifié par Mme Merkel, ne brille pas par son efficacité. Un journal portugais a comparé les indicateurs économiques d'il y a 2 ans, au moment où le Portugal tombait dans les bras bienveillants de la troïka et entamait son régime de rigueur, avec les taux actuels. Ainsi, on constate que le taux de chômage est passé de 12,9 à 18,2%, le déficit budgétaire de 4,4 à 5,5 %, la dette publique par rapport au PIB de 106 à 123%. Il n'est pas surprenant que, depuis 2011, quelques 240 000 personnes ont quitté le pays, soit environ 2,5 % de la population portugaise.
La télévision publique RTP a réalisé un documentaire sur les immigrés portugais en Grande-Bretagne. Un architecte, un dentiste, deux infirmières, deux infirmiers. Tout le monde est très heureux d'avoir réussi à quitter l'enfer. Une des filles est tellement contente à l'idée de travailler dans un hôpital de Northampton (100 km au nord de Londres) qu'elle saute devant la caméra. Personne ne pense à retourner au pays. Quelqu'un vient de jeter négligemment, "Peut-être un jour..." Le sociologue intervenant dans l'émission parle de la dépression parmi les jeunes et de la marée montante de l'émigration non seulement à destination de la Grande-Bretagne, mais aussi vers les anciennes colonies portugaises du Brésil et de l'Angola. On pourrait même imaginer un slogan sur les avantages de la zone euro : "Avec nous, tu trouveras un emploi. A Rio". Accrocheur, n'est-ce pas ?
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