Les bateaux tanguent
doucement au port mythique du Pirée. Coté gauche au quai Miaouli, les
gros navires qui font nuit et jours la navette entre les îles. Coté
droit les yachts et autres embarcations privées. En face, coté rue, les
immeubles rutilants aux vitres fumées se succèdent. C’est quelque part
par là dans les étages, à l’abri des regards indiscrets mais avec une
vue sur le port à vous couper le souffle que se trouvent les sociétés
maritimes des armateurs grecs. Enfin de ceux qui ont leurs affaires
encore au pays car, la plupart les dirigent de leur bureau à Londres.
Dans ce milieu, la discrétion est de mise. Seule une plaque, sobre,
indique de la façon la plus opaque qui soit le nom des sociétés
maritimes qui nichent dans les étages.
L’un d’entre eux, Nicos Vernicos aime bien parler à la presse. De ce
qui l’intéresse bien sûr et pas d’autre chose. Pas moyen par exemple de
connaître le chiffre d’affaires de ses entreprises, « nous vous savez, on n’aime pas parler d’argent cela ne se fait pas » pas plus que d’impôt d’ailleurs «nous sommes les taxis de la mer, lance ce petit homme jovial et malin comme un singe, comment voulez qu’on nous taxe ? Nos entreprises ne sont pas rattachées à un pays. » Et l’argument massue, « nous ne savons même pas nous même combien nous gagnions d’argent ! »
Dans un pays en crise depuis deux ans, et en profonde récession
depuis cinq ans, ce type de parole est une pure provocation. Mais Nicos
Vernicos, armateur depuis quatre générations, dont la famille est connue
pour sa résistance à la dictature des colonels (1967/1973) aime bien
provoquer, « vous savez le meilleur ami des pauvres c’est le riche
car, le riche donne du travail au pauvre c’est ça la vérité. Tout le
reste ne compte pas.» Le reste, par exemple pourquoi une si basse
imposition alors que le reste du pays, essentiellement les
fonctionnaires et les retraités, est étranglé d’impôts ? Pour Harris
Baboukis, ancien ministre de la Marine Marchande, la réponse est simple,
« si on les oblige à quoi que se soit ils prennent leur bateaux,
leur millions et s’en vont ailleurs .En restant au pays, ils dépensent
leur argent ici, achètent des maisons, payent dessus des impôts,
investissent et créent des emplois. Nous récupérons d’une autre façon ce
que de toute façon nous n'aurions jamais pu prendre.»
Pour ce politicien et avocat d’affaires maritimes, le problème est ailleurs, « un
pays quel qu‘il soit, et encore moins la Grèce, ne pourra jamais seul
imposer les armateurs car, la concurrence est là ! Les délégations
maltaises, turques, même monténégrines arrivent tous les jours en Grèce
pour proposer de meilleures conditions de travail aux armateurs grecs.
Un faux pas et ils sont partis La seule chose qui les retient ici, c’est
leur amour de leur terre et c’est là dessus que l’on mise, mais il ne
faut pas pousser.»
Une exemption d'impôt inscrite dans la constitution
Cet amour de leur terre, la Nation reconnaissante le récompense
via la Constitution qui une fois pour toute règle la question de la
taxation des armateurs .Elle les exempt officiellement de tout impôt ou
taxes. C’est gravé dans le marbre. Tous les ministres des finances se
sont cachés derrière pour clore toute discussion, Georges
Papanconstantinou en tête. S’il n’a pas hésité à affronter l’église en
2010 pour l’imposer, il n’a pas oser effleurer les armateurs. «
C’est une décision politique que personne ne veut prendre, explique Giorgos Papous, journaliste économique.
Une fois pour toutes on a décidé qu’ils rapportaient plus ainsi qu’imposés » .
C’est vrai que les familles d’armateurs ont toujours été les grands
évergètes de la nation héllène. De la guerre d’indépendance contre
l’occupant turc ou ils ont mis leur bateaux à contribution, à l’illustre
Aristote Onassis qui a crée et légué au pays Olympic Airways en passant
par les clans Benaki et Goulandri qui ont multiplié les musées d’art
dans le pays, les armateurs ont toujours été les grands bienfaiteurs du
pays. Mais uniquement parce qu’ils le voulaient bien ! L’impôt
obligatoire qui les rabaisse au rang du commun des mortels, c ‘est autre
chose et il n’en est pas question . « Nous les armateurs, rencherit Nikos Vernicos, nous
payons un impôt annuel sur chaque bateau, qu’il nous ait rapporté ou
pas. Il est perçu à la source et calculé en fonction du tonnage et de
l’âge du navire qu’il soit à quai où qu’il navigue .De plus on nous a
déjà demandé en 2008 de payer une taxe de solidarité ca suffit ! Si je
n’ai plus d’intérêt à rester ici je pars à Monaco. »
Cette fois le propos est clair et même cynique, mais Nikos Vernicos a
le courage de dire tout haut ce que ses comparses pensent tout bas . « Et
puis, vous dites les armateurs ! Savez-vous combien nous sommes ? A
peine 1 000 ! Alors même si nous donnions chacun un million d’euros cela
ne règlerait pas la question des déficits. Je regrette ce qui arrive au
pays et à mes compatriotes, mais ce n’est pas à nous de rattraper les
erreurs des gouvernements. » A noter que cet avis doit être partagé
par les bailleurs de fond du pays. S’ils ont exigé une augmentation des
impôts pour les professions libérales, les retraités, et les
fonctionnaires, l'Union européenne, le FMI et la Banque centrale
européenne n’ont à aucun moment évoqué les privilèges des armateurs à
l’inverse de ceux de l’église orthodoxe régulièrement dans la ligne de
tir de la Troika.
Plusieurs professions ne paie pas d'impôts
L’idée de prendre exemple sur les
richissimes hommes et femmes d’affaires, qui un peu partout en Europe
et outre atlantique demandent à être plus imposés, n’effleure même pas
ici le monde des affaires ou celui des armateurs. Seuls deux noms se
détachent du peloton. Celui de Victor Restis nouveau venu dans l’arène
des armateurs qui dés le début de la crise a appelé le monde de
armateurs à former une caisse en faveurs des plus démunis. Mais ceci n’a
pas eu de suite. Et celui de la fondation Niarchos qui a mis à
disposition 100 M€ cet hiver sous forme de dons à des organisations qui
travaillent sur le terrain, « pour soulager les Grecs qui souffrent de la crise.
». Cela va de l’aide médicale au soutien éducatif en passant par des
aides directes pour que des familles ne soient pas jetées à la rue à
cause de loyers impayés .
La fondation Niarchos,
désireuse de rester extrêmement discrète sur ce chapitre, travaille avec
des ONG indépendantes aussi différentes que Praxis, Médecins sans
frontières (MSF), Médecins du monde (MDM), ou encore la toute petite
fondation du père Antonios qui travaille avec les enfants de rues. « Vous voyez, triomphe Harris Baboukis, vous
croyiez que nous aurions pu avoir 100 M€ en impôts ? Jamais de la vie.
Mais la fondation Niarchos est depuis des années versée dans l’aide
direct aux Grecs. Un travail de terrain des plus efficace ! »
Yiannis Prétendéris, commentateur vedette sur la chaine privé Méga, ne comprend pas. «
Le pays va au naufrage, et ils ne se sentent pas plus concernés que
cela. Il existe toute une frange de la population qui ne paye pas
d’impôts de façon institutionnelle. Les agriculteurs, les armateurs et
jusque récemment l’église. C’est une fraude institutionnelle pourquoi ?
je ne sais pas !» s'indigne-t-il. Evangelos Venizelos, chef du
parti socialiste, a bien tenté lorsqu’il était ministre des finances
quelques appels du pied en demandant aux armateurs lors de son discours
inaugural à la foire de Thessalonique en septembre 2011 d'« aider encore plus le pays» Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n"a pas été entendu.
La construction part en Chine
|
Vassilis Korkodis, président de la confédération grecque du commerce, 'il est impossible de fiscaliser les armateurs" |
Pourtant les fonds sont là. Outre le fait que plusieurs armateurs
grecs sont répertories par Forbes (voir ci-dessous) comme les plus
grandes fortunes mondiales, la marine marchande grecque pèse 6,7% du PIB
soit plus que le tourisme considéré comme l’industrie lourde du pays .
Les armateurs grecs représentent la première flotte européenne avec
plus de 3 000 bateaux et une capacité totale de transports de 190
millions de tonnes. Ils contrôlent un quart des pétroliers et assurent
15% du tonnage de la planète et emploieraient environ 150 000 personnes
en Grèce. Une trentaine des compagnies d’armateurs sont mêmes cotées en
bourse sous les coups de buttoirs de la nouvelle génération d’armateurs
qui reprennent les affaires gérées plus traditionnellement par les pères
et grand pères fondateurs des sociétés . Mieux, Selon Georges
Xidarakis, consultant, « Un bateau sur cinq qui change de main est acheté ou vendu par un Grec. » Raison pour laquelle, selon Vassilis Korkidis, président de la confédération grecque du commerce, « il faudrait avoir un regard tout à fait différent sur la Marine Marchande par rapport à toute autre type d’activité ». Selon lui, également à la tête d'une société maritime, « il est impossible de fiscaliser les armateurs car, leur activité ne se rattache à aucun pays." Et de conclure, "Margareth Thatcher n’a pas réussi à faire plier ses armateurs vous croyez qu’ un Papademos ou un Venizelos y arriveront ?"
Certes non et c’est bien dommage car, à croire certains économistes,
les sociétés maritimes ne rapporteraient finalement pas plus de 15 mrds €
au pays à cause des pratiques anciennes toujours en vigueur chez les
petits nouveaux .Salaires à moitié au noir pour éviter de payer des
cotisations sociales, employés du tiers monde pour travailler sur les
bateaux afin de payer des salaires plus bas, réparation des navires
faites en Turquie car moins chères etc...
En fait pour les
armateurs le danger ne vient pas de la crise que traverse le pays mais
de l’Empire du milieu, la Chine avec qui ils ont du s’allier. Restant
encore les plus grands transporteurs, les Grecs acheminent les produits
des plus grands producteurs de produits finis : les Chinois. Mais
jusqu’à quand ? Les Chinois on déjà construit cinq chantiers Navals pour
construire leur propres navires .Les voir transporter eux même leurs
produits n’est qu’une question de temps.
De plus pour être
pour être sûrs de ne louper aucun marché, les Chinois ont promis en
2011, un an après avoir raflé la concession de deux quai du Pirée pour
3,4 mrds €, de donner 5 mrds € aux armateurs grecs afin qu’ils
construisent leurs navires….en Chine. Apparemment ça marche : Sept
cargos ont déjà été commandés et une option sur huit autres est prise .
Pour Georges Xidarakis, « il ne s’agit pas de danger mais de libre concurrence et dans ce domaine, nous n'avons peur de personne ! »
Les armateurs grecs
Liste Forbes
Spiro Latsis (65 ans) et famille 5,3 milliards de $
Descendant d'une famille d'armateurs, vit en Suisse. A la tête de la
plus grande banque du pays depuis la fusion de la sienne, Eurobank, avec
Alpha Bank. Présent aussi dans le raffinage, les voyages, l'immobilier
(dont le Bridgewater House de Londres)...adorait prêter son « petit
yacht » à la famille royale britannique pour qu’elle y passe ses
vacances.
Philip Niarchos (56 ans) 2,5 milliards de $
Fils aîné du célèbre armateur Stavros Niarchos. Partage sa vie entre
la Grèce et la Suisse. Sa fondation est très active : rénovation de
l'Opéra, de l'université, de la pinacothèque d'Athènes, nombreux
hôpitaux et mise en valeur d'un front de mer près d'Athènes. Il débloque
des fonds, un million, pour venir en aide aux Grecs frappés par la
crise.
Famille Angelopoulos 1,2-1,7 milliard de $
Théodoros (68 ans) est l'époux de Yanna Aggelopoulou organisatrice des
JO de 2004. Présent dans l'édition avec un quotidien, possède un
chantier naval aux Pays-Bas qui produit des yachts. A hérité, avec son
frère Konstantinos (66 ans), de leur père, magnat de l'acier et
armateur.
Vardis Vardinoyannis (78 ans) et Marianna 711 millions de $
Patron de Motor Oil Hellas, possède un réseau de stations-service. La
famille, présente dans l'édition, la radio, la télé via Mega, est
propriétaire d'un club de foot et d'une compagnie de ferrys. Marianna,
sa femme, est très présente dans le caritatif. Elle tente de construire
un hôpital pour enfants cancéreux via son association EPLIDA
Yannis Costopoulos (73 ans) 425 millions de $
Originaire de Kalamata. Possède le Hilton d'Athènes. Propriétaire
d'Alpha Bank, fondée par son grand-père il y a 160 ans, il a fusionné
avec l'Eurobank, se retrou vant à la tête de 1 300 succursales. Sa
fondation subventionne bibliothèques, fouilles, films, églises...
Sans oublier les Vernicos , les Oikonomou, les Alafouzos , Les Tsacos les Victor Restis etc...
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire