lundi 14 mai 2012
Que restera-t-il du sarkozysme après Sarkozy ?
Entre une certaine forme de populisme
et sens aigu des responsabilité, le style hyperactif de Nicolas Sarkozy a
marqué les esprits. Et si le sarkozysme avait beaucoup plus marqué la
France qu'on ne le croit...?
David Valence :
Le terme de "sarkozysme" recouvre au fond deux choses différentes : la
pratique du pouvoir par Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur puis
à l'Élysée, et plus globalement sa façon de faire de la politique d'une
part ; et le contenu, disons "idéologique", même si ce mot est très mal
adapté, du discours de Nicolas Sarkozy, d'autre part.
Je
crois que nous aurons une postérité du sarkozysme sur la forme comme
sur le fond. Sur la forme, Sarkozy s'est distingué de ses prédécesseurs
par son usage délibéré d'un langage direct, parfois abrupt ; par son
engagement sur chaque dossier, au risque de rompre avec le mythe d'un
president-arbitre, entre 2007 et 2012 ; par son choix de
l'ultra-médiatisation, enfin ; la parole de ses prédécesseurs était
fondée sur un principe de rareté, selon les préceptes de Jacques
Pilhan.
Ce cocktail souvent détonnant chez
Sarkozy, ou un sens très aigu des responsabilités se mêlait à des
calculs plus populistes, c'est ce qu'on a appelé l'hyperprésidence après
2007. C'est une des composantes majeures du "sarkozysme". Une question
très importante se pose pour l'avenir quant à cette façon de faire de la
politique. On sait que François Hollande a, en miroir, cultivé un style
"rond", simple, peu clivant, plus discret, pour défaire Nicolas
Sarkozy. Les Français semblent à première vue avoir ratifié cette
promesse d'une présidence au style presque scandinave, la chaleur en
plus, en élisant François Hollande. Mais plébisciteront-ils longtemps ce
contre-modèle, quand le modèle (Nicolas Sarkozy) aura quitté la scène?
Le
risque est que le "profil bas" de François Hollande passe pour un
manque de courage. Je ne parierais pas pour ma part sur une
interprétation du sarkozysme comme parenthèse historique : on ne passe
pas comme cela d'un rythme "électro" au battement tranquille d'une
horloge comtoise...
Sur le long terme, l'opinion
risque de se retourner, d'autant que François Hollande a une "équation
personnelle" assez faible : les sondages montrent que très peu de
Français l'ont "choisi" pour son projet ou sa personnalité.
Non,
je n’y crois pas. En discutant avec les électeurs qui se sont prononcés
en faveur de François Hollande, j’ai remarqué qu’ils réfutent cette
étiquette de « Président normal » et font le pari que le président élu
se coulera dans la fonction et se transformera en exerçant la fonction.
Bref, ils espèrent que François Hollande finira par "faire président" en
devenant président.
Quant aux Français en
général, au fond ils n'attendent pas de leur président qu'il soit
"normal". Car du "normal" au "banal", et du "banal" au "médiocre", il
n'y a qu'un pas. Les Français savent que leur président est peut-être le
chef d'État qui dispose des pouvoirs les plus étendus de
tout le monde occidental. Le président français est plus puissant, en
France, que le président des États-Unis aux États-Unis. C'est une
fonction "anormale". Nicolas Sarkozy avait, en 2007, "raté" son arrivée
au pouvoir en donnant le sentiment qu'il acceptait toutes les
responsabilités d'un président, et même plus, mais qu'il refusait
d'imposer à son comportement les contraintes de la fonction
(auto-censure minimale, etc). Si François Hollande force la note de la
normalité pendant ses premières jours de présidence, il risque de perdre
sur les deux tableaux, en donnant le sentiment que, d'une certaine
façon, lui non plus n'accepte pas les contraintes de la fonction en
termes de comportement et de mode de vie... Et qu'en plus, il n'en
accepte pas non plus les responsabilités !
C'est
parce que l'opinion devine que le "style" de François Hollande devra
évoluer que le nom du Premier ministre qu'il va choisir est aussi
attendu. Il donnera une indication sur la manière dont Hollande exercera
le pouvoir. S'il choisit Ayrault ou Sapin, ce sera le signe qu'il est
déterminé à assumer la part d' "exceptionnel" de la fonction, et qu'il
veut donc un Premier ministre qui soit un vrai "second" et pas un numéro
1 bis. S'il nomme Martine Aubry, il prendra le risque d'une confusion
institutionnelle avec un système ou le Premier ministre est plus qu'un
second... Mais je ne crois pas que François Hollande aspire à inaugurer
les chrysanthèmes, comme Vincent Auriol ou René Coty.
Je
voudrais revenir sur le second aspect que j'ai évoqué tout à l'heure
pour definir le "sarkozysme", a savoir son contenu "idéologique", même
si le mot ne convient pas, je le répète.
Beaucoup
d'électeurs de droite sont reconnaissants à Nicolas Sarkozy de leur
avoir permis de "hisser les couleurs". Ils se souviennent qu'avec
Chirac, la droite avait honte d'être la droite. Elle était dominée
idéologiquement. Ce n'est plus le cas depuis Nicolas Sarkozy et la
victoire de François Hollande ne signe en rien la victoire "idéologique"
de la gauche. Le retour de la valeur nationale, la méfiance à l'égard
des "aventures" budgétaires, la valorisation de l'effort individuel et
du travail : ces évolutions sont durables dans l'opinion et la gauche au
pouvoir devra faire avec. Elle n'aura pas la possibilité d'intimider
idéologiquement la droite comme à l'époque de Jacques Chirac. Car la
droite a le sentiment que les Français sont plus proches de "ses"
valeurs à elle que de celles de la gauche.
Par
ailleurs, Nicolas Sarkozy a installé, à droite, l'idée qu'il n'y avait
pas de fatalité du Front national et que la droite républicaine pouvait
très bien "siphonner" l'électorat frontiste si elle s'en donnait les
moyens discursifs. Sa reussite stratégique, en 2007, a acté la victoire
du "libéral-conservatisme" sur les autres traditions intellectuelles de
la droite et du centre (gaullisme social, radicalisme, démocratie
chrétienne), moins porteuses dans les urnes à première vue. Reste une
question : la droite peut-elle se permettre de "perdre" définitivement
les grandes villes en ne donnant d'elle-même que cette image
"libérale-conservatrice"? C'est toute la question de l'espace politique
pour un centre-droit "libéral-libéral", qui n'existe pas aujourd'hui en
France, qui est posée par ce problème de géographie électorale.
Nicolas
Sarkozy a beaucoup reformé la constitution en 2008 et il a
paradoxalement renforcé les contre-pouvoirs (Conseil constitutionnel,
Assemblée nationale) au pouvoir présidentiel à cette occasion. Je crois
que l'abandon du thème de la VIe République par les socialistes
s'explique par une forme de pragmatisme.La gauche modérée a constaté que
si la personne de Nicolas Sarkozy pouvait être rejetée, la France
restait néanmoins attachée à une présidence forte et ne souhaitait pas
revenir au système parlementaire.
C’est une forme
de réalisme de s’y conformer, comme d'ailleurs François Mitterrand
l'avait fait. Et plus simplement encore, je crois que les questions
institutionnelles n'intéressent pas l'opinion publique en France. C'est
regrettable, mais c 'est ainsi. Regardez la réforme de 2008, dont j'ai
déjà parlé, et qui a profondément modifié notre constitution : les
Français l'ont déjà oubliée... L'attachement de l'opinion à un pouvoir
présidentiel fort et à l'élection du chef de l'État au
suffrage universel d'une part, et la relative indifférence des Français
face à la "machinerie institutionnelle" d'autre part poussent à une
forme de "statu quo" institutionnel.
Il
ne faut jamais surestimer la mémoire politique d’un peuple. Je pense
qu’une fois que Nicolas Sarkozy aura quitté la vie politique, très vite
l'antisarkozysme cessera de jouer comme ressource politique, car le
temps fera sans doute considérer la présidence Sarkozy avec plus de
bienveillance. La gauche ne pourra en plus bénéficier du rejet de
Sarkozy. Le rejet d’une personnalité ne dure que le temps d’une
élection.
Qui a fait la victoire de Francois
Hollande le 6 mai dernier? Les électeurs de François Bayrou qui ont voté
à gauche au second tour (soit peut-être 2 ou 3% de l'électorat) et les
électeurs de Marine Le Pen qui ont vote blanc ou nul. Ceux-là ont
exprimé un antisarkozysme qui ne résistera pas au retrait de Nicolas
Sarkozy. Ils sont déjà dans l'opposition à François Hollande, d'une
certaine façon ! Car on a eu une victoire en trompe-l'oeil le 6 mai, en
ce sens qu'une majorité des Français n'a PAS voté François Hollande.
La
situation est donc la suivante : nous avons un président élu, Francois
Hollande, qui a construit sa stratégie en "contre", n'a pas recueilli
d'adhésion sur sa personne ou son projet, et qui va gouverner une France
plus profondément marquée par le sarkozysme qu'on ne le croit, ... Il
faut espérer pour la gauche que François Hollande saura troquer sa
"normalité" pour une vraie "présidentialite", bref se transformer à
l'épreuve du pouvoir, ou alors l'état de grâce risque d'être bref...
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