dimanche 12 juin 2011
Peur
Les ouvriers d’Aulnay sont sursitaires à l’aveugle, chômeurs virtuellement.
Mais à quoi pense François Fillon quand il cède à son doux plaisir et s’en va tourner sur son circuit du Mans à bord d’une Peugeot? Un sportsman automobile accompli, notre Premier ministre, mais est-ce de bonne politique de se faire du bien en compagnie du grand patron de PSA, Philippe Varin, commensal en vitesse? Et est-ce malin de la part d’Éric Besson, ministre de l’Industrie, de se roucouler à son tour supporter de Peugeot à l’orée des 24 Heures? Faut-il tant de guimauve tricolore, tant de complaisance, faut-il que nos gouvernants illustrent l’incongrue complicité des grands, quand Peugeot est devenu le nom de la peur?
On nous le répète. Le groupe PSA ne ferme pas son usine d’Aulnay-sous-Bois. "Ce n’est pas d’actualité", a dit le tycoon Varin, et le choix des mots démontre son honnêteté terrifiante. L’actualité, ça change, et les faits sont têtus. PSA ne ferme pas son usine, mais il y a pensé. C’était une hypothèse, une possibilité, une stratégie d’avenir pour la société, finalement non empruntée. Mais elle a existé. C’était en 2010, après les aides de l’État, une belle année où Philippe Varin a gagné 3,25 millions d’euros, une jolie année où on planchait en interne sur une fermeture d’Aulnay après la présidentielle, parce que tout de même… Ainsi nous est rappelée la fragilité des hommes de l’industrie. En 2010, ceux d’Aulnay travaillaient sans savoir qu’on évaluait leur futur. Ils étaient sursitaires à l’aveugle, chômeurs virtuellement. Dans le secrets des dieux, on soupesait leur destin. Un an après, pour percuter sa direction, la CGT (tendance Lutte ouvrière), révélant un document secret, apprend aux prolos qu’ils ont été nus. Scoop?
La conscience de classe se nourrit de la peur rétrospective. J’existe encore, mais serai-je là demain? Voilà l’exacte vérité de la condition ouvrière. Quand Gérard Ségura, maire socialiste d’Aulnay, interroge PSA sur le destin de l’usine, il n’obtient qu’une réponse provisoire. La C3 ira au bout, et le site tournera donc jusqu’en en 2016, mais la suite n’est pas programmée. C’est une bonne réponse, presque respectueuse. On ne sait pas. On a quatre ans devant soi, c’est déjà presque un cadeau. Quatre ans, c’est quasiment une vie… Ensuite? Va savoir si le marché de l’automobile aura décliné encore, si l’électrique aura pris le relais, si la bagnole européenne aura achevé sa mue… Même Varin n’en sait rien, et admet qu’on ne peut rien savoir à dix-huit mois. Ça ne l’empêche pas d’être payé. C’est l’exacte vérité de l’économie. Le PS national, dans ses réactions publiques, exige des garanties sur l’emploi qu’aucun industriel ne saura prendre. La droite de pouvoir, dans ses évitements, ne veut entendre que les réassurances du groupe. En réalité, seule la peur est certaine ; elle rend écœurante les onctueuses risettes du Mans.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire