Quelques décideurs voient déjà en elle le «Brésil de l’Europe». Pas étonnant! Avec une croissance autour de 9% l’an dernier, une inflation modérée - bien qu’une «surchauffe» soit à craindre - et un taux de chômage équivalent à celui de la France, la Turquie se classe dans le peloton des vingt économies mondiales. Sans grand endettement et sans avoir souffert de la crise financière... En dix ans, le Produit intérieur brut par habitant a plus que triplé, passant de 3 000 dollars à près de 10 000. Une sécurité sociale digne de ce nom fonctionne, ports, aéroports et autoroutes sortent de terre. D’immenses usines, aussi. La Turquie est devenue la manufacture de l’industrie automobile européenne. Mais collectionne également les entreprises de haute technologie.
Un miracle économique, en quelque sorte, réalisé en neuf ans depuis que l’AKP de l’actuel Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est au pouvoir. Et ce n’est pas tout. L’armée a été mise au pas et d’importantes réformes sociétales ont été réalisées, notamment en vue d’une éventuelle adhésion à l’UE, adhésion qui ne passionne plus guère devant l’immobilisme des 27 et le mauvais exemple que donne le voisin grec. La Turquie joue une nouvelle carte, celle de puissance régionale, par ailleurs en meilleurs termes économiques avec la Russie, l’Irak, l’Asie et tous les «émergents», sans renier son appartenance au «bloc occidental» via l’OTAN. Face au «printemps arabe», Ankara sait aussi se présenter en modèle avec son parti islamo-conservateur construit sur des bases religieuses (le Refah interdit en 1998) pour évoluer en une idéologie voulant concilier tradition et laïcité. Avec des dérapages, il est vrai, dénoncés par les kémalistes toujours influents dans la vieille bourgeoisie pourtant aujourd’hui dépassée par une autre classe dirigeante, celle des «nouveaux riches», celle des «tigres de l’Anatolie» conservateurs à souhait...
Que face à un tel bilan économique enrichi d’un sentiment de fierté nationale, l’AKP ait toujours le vent en poupe ne surprend pas. Erdogan est assuré de rester au pouvoir. Toutefois, réalisera-t-il son ambition, celle d’atteindre une majorité des deux tiers à la «Grande Assemblée Nationale» qui lui permettrait de réformer la Constitution en instaurant un régime présidentiel à la française ou à l’américaine et succéder à Abdullah Gül (en «Poutine turc», disent ses détracteurs)? Sans doute pas. Autoritaire, ne supportant pas la critique, le Premier ministre a sa part d’ombre qui inquiète jusque dans son parti. Même si la situation n’est en rien comparable à celle qui prévalait il y a vingt ans, il faut toujours une bonne dose de courage pour être journaliste ou intellectuel critique en Turquie et une témérité à toute épreuve pour devenir élu kurde. Le harcèlement guette, quelquefois la prison, bien que les droits de l’homme soient respectés à la lettre... sur le papier.
Alliée à un discours de plus en plus nationaliste, l’intransigeance d’Erdogan dans la question kurde qu’il limite au terrorisme du PKK autorise aussi de nombreuses interrogations. Or, dans l’attente d’un projet constitutionnel assurant une place à la minorité kurde, projet qui devrait être présenté ce soir ou lundi, le PKK respecte la trêve des armes. Elle expire le 15 juin. Pour de nombreux Turcs, une date butoir bien plus décisive que celle du dimanche des législatives...
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