«Justice est faite», avait déclaré le président Obama après la liquidation de ben Laden. « Justice sera faite », devrait-on dire, lorsque Ratko Mladic comparaîtra devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye, et seulement lorsque le jugement sera rendu. Deux approches de la justice vraiment très différentes, l’une américaine, l’autre européenne ! Il est vrai que si ben Laden et Mladic ont tous deux le sang de milliers d’innocents sur les mains, le dernier est hors d’état de nuire depuis 1995 tandis que le chef d’al-Qaïda continuait son djihad. Et à l’encontre du général bosno-serbe, il ne s’agit pas d’assouvir une vengeance. Mais de stabiliser les Balkans toujours fragiles, en mettant du baume sur les plaies des guerres civiles yougoslaves, en prouvant que les crimes de guerre ne restent pas impunis et en montrant les nationalismes sous leur forme la plus hideuse qui va jusqu’au génocide.
Ces considérations politiques et morales à l’origine du TPIY vont-elles atteindre leurs buts ? Pas sûr ! Selon un récent sondage, Mladic reste un héros pour 40% des Serbes, de même que Slobodan Milosevic. Encore le mois dernier, des manifestants ont violemment réclamé à Zagreb la libération du « héros » croate, le général Ante Gotovina, « purificateur ethnique » de la Krajina condamné à 25 ans de prison par le TPIY...
Qu’il ait fallu seize ans pour arrêter Mladic - en réalité vraiment recherché par la Serbie depuis 2008 seulement - prouve à quel point les « réseaux » de la guerre civile restent puissants, et partout dans les nouveaux États des Balkans, que les criminels présumés soient serbes, bosno-serbes, croates ou bosniaques musulmans. Partout, les complicités sont évidentes. Le cas Mladic est même exemplaire: l’homme ne se cachait guère et physiquement il n’a pas beaucoup changé depuis 1995. Parfaitement reconnaissable, Mladic a profité de protections haut placées, vraisemblablement dans l’armée...
Pour la Serbie, qui aura peut-être pour prix de sa coopération le statut de «candidate à l’UE», son arrestation est particulièrement délicate. Le procès pourrait prouver que le général accusé du massacre de Srebrenica n’était pas aux ordres du fantasque président bosno-serbe Radovan Karadzic mais dépendait de Belgrade dont il recevait les ordres, donc directement de Slobodan Milosevic et indirectement d’une kyrielle d’irrédentistes. Or ces hommes qui étaient pour le moins au courant jouent aujourd’hui encore un rôle non négligeable dans les partis politiques (reconvertis en « démocrates » ou non) et dans la société serbe. Un procès Mladic pourrait déraper dangereusement en devenant celui de la Serbie des années 1990. Avec les protagonistes de l’époque toujours aux affaires.
Un écueil à éviter absolument pour la tranquillité des Balkans. Et de toute l’Europe.
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