mercredi 6 octobre 2010
Un coupable, une victime
Le jugement rendu dans l'affaire Kerviel a le mérite d'être clair. Sans doute même un peu trop. Les juges ont désigné un coupable et un seul, l'ancien trader. Et une victime et une seule, la banque qui l'employait.
Une seule victime ? En condamnant Jérôme Kerviel à payer à la Société Générale la somme aussi énorme qu'absurde de 4,9 milliards d'euros - somme que la banque, il faut le rappeler, avait choisi, avant la décision, de ne pas mettre en recouvrement -les juges intronisent spectaculairement Kerviel dans son rôle préféré, celui de victime.
Il n'est qu'à voir les réactions suscitées par ce jugement hors norme : une fois de plus, entend-on partout, c'est le lampiste, le sans-grade, le misérable qui doit payer - même si, en pratique, il ne versera pas un sou à la banque. Une fois de plus, la justice écrase le « petit » et préserve le « système »…
On connaît trop ce mode de défense : ce fut le sien pendant près de trois ans. On connaît trop le relativisme sur lequel il prospère, travers d'une époque où vérité et rumeurs, faits établis et complots supposés sont facilement traités sur un pied identique. Dans cette mise en scène où tout le monde se vaut, il arrive un moment, c'est le but, où l'on ne sait plus très bien qui est qui, un moment où la victime devient coupable et le coupable victime. D'un dernier effet de manche, il est temps alors de porter l'estocade : faut-il être naïf pour ne pas voir où se cachent les « vrais coupables » !
Après trois ans de ce théâtre dans lequel Kerviel a excellé, le jugement offre naturellement un tout autre dénouement. La lecture des 70 pages de la décision, le rappel minutieux des faits, conduisent à la conclusion implacable que l'ancien trader a bel et bien commis une fraude absolument massive. Une fraude qui a fait perdre à la banque et à ses actionnaires, vraies victimes trop oubliées de l'affaire, 4,9 milliards d'euros.
Le fraudeur démasqué, sa défense de victime « cynique » mise en pièces, la peine de prison était inéluctable. En revanche, l'application stricte du droit pénal aboutit à cette aberration qui le condamne en plus à la réparation intégrale du préjudice subi par la Société Générale. Or la démesure de la sanction financière et son caractère automatique ne rendent pas compte de l'extrême complexité d'un dossier dans lequel la banque a reconnu la défaillance de ses contrôles internes et a été condamnée pour cela par le régulateur. Sans doute la condamnation du fraudeur eût-elle été plus forte si les carences graves de la banque avaient été mises en balance dans le jugement.
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