L'intégralité du débat avec Gérard Courtois, directeur éditorial du Monde, sur les trois premières années de mandat de Nicolas Sarkozy.
Chat sauvage : Comment expliquer cette forte baisse de popularité ? Est-elle anormale pour un président après trois ans de mandat ?
Gérard Courtois : Après trois ans de mandat, Nicolas Sarkozy affronte en effet un niveau de défiance très élevé, de l'ordre des deux tiers des Français, et supérieur à celui de ses prédécesseurs au même moment, qu'il s'agisse de Giscard d'Estaing, de François Mitterrand ou de Jacques Chirac.
Mais on oublie que cette dégringolade dans l'opinion remonte en réalité à la fin de l'année 2007 et au début de l'année 2008. C'est à ce moment-là que le président de la République perd 20 à 30 points d'opinion positive dans les sondages, ce qui est énorme. Cela s'explique par deux raisons : d'une part, l'exposition de sa vie privée, moins au moment de son divorce, plutôt bien admis par les Français, que trois mois après, au moment de sa rencontre très médiatisée avec Carla Bruni. Pour le "peuple de droite", provincial, conservateur et vieux jeu, cela ne passe pas.
L'autre raison de cette dégringolade est la déclaration de Nicolas Sarkozy lors de sa conférence de presse du 8 janvier 2008, quand il dit brutalement : "Où voulez-vous que je trouve l'argent, les caisses sont vides".
Pour quelqu'un qui, six mois avant, s'était engagé à aller chercher la croissance avec les dents, c'est un terrible aveu d'impuissance, et les Français en tirent la conclusion qu'on leur a raconté des balivernes.
Aimé : Peut-on s'attendre enfin à ce que Nicolas Sarkozy cesse ses vulgarités et tutoiements dans ses apparitions ? Et par conséquent qu'il fasse président ?
Gérard Courtois : Il a eu à l'évidence dès le départ un problème de style. Pendant sa campagne, cela a été un atout, dans une certaine mesure. Pour la première fois en France, un candidat à l'Elysée semblait capable de sortir de la langue de bois et de parler la langue du peuple.
A partir du moment où il a été président, cette familiarité, que beaucoup de gens ont ressentie comme une forme de vulgarité, a téléscopé violemment l'image que les Français se font de leur président. On se souvient du "casse-toi, pauv' con" au Salon de l'agriculture en février 2008, ou, quelques semaines plus tôt, du "descends si t'es un homme" adressé à un pêcheur du Guilvinec. Ce genre de saillie a beaucoup fait pour dévaluer l'autorité du chef de l'Etat.
Même si c'est contre sa nature, Nicolas Sarkozy a pris la mesure du problème. Depuis le début de l'année, il fait à l'évidence des efforts pour lisser sa communication, pour éviter les dérapages, et pour solenniser davantage sa parole. Son problème est de savoir si son naturel ne reviendra pas à la première occasion.
Il a besoin de temps pour crédibiliser cette image plus maîtrisée et plus souveraine.
Marc : Notre président n'est-il pas condamné à toujours faire des promesses – une forme d'hystérie permanente qui consiste à toujours promettre et à ne jamais tenir ?
Gérard Courtois : Ça a été le cas pendant deux ans et demi, jusqu'à la fin de l'année 2009. C'était même une attitude théorisée par l'Elysée. Sarkozy et son équipe estimaient que si l'on ne fait pas toutes les réformes en même temps, on n'en fait aucune.
Cela a conduit à une gestion des dossiers et des réformes désordonnée et chaotique qui a donné le tournis au pays. Depuis trois mois, l'équipe politique et l'équipe des communicants de l'Elysée ont convaincu le président que s'il continuait ainsi, il irait dans le mur, et l'on assiste depuis à un recadrage en profondeur du style, de la communication, de l'équipe présidentielle et du mode de gouvernement.
ChrisGF : Pensez-vous que c'est l'inadéquation de la réponse à la crise économique qui va faire perdre Sarkozy en 2012, ou plus généralement la confusion des politiques mises en œuvre dans de nombreux domaines ?
Gérard Courtois : C'est sur la question économique que se joueront le bilan de ce mandat et la possibilité pour Nicolas Sarkozy d'être réélu. Mais il faut bien comprendre que le problème s'enclenche dès les premiers mois de son mandat. La loi fondamentale qui traduit dans les faits les principaux engagements de campagne (le "travailler plus pour gagner plus", la défiscalisation des heures supplémentaires, le "tous propriétaires", le bouclier fiscal), cette loi a été promulguée le 16 août 2007.
C'est la loi fondamentale du sarkozysme en matière économique et sociale. Mais dès la mi-août, exactement au même moment, démarre la crise des subprimes aux Etats-Unis, prélude à la crise financière et économique de l'automne 2008. Toute la politique de Nicolas Sarkozy supposait une croissance de l'économie française de l'ordre de 3 %, c'est-à-dire un point de plus que le rythme antérieur.
Or, à partir de l'été 2007, à cause de la crise des subprimes, non seulement la France ne connaît pas un regain de croissance, mais elle commence même à enregistrer une légère baisse de cette croissance.
A partir de l'automne 2008, évidemment, le problème va être d'une tout autre ampleur, puisque le pays, comme le reste des grandes économies développées, entre en récession.
Le pari économique de Sarkozy est donc immédiatement caduc. Toute la question pour lui aujourd'hui est de savoir si la France connaîtra en 2011 une amélioration perceptible de sa situation économique. Si c'est le cas, il peut aborder 2012 de manière raisonnablement confiante. Si, au contraire, la situation économique reste stagnante et aussi mauvaise qu'aujourd'hui, il aura beaucoup de mal à retrouver l'écoute des Français.
Anthony et EJC : Pensez-vous que la réussite ou l'échec de la future réforme des retraites puisse jouer sur une candidature éventuelle en 2012 de Nicolas Sarkozy ?
Gabriel : Bernard Guetta sur France Inter voyait dans la réforme des retraites une opportunité pour M. Sarkozy de réapparaître tel le grand réformateur du système français et un homme politique courageux. Partagez-vous cette analyse?
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Gérard Courtois : La réforme des retraites était annoncée depuis 2003, lors de la précédente réforme conduite par François Fillon. Compte tenu de l'évolution des comptes sociaux et du vieillissement de la population, elle est de toute façon nécessaire.
Je pense plutôt que ce sera une réforme minimaliste, évitant autant que possible de mettre le feu aux poudres et permettant surtout d'envoyer à la fois à Bruxelles et aux marchés financiers un gage du sérieux de la gestion par la France de son endettement public.
Il me semble que la période des réformes est révolue. Il suffit pour s'en convaincre de constater que deux réformes présentées il y a peu encore comme historiques ou essentielles ont été renvoyées à des jours meilleurs : la taxe carbone sur la question climatique et la réforme de la procédure pénale, avec la suppression du juge d'instruction.
A partir de maintenant, Sarkozy va se consacrer à l'essentiel : d'une part, le dossier de la sécurité sur lequel il a construit depuis dix ans toute son image, et sur lequel son bilan n'est pas convaincant ; d'autre part, sa capacité à démontrer aux Français qu'il parvient peu à peu à sortir le pays de la crise.
Tout le reste ou presque va être renvoyé sur un éventuel deuxième mandat.
Hibou : Faut-il s'attendre à une radicalisation à droite de l'UMP ?
Gérard Courtois : Oui, probablement. Le président de la République en a fait la démonstration à nouveau il y a quelques jours lors d'un déplacement en Seine-Saint-Denis. Son problème sur cette question est non pas de renouveler ses engagements multiples de ces dernières années, mais d'obtenir des résultats perceptibles par les Français.
Or c'est sur ce terrain de la réussite de sa politique que jusqu'à présent il n'a pas convaincu. La tentation d'en rajouter va probablement être grande, pas seulement pour essayer de regagner les voix de l'extrême droite, mais avant tout pour conserver celles de la droite, qui a toujours été favorable à la défense de la loi et de l'ordre.
Musaraigne : Bonjour. Ne pensez-vous pas que l'on donne Sarkozy mort politiquement trop tôt ? Peut-il encore rebondir ?
Gérard Courtois : Evidemment. Il ne faut pas sous-estimer l'incroyable accélération du temps politique. Rappelez-vous simplement où nous en étions il y a moins d'un an : le Parti socialiste était donné pour mort après son résultat calamiteux des européennes ; la question était posée de savoir si Martine Aubry resterait longtemps première secrétaire du Parti socialiste ; et l'autre question posée aussi bien par les journaux que par les responsables politiques était de savoir si Sarkozy était "battable".
Dix mois plus tard à peine, la question est parfois posée de savoir s'il se représentera, tellement sa situation est difficile ; Martine Aubry a assuré son autorité, non seulement sur le PS mais sur la gauche grâce au succès des régionales. Les rôles, en quelques mois, se sont totalement inversés.
Donc je serai très prudent sur la situation dans laquelle nous serons dans un an, et plus encore dans deux ans.
Cheval : Le vrai avantage de Sarkozy n'est-il pas la faiblesse de la gauche et des syndicats ?
Gérard Courtois : On peut poser la question exactement dans l'autre sens : la chance du PS et de la gauche n'est-elle pas la faiblesse actuelle de Sarkozy ? Plus sérieusement, Sarkozy a pu avancer sans beaucoup d'obstacles depuis trois ans parce que la gauche était effectivement impuissante à se reconstruire et à surmonter ses échecs.
Depuis quelques mois, les choses sont en train de changer. Le Parti socialiste semble avoir surmonté ses querelles de chefs, l'autorité de Martine Aubry n'est plus contestée, et surtout, elle a réussi peu à peu à remettre au travail son parti. On peut évidemment discuter de nombreuses propositions du projet économique que les socialistes viennent de rendre publiques.
Néanmoins, c'est la première fois depuis des années qu'un vrai travail de réflexion et de rénovation des idées a été engagé Rue de Solferino. Ce n'est pas suffisant. Cela laisse en suspens de nombreux points d'interrogation. Mais cela change en profondeur le rapport de force entre le pouvoir et son opposition.
Quant aux syndicats, c'est un des aspects un peu occultés des trois premières années de mandat de Sarkozy : il a réussi à établir avec les principales centrales syndicales une relation de travail permanente qui explique notamment qu'au plus fort de la crise économique les syndicats soient restés remarquablement responsables et n'aient pas mis d'huile sur le feu au moment où la crise sociale semblait pouvoir dégénérer.
Beaucoup maintenant va se jouer sur la réforme des retraites et il faudra observer attentivement, dans les trois prochains mois, l'attitude des syndicats sur ce dossier-clé.
Evelyne : Le sénateur Alain Lambert, UMP, ne souhaite plus voir son "ami" se présenter en 2012... Croyez-vous vraiment à une candidature alternative à droite ?
Gérard Courtois : Non, je n'y crois pas. En tout cas aujourd'hui. Tout d'abord, Nicolas Sarkozy a très peu d'amis. Ce n'est pas une nouveauté. Il a conquis presque seul l'UMP, il s'est imposé presque seul contre Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Il est habitué à cette solitude politique.
En revanche, il a évidemment des soutiens. Quand il enregistre, comme cela a été le cas durant les six derniers mois, échec sur échec, les turbulences sont inévitables dans la majorité, et d'autant plus inévitables que Nicolas Sarkozy n'a pas ménagé les uns et les autres depuis trois ans.
Mais s'il retrouve un tant soit peu de solidité dans son action et de crédit dans l'opinion, il ne fait pour moi aucun doute que tout le monde ou presque à droite se rangera à nouveau derrière lui.
Les exceptions, on les connaît. Il s'agit de Nicolas Dupont-Aignan, qui essaie envers et contre tout de maintenir une voix "gaulliste". C'est le cas de Dominique de Villepin, qui, pour l'instant, a créé une auto-entreprise sans troupe ni moyens. Et ça n'est à mes yeux pas le cas d'Alain Juppé, qui a levé le doigt récemment pour dire qu'il serait candidat à la candidature dans l'hypothèse où Sarkozy ne se représenterait pas, ni de Jean-François Copé, qui vise 2017 et a trouvé avec le chef de l'Etat un accord dont chacun avait besoin.
Gabur: Peut-on imaginer une réorganisation à l'Elysée ou à Matignon ? Avec le départ de Guéant et/ou Fillon ? Où sont-ils trop indispensables pour Sarkozy ?
Gérard Courtois : L'expérience démontre qu'en politique, personne n'est indispensable. Evidemment pas le premier ministre, même si pour l'instant il est plus utile qu'embarrassant pour Sarkozy. La question est plus compliquée pour Guéant, qui est depuis plusieurs années, et surtout depuis trois ans, un collaborateur tout-terrain en qui le chef de l'Etat a eu jusqu'à présent une totale confiance.
Il sera difficile à remplacer, mais ce n'est pas exclu. Quant au resserrement de l'équipe de l'Elysée et de son mode de fonctionnement, il est déjà effectué pour une bonne part. L'organisation des réunions et la répartition des responsabilités ont été vigoureusement recadrées après les régionales.
En outre, dans un régime de plus en plus présidentiel et dans un système de quinquennat, un remaniement ministériel, voire un changement de premier ministre, sont beaucoup moins déterminants qu'auparavant, quand le président avait sept ans devant lui et que le premier ministre était effectivement perçu comme le chef de la majorité, ce qui, de fait, n'est plus le cas.
Pignon : Le président Sarkozy peut-il retrouver ses habits de président lors de la présidence française du G 20 ?
Gérard Courtois : Premier constat : c'est quand il était président de l'Europe et en pleine crise économique que Nicolas Sarkozy est apparu le plus en phase avec sa fonction.
Il mise énormément sur cette année 2011, où il présidera à la fois le G8 et le G20. Cela lui donne, d'une part, une tribune pour apparaître en première ligne des efforts conduits par les grands pays pour maîtriser la crise et en sortir. Cela lui offre en outre l'occasion d'apparaître en permanence, sans avoir à inventer des scénarios et des occasions, comme l'un des principaux chefs d'Etat du monde.
S'il réussit cette séquence-là, il est très vraisemblable que cela lui redonnera aux yeux d'une partie des Français qui l'ont soutenu en 2008 une partie du crédit qu'il a perdu. Sur la scène internationale, l'an prochain, se joue une bonne part de sa capacité à être réélu, tant il est évident à mes yeux qu'il sera à nouveau candidat.
jeudi 6 mai 2010
"Pour Sarkozy, la période des réformes est révolue"
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